Fini la gestion d'un patrimoine privé? Certains contrôleurs y pensent ...

Parmi les nombreuses croisades que l’administration fiscale entreprend à l’encontre des contribuables belges, figure en bonne place celle qui consiste à (re)qualifier une opération mobilière ou immobilière accomplie par ces derniers en revenu divers ou spéculatif ou, pire, en revenu professionnel.
On ne compte plus les redressements fiscaux en ce sens qui visent à rejeter la théorie de l’acte de gestion du patrimoine privé, ou qui visent à considérer que la perception de revenus ou de plus-values (telles des locations ou des ventes d’immeubles) découle en réalité d’une activité professionnelle.


Requalification en revenus professionnels

Depuis quelques années, le fisc n’admet plus que des contribuables qui donnent en location de nombreux biens immobiliers puissent bénéficier de la seule taxation au titre de revenus immobiliers mais qualifie de tels revenus comme revenus professionnels.


Les contrôleurs fiscaux tentent avec plus ou moins de succès d’identifier des éléments qui révéleraient l’existence d’une activité professionnelle. La hauteur des revenus locatifs et l’énergie et le temps consacrés par le contribuable à la gestion de ces locations incitent bien souvent le fisc à agir de la sorte.


Fort heureusement, les cours et tribunaux apportent de temps à autres la nuance qui s’impose en cette matière et ne voient pas les choses de la même manière que les agents taxateurs.


Offrir aux locataires certains services en plus de la mise à disposition un bien immobilier ne suffit pas à disqualifier l’opération immobilière en activité lucrative.


Il appartient à l’administration de démontrer l’existence d’une activité professionnelle ainsi que le fait que les biens immobiliers sont utilisés dans le cadre de l’exercice de cette activité. L’exercice n’est donc pas si simple.


La notion d’« activité professionnelle » n’est pas définie dans la législation fiscale. C’est la doctrine et la jurisprudence qui, au fil des années, l’ont caractérisée.


Pour qu’il puisse s’agir d’une activité professionnelle, il faut que l’activité soit exercée avec une répétition et une fréquence suffisante et que, par son mode d’organisation, elle ait un caractère professionnel.


L’administration doit prouver à cet effet que le contribuable déploie des opérations immobilières qui forment un ensemble d’opérations suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une occupation continuelle et habituelle (Cass., 6 mai 1969, Pas., 1969, I, p. 803).


Interprétation restrictive : la tendance

D’année en année, la notion de gestion du patrimoine privé est appréciée de manière plus restrictive par l’administration fiscale.

Cela s’explique notamment par une volonté de saisir l’impôt chaque fois qu’une plus-value réalisée par un particulier semble très importante ou que des revenus immobiliers perçus par de multipropriétaires atteignent un certain montant.


Nous ne sommes plus dans l’esprit du législateur de 1962 qui avait introduit la notion des gestion normale du patrimoine privé , nous ne vivons plus à cette époque où la notion gestion (parfois active, voire risquée) d’un « père de famille » était appréciée avec une certaine largesse d’esprit.


D’aucuns diront qu’une loi de 1962 correspond à des valeurs et à un contexte totalement différent de celui de 2019. Les temps changent, les pratiques fiscales changent, le rôle de l’administration doit donc changer.


Certes, comme l’exprime avec pertinence, le professeur Julien GUEZ, « Dans le rapport entre un locuteur (l’auteur de la norme) et son destinataire (le citoyen), il faut tenir compte de la séparation temporelle. La norme correspond à une volonté historiquement déterminée, liée à des valeurs et à des référents moraux, religieux, politiques, sociaux, économiques propres à une société à un temps donné. Le destinataire se situe nécessairement dans un temps postérieur, plus ou moins éloigné avec d’autres valeurs et d’autres référents. »[1]


Il nous parait toutefois que si le décalage apparaît trop grand entre la signification de la norme et les aspirations de la société, il appartient au législateur, et à lui seul, de modifier la règle de droit. La légitimité » démocratique de l’impôt exige ce détour par le parlement au nom du respect absolu du principe de légalité de l’impôt. La loi encadre et légitime l’action administrative.


Pour reprendre les mots de Danièle Loschak, « le principe de légalité a d’abord une portée »pratique : il signifie que l’action administrative est enserrée dans certaines limites (…) ; mais il a aussi une portée idéologique en ce qu’il fonde la légitimité de cette action : le principe de légalité, qui exprime la soumission de l’administration à la loi, manifeste sa subordination au pouvoir politique et atteste qu’elle n’agit pas selon son bon plaisir, mais dans le respect des principes fondamentaux de l’ordre social existant convertis en règles juridiques par le législateur[2]


Il est nécessaire de rappeler, comme le font nos cours et tribunaux, certaines règles de droit et certains principes fondamentaux.

Il convient tout autant de rester vigilants face à de nouvelles positions de l’administration qui cherche à ériger ses propres règles fiscales en matière de revenus et de plus-values mobilières ou immobilières obtenus par des personnes physiques.


Rappelons-nous, pour conclure, ces bons mots de Noctuel : « Le fisc est assurément le plus grand des guérisseurs. Il pratique largement l’imposition des deux mains


[1] J. GUEZ, L’interprétation en droit fiscal, Paris, Ed. L.G.D.J, 2007, p.108

[2] D. LOSCHAK, « Le principe de légalité , mythes et mystifications » , AJDA, 1981, n° 9, p.387

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