Quand les décisions du Service des Décisions Anticipées ne lient pas l’administration … Les dirigeants d’entreprise au centre de la tourmente

La presse a récemment relayé une information qui a fait trembler bon nombre de dirigeants de société.


En effet, dans l’Echo du 2 novembre dernier, on pouvait lire un article de J.-P. BOMBAERTS intitulé « La sécurité du ruling fiscal mise à mal par l’administration » ; l’auteur y évoque la problématique de rectification des déclarations à l’impôt des personnes physiques de dirigeants d’entreprises ayant conclu un plan d’option sur action sur le modèle d’une société bien connue (ci-après « X »).


Ce modèle vise à permettre aux dirigeants d’entreprises de se distribuer un revenu complémentaire à leur rémunération, en réalisant une économie d’impôt.

Très schématiquement, ce modèle se présente comme suit :

  1. la société dans laquelle le dirigeant concerné exerce son mandat émet des options sur actions de SICAV et les offre gratuitement au dirigeant.
  2. les options sur actions seront à terme, revendues par le dirigeant à la société X, ce qui permettra au dirigeant de dégager une plus-value ;
  3. La société émettrice des options achète par ailleurs des options de couverture auprès de la société X et grâce à un astucieux mécanisme de cession de créances et de « netting », l’opération peut être dénouée après une période d’attente d’au moins un an.

Tout le mécanisme X et les avantages fiscaux qui en découlent, reposent sur la taxation du dirigeant d’entreprise sur un avantage évalué forfaitairement à 18% des actions sous-jacentes au moment de l’octroi des options sur actions (lorsque l’option est accordée pour une durée supérieure à 5 ans, le pourcentage précité est majoré de 1% par année ou partie d’année au-delà de la cinquième année).


Au moment de la revente ou de l’exercice des options (et donc de la réalisation de la plus-value), le dirigeant ne subit pas de taxation.


L’évaluation forfaitaire de l’avantage provenant des options sur actions et l’absence de taxation de la plus-value, résultent de la loi du 26 mars 1999 relative au plan d’action belge pour l’emploi 1998.


Le système X décliné en plusieurs versions, a fait l’objet de différentes décisions par le Service des Décisions Anticipées (SDA). Par ces décisions, le SDA avait validé la taxation de l’avantage de façon forfaitaire au moment de l’octroi de l’option (et l’absence de taxation sur la plus-value au dénouement de l’opération) ainsi que l’absence d’abus en matière fiscale.


Cependant, dès la fin octobre 2018 et suite à des contrôles effectués auprès de la société X, l’administration fiscale a décidé de rectifier les déclarations à l’impôt des personnes physiques des dirigeants concernés.


Ces dirigeants qui avaient cru en la sécurité juridique qu’étaient censées leur garantir les décisions du SDA, se retrouvent les victimes de la discorde qui existe entre les différents services de l’administration.


Concrètement, les rectifications proposées visent à taxer le dirigeant sur l’intégralité du montant de la plus-value obtenue par ledit dirigeant suite à la revente des options sur actions. Le revenu est taxé au titre de revenu professionnel. Adieu dès lors le bénéfice de la taxation sur un avantage forfaitaire !


L’administration fiscale justifie sa position en considérant que les options sur actions sont entachées de nullité ; selon l’administration, dès lors que les options émises ne peuvent être exercées que si l’émetteur des options (à savoir la société personnelle du dirigeant) achète également des options de couverture, l’exercice des options dépend d’une condition purement potestative de la société émettrice des options, ce qui rendrait les options nulles.


Dès lors qu’elles sont entachées de nullité, il n’y a pas d’options sur actions ; partant, tout le régime de taxation relatif aux options sur actions (et notamment l’évaluation forfaitaire de l’avantage résultant de l’octroi de telles options) serait inapplicable. L’administration en conclut donc que le revenu dégagé à l’issue de l’opération (à savoir la plus-value obtenue lors de la revente des options) serait taxable au titre de revenu professionnel.


Enfin et c’est probablement le plus choquant -, l’administration fiscale, se fondant sur la loi de 2002 ayant créé le SDA, considère que les décisions rendues sont contraires au droit interne, de sorte qu’elles ne lieraient pas le SPF Finances. Ces décisions ne pourraient donc plus être invoquées par les contribuables pour se prémunir des rectifications proposées.


Que faut-il en penser ?

A la lecture des avis de rectification émis (lesquels semblent basés sur le même modèle quel que soit le contrôle concerné) et étant donné la faiblesse de l’argumentation qui y est développée, il semble que la position de l’administration ne soit motivée que par la volonté de jeter un pavé dans la mare politique, en visant plus précisément le SDA qui a déjà été, au centre de tourmentes durant l’année 2017.


Le SDA est censé garantir la sécurité juridique aux citoyens et c’est bien pour cette raison qu’il est régulièrement consulté. Ce service est extrêmement précieux pour les contribuables, tant personnes physiques que sociétés. Les décisions du SDA lient en principe le SPF Finances sauf dans certains cas, parmi lesquels la loi prévoit celui où la décision rendue est contraire au droit international ou au droit interne. Les cours et tribunaux ont également précisé que le principe de sécurité juridique devait céder le pas devant celui de légalité à propos d’accords conclus par l’administration fiscale avec les contribuables.


Même si cela est expressément prévu par la loi, le fait que l’administration elle-même (et non le contribuable) puisse concrètement remettre en cause la légalité de décisions du SDA est déplorable. C’est le bras droit du SPF Finances qui attaque le bras gauche : ce n’est pas seulement le SDA qui est décrédibilisé mais bien le SPF Finances dans son entièreté.


Par ailleurs, ceci envoie un message très négatif sur la stabilité du paysage fiscal en Belgique à une époque où la concurrence fiscale entre Etats est extrêmement forte et où nos voisins disposent d’un service similaire à celui du SDA, sans que ce service n’ait été décrié.


Fort heureusement, des avis de rectification dont nous avons pu prendre connaissance, il ressort que l’argumentation de l’administration fiscale appelle de nombreuses critiques.


Les contribuables concernés pourront faire valoir de solides arguments à l’encontre des rectifications proposées et ce, plus particulièrement pour nuancer le caractère prétendument purement potestatif de la condition d’achat d’options de couverture.

Il conviendra néanmoins de rester prudent : le dirigeant devra préserver ses droits en répondant dans les délais à l’avis de rectification reçu ; il devra le cas échéant également s’assurer de pouvoir contester à titre conservatoire la taxation subie au moment de l’attribution des options si l’année d’attribution ne coïncide pas avec celle de dénouement du plan, etc.


Signalons encore que si l’impôt devait être enrôlé et même en cas de réclamation et de fixation de l’incontestablement dû à zéro, cet enrôlement permettrait à l’administration de prendre des mesures conservatoires pour assurer le paiement de l’impôt (retenues de remboursements d’impôts, saisies conservatoires sur le prix de vente de biens immobiliers, etc.).


Espérons toutefois que nous n’en arriverons pas à de telles extrémités et que le Ministre des Finances parviendra à remettre de l’ordre dans son administration permettant l’abandon des rectifications proposées ….
Si nous restons persuadés que l’issue de cette saga devrait être favorable aux contribuables, elle laissera néanmoins un goût amer à bon nombre de dirigeants et entrepreneurs.
Ils sont, - une fois n’est pas coutume -, les boucs émissaires de cet imbroglio politico-juridique et ils risquent de s’en souvenir lorsqu’il s’agira de faire confiance à la position de l’administration fiscale belge à l’avenir ….

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