Cinq règles d'or pour une (future) écofiscalité digne de ce nom

Difficile d’imaginer l’avenir sans une bonne dose environnementale. Pourtant, tant dans l’esprit des élus que celui des citoyens, les politiques environnementales reposent principalement sur la mise en œuvre de nouvelles mesures fiscales tantôt dissuasives, tantôt encourageantes. Si l’écofiscalité aura une place centrale lors de la prochaine législature, il serait heureux que nos élus intègrent des principes fondamentaux de l’écofiscalité. Résumé de cinq règles d’or que le législateur serait heureux de matérialiser.


Dissuader est l’essence d’une taxe et de sa nature éphémère

Aussi étrange soit-il, aucune taxe écologique ne devrait pouvoir voir le jour si elle n’est pas en mesure de disparaître progressivement. C’est la caractéristique première d’une taxe environnementale.


Pourquoi? Tout simplement parce que la raison d’être d’une mesure dissuasive est de dissuader. Si vous n’y arrivez pas, c’est que la dissuasion est difficile, voire impossible (notamment lorsqu’aucune alternative n’existe). Les experts et acteurs avisés de la fiscalité savent tous que les nouvelles mesures naissent toujours d’un conclave, c’est-à-dire dans le cadre de la gestion des recettes et des dépenses de l’exercice prochain (ou en cours).


Ce piège (celui de rechercher une mesure qui rapporte plutôt qu’une mesure qui dissuade) est évident: on peut s’y soustraire. Une mesure écofiscale devrait donc par nature avoir idéalement un cycle semblable à une courbe de Gauss (progression de la taxe durant les premières années pour prévenir avant de sanctionner plus durement, et disparition ensuite des comportements et des recettes associées par la suite) et le monde politique devrait autant se réjouir de sa phase ascendante (et contributive au budget) que de sa phase descendante (et donc effectivement dissuasive).


Pas de taxe sans alternative

C’est le complément d’une bonne dissuasion. Il est en effet curieux de retrouver régulièrement dans l’arsenal législatif des taxes dont l’évitement est impossible.


Si un citoyen ne peut échapper à une taxe, cette taxe est punitive et non dissuasive. Elle recherche dans le consommateur une vache à lait (nous parlerons aussi de pollueur-payeur), ce qui reste compréhensible sous le plan budgétaire, mais peu sous le plan environnemental, car votre comportement n’évoluera absolument pas, il rapportera simplement.


Illustrons: une bouteille d’eau en plastique est un bon exemple de produit pour lequel l’accès alternatif est parfait. Si vous taxez ce produit, chaque concitoyen dispose à la fois d’une alternative d’emballage, mais aussi d’une alternative de disponibilité (l’eau du robinet), car on oublie souvent que l’emballage est censé apporter d’abord une solution de transport pour un bien disponible ici, mais pas là.


Transparence et fonds dédiés

C’est évident, toute taxe a sa quote-part d’injustice. Mais l’injustice est d’abord et avant tout une question de perception. C’est d’ailleurs pour cette raison que le ressentiment varie d’un citoyen à l’autre.


Le législateur devrait donc idéalement garantir qu’une taxe est aussi le levier d’un changement. C’est le vecteur favorable de la taxe. Plus précisément, outre la dissuasion qui provient d’une élévation d’un coût d’un produit ou d’un service par l’addition d’une taxe, l’investissement dans la solution publique alternative (ou sa stimulation moyennant des aides aux producteurs d’une alternative) est une ambition que les gouvernements devraient naturellement rencontrer.


Illustrons: si je dois subir une taxe de parking ou une amende de roulage et que ces derniers participent au développement d’une piste cyclable ou à la création d’une station de métro et à une nouvelle offre de train, mon consentement au nouvel impôt progressera indéniablement.


Ce n’est pas simple dans un monde institutionnel éclaté d’apporter une telle réponse. Mais d’autres exemples (plus ou moins heureux) existent où les recettes obtenues au départ de diverses situations alimentent des fonds dédiés, avec toute la rigidité limitante, mais nécessaire, face aux sirènes de l’Europe et aux appels à réduire le déficit budgétaire coûte que coûte plutôt que d’investir dans l’avenir (et le changement).


Le fonds pour le vieillissement n’est pas le meilleur exemple, puisqu’une fois augmenté, il a ensuite disparu.


Ce fond dédié sera utilement accompagné d’un rapport et d’une communication pédagogique qui deviendrait le garant d’un plus grand consentement. Accessoirement, il est aussi une belle occasion pour le monde politique de regagner sur ces points la confiance de l’électeur.


Le levier du professionnel plutôt que le levier du consommateur

L’expérience passée nous a appris que le monde professionnel est sensiblement plus armé et plus volontaire pour répondre à une taxe écofiscale que le consommateur. Penser que le citoyen lambda est moins armé que l’entrepreneur pour adapter son comportement est évident.


Les causes sont multiples: moins de recul sur ses achats, moins de moyens (pour une alternative), une grande inertie de ses achats,… mais surtout le monde de l’entreprise est, lui, économiquement très volontaire lorsqu’il est amené à devoir éviter une surcharge ou accéder à un coût réduit.


Les voitures de société dont l’ATN fut changé au profit d’une valeur proportionnelle au CO2 ont eu un impact très rapide sur l’évolution des parcs automobiles. À un tel point que même l’industrie automobile (allemande en particulier) a adapté ses cylindrées aux normes (plafond) écofiscales belges. Une disposition de même nature sur le consommateur n’aurait jamais pu être atteinte. Notamment parce que le cycle d’achat est différent et une taxe insuffisamment influente sur ce point.


De même, il est bien plus efficace d’établir une taxation sur le producteur de l’emballage plutôt que sur son consommateur. L’industrie de la grande distribution ou l’industrie alimentaire adaptera bien mieux (et surtout bien plus vite) ses habitudes de production que le consommateur ses habitudes de consommation. Elle sera le meilleur levier de l’alternative qu’elle inventera pour éviter les nouvelles charges fiscales.


L’IPP est peu adéquat

Tout ceci nous conduit à conclure que l’IPP n’est probablement pas l’impôt le plus pertinent pour pratiquer la fiscalité car il offre une fiscalité du lendemain au consommateur qui agit d’abord en fonction du présent. Les taxes environnementales, appliquées directement sur les produits et services sont efficaces, et resteront certainement plus compréhensives pour les personnes qui y succombent… pour autant que son produit (sa recette fiscale) ait à la fois la perspective de disparaître un jour au profit d’une ou plusieurs alternatives (dans laquelle l’État aura été un vrai levier ou stimulant).


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Conseil fiscal, partner chez Deg & Partner, professeur à l’Ephec et président du Forum For the Future


Source : l'Echo







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