Donation de contrat d’assurance vie en Flandre, arrêt de la Cour constitutionnelle : on ne compare pas des pommes et des poires

Dans son arrêt du 28 février 2019 (rôle n° 6075), la Cour constitutionnelle a validé la position du législateur décrétal flamand en matière de donation de contrat d’assurance-vie (ci-après « CAV ») : des droits de succession seront dus sur la plus-value réalisée au sein du contrat d’assurance vie entre le moment de la donation, soumise à l’impôt sur les donations, et le décès.


I. Rappel de la question : administration fiscale flamande vs. administration centrale fédérale et SDA

Les droits de succession sont dus sur tout ce qui est recueilli dans la succession d’un habitant du Royaume. Cela vise donc – notamment – tous les biens présents dans son patrimoine au moment du décès, que ceux-ci soient transmis suivant la dévolution légale, par legs ou en raison d’institutions contractuelles. Outre les biens existants au moment du décès, les droits de succession peuvent également s’appliquer par le biais de fictions légales à des biens qui ont juridiquement quitté le patrimoine du défunt avant (voire bien avant) son décès.


Lorsqu’une personne souscrit un contrat d’assurance-vie, elle devient le preneur et dispose ce faisant de droits : celui de racheter partiellement ou totalement le contrat, celui de le mettre en gage, celui de nommer des bénéficiaires, etc. Lorsque la tête assurée décède, le contrat se dénoue et la compagnie d’assurance est obligée de verser les sommes auxdits bénéficiaires qui jouissent – en droit – d’une stipulation effectuée à leur profit par le défunt. A défaut d’une fiction légale, ces sommes ne pourraient être soumises à l’impôt successoral. Cette fiction est reprise à l’article 8 du Code des droits de succession : toutes sommes, rentes ou valeurs qu'une personne est appelée à recevoir à titre gratuit au décès de celui qui a contracté une assurance sur la vie à ordre ou au porteur est imposable. La stipulation pour autrui renfermée dans le CAV est donc fictivement assimilée à un legs.


Quid en cas de don du contrat ?


Si le preneur (et tête assurée – A –) transmet le contrat à son enfant ou à tout autre bénéficiaire du contrat (B), y aura-il encore une stipulation pour autrui ? Il s’agit donc d’une configuration A-A-B qui devient B-A-B à la suite de la donation. Il était admis que cette donation permettrait d’éviter tout droit de succession - puisque, par hypothèse, le nouveau preneur stipulait alors pour lui-même (cf. lettre n°EE/105.349 du 9 avril 2013 de l’administration centrale ou différentes décisions du SDA – 2016.813 du 6 juillet 2017, 2018.0332 du 5 juin 2018).


Standpunt 15133 et 15142 des 12 octobre 2015 et 21 décembre 2015


Le Vlabel a considéré que, même en cas de donation, il n’était pas possible d’échapper à la taxation (équivalente) reprise à l’article 2.7.1.0.6. et 2.7.1.0.8. du Code fiscal flamand (CFF). Au moment du décès, selon le Vlabel, le bénéficiaire initial percevait les fonds de la compagnie de par la stipulation originaire à son profit, la donation du contrat, comportant pourtant la donation du droit à la désignation des bénéficiaires, ne permettant pas d’échapper à cet impôt successoral.


Décret du 23 décembre 2016 : fin de la controverse ?


Le législateur décrétal a dû intervenir et mettre fin à toutes ces controverses et pluie de critiques à l’encontre de l’administration fiscale flamande. Qu’on ne s’y trompe pas, le législateur a validé la position du Vlabel : le but de la loi est bien de soumettre à l’impôt successoral les sommes que perçoit tout bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie au moment du décès du preneur initial et ce, que le contrat ait ou non fait l’objet d’une donation et que celle-ci ait ou non été soumise à l’impôt des donations.


Petite consolation


Dans un souci d’équité, et afin d’éviter une double imposition économique – la loi permet toutefois de déduire de la base imposable à l’impôt successoral celle qui a permis de fixer l’impôt sur les donations. En d’autres mots, seule la plus-value survenue entre la donation – soumise à l’enregistrement – et le décès sera soumise aux droits de succession.


II. Question posée à la Cour constitutionnelle: comment justifier une différence de traitement entre donataires d’avoirs mobiliers?

Prenons A qui a deux enfants B et C. A procède à deux donations : à B, il donne un portefeuille-titres de 1.000.000 euros et à C, un CAV d’une valeur de rachat au moment de la donation de 1.000.000 euros. Les deux donations sont soumises à l’enregistrement : chacune génère un impôt sur les donations de 30.000 euros. A décède. À son décès, la valeur du portefeuille-titres et du CAV a augmenté. Alors que B est quitte de tous droits, C devra quant à lui s’acquitter de droits de succession sur cette plus-value.

Comment justifier pareille différence de traitement ?


La Cour constitutionnelle ne répond pas ?


Si la Cour tente de comprendre la volonté du législateur de soumettre à imposition toute distribution d’un contrat d’assurance-vie au moment du décès du preneur initial afin de traiter les bénéficiaires de pareils contrats de la même manière, qu’il y ait eu donation ou pas, elle ne répond pas à la question précise qui lui est posée. Certes, elle invoque une forme de spécificité du produit d’investissement que serait le CAV sans en préciser toutefois la teneur si ce n’est en invoquant que ce produit permet de procurer, après la donation, un avantage supérieur à la valeur de rachat au moment de la donation, sans que le bénéficiaire de la donation, en tant que preneur, ne fournisse lui-même des prestations quelconques. N’en est-il pas de même avec un portefeuille-titres ? Selon la Cour constitutionnelle, le donataire-bénéficiaire ne recueillerait qu’au moment du décès du de cujus-preneur initial les prestations qui résultent de la relation juridique avec l’assureur.


Qu’en conclure ?


Selon la Cour constitutionnelle, le législateur flamand a délibérément choisi de soumettre à l’impôt successoral les sommes qu’un bénéficiaire reçoit d’un contrat qui lui a pourtant été donné préalablement car, en réalité, c’est au moment du décès, le contrat se dénouant, qu’il perçoit réellement ce que le preneur voulait lui transmettre. Tel n’est pas le cas pour d’autres biens. Ainsi, le législateur a-t-il pu, selon la Cour, créer cette différence de traitement. On ne compare pas des pommes et des poires. On regrettera toutefois qu’une distinction plus franche n’ait pas été effectuée. Cet arrêt laissera le praticien sur sa faim.


Quid en Wallonie et à Bruxelles ?


Cet arrêt permet de conclure que la donation d’un CAV dans les deux autres régions est toujours possible et que, dans l’état actuel de la législation, il n’y aura pas de droits de succession dus sur une quelconque plus-value.

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