L’Allemagne, enfant malade ou ado en mue ?

Quand l’Allemagne tousse, toute l’Europe tousse. L’image est connue. Il faut dire, l’économie d’Outre-Rhin représente quelque 30% de la zone euro, et avec des interdépendances et des effets d’entraînement qui font parfois dire que la Belgique performe comme performerait un sous-traitant de l’Allemagne. Or, les perspectives immédiates pour la conjoncture en Allemagne ne sont pas brillantes, et cela déjà après une mini récession en 2023. Si le moteur allemand tourne au ralenti, ne faut-il dès lors pas s’inquiéter pour l’ensemble du Vieux Continent ?

Quels sont les maux de l’Allemagne ? Dans le désordre, la lecture de la presse fera mentionner le fonctionnement des chemins de fer, l’état des infrastructures, le dogmatisme budgétaire, la sortie du nucléaire décidée après l’accident de Fukushima en 2011, une perte de compétitivité énergétique, un secteur automobile confronté à l’électrification du marché automobile, avec la concurrence américaine et asiatique, la sensibilité à l’économie chinoise et le déclin démographique.

La liste des problèmes est donc longue, et pourrait alimenter une vue sombre sur l’Allemagne et, partant, sur l’Europe. Mais il y a moyen de regarder les choses sous un jour plus tempéré. D’abord, rappelons deux choses. D’abord, avec une décroissance de la population en âge de travailler et une tendance parmi les travailleurs à vouloir travailler moins d’heures, il faut accepter que la croissance potentielle d’une économie soit faible. Faire -0,5% quand la norme est +0,5% est autre chose que quand la norme est +3%. Ensuite, l’Allemagne a déjà été l’enfant malade de l’Europe, c’était dans les années 90, après la réunification, et elle est sortie de cet état ! Et elle en est d’ailleurs tellement bien sortie qu’elle fut ensuite en superforme et même, nous y reviendrons, en trop grande forme.


Le prix de la transition

Le choix de sortir du nucléaire, avec pour corollaire un recours accru au charbon et aux importations d’énergie russe, est particulièrement critiqué depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais c’est en même temps un fort aiguillon pour le développement, « à marche forcée », des énergies renouvelables et une utilisation plus rationnelle de l’énergie. Un parallélisme peut même être tenté avec le taux de change : en s’imposant de ne pas dévaluer le Deutsche Mark, l’Allemagne s’est privée d’une compétitivité « facile », mais cette discipline a forcé les entreprises allemandes à être compétitives autrement, de manière plus structurelle, et cela s’est révélé bénéfique. L’Allemagne n’est-elle pas en train de prendre de l’avance sur les sources d’énergie d’après-demain ?

Si l’industrie allemande souffre, c’est dû non seulement à la question énergétique, mais aussi au ralentissement de la croissance chinoise et aux tensions à la fois géopolitiques et commerciales avec l’Empire du Milieu. Ici, la vue large invite aussi à voir ces difficultés comme le prix d’une transition. Sans même avoir à se demander si c’est souhaitable ou non, ne pensons-nous pas que réduire la dépendance de l’économie nationale vis-à-vis d’activités particulièrement polluantes et exposant à une dépendance à l’encontre d’un partenaire peu fiable n’était pas inéluctable ? « L’Europe brade sa sécurité nationale en échange d’une énergie bon marché », avait mis en garde J. Stiglitz en 2006 déjà. Aujourd’hui, sans que nous ayons voulu en être à l’origine, nous sommes poussés à voir diminuer le poids de l’industrie lourde et la dépendance vis-à-vis de Beijing. Oui, l’automobile thermique a fait les beaux jours de Wolfsbourg, de Munich et de Stuttgart, mais y a-t-il lieu de verser des larmes de crocodile sur le déclin de cette activité ? Et à en juger par le taux de chômage particulièrement bas que continue de connaître l’Allemagne en dépit de la conjoncture actuelle, le recyclage des ouvriers qualifiés des pans en mutation de l’industrie devrait ne pas poser de difficulté.


Orthodoxie et marges de manœuvre

Oui, l’Allemagne a pratiqué une politique d’orthodoxie budgétaire, et semble vouloir reprendre cette route après les années de pandémie et d’effort militaire. Cela relève pour partie d’une vue « dogmatique » des finances publiques. Un déficit, s’il finance des politiques bénéfiques pour les générations futures, doit pouvoir être toléré. Toutefois, ne vaut-il pas mieux être dans la position allemande, sur le plan des finances publiques, que dans celle de la France, de la Belgique, de l’Italie, ou des Etats-Unis, tous nettement plus endettés ? Nécessité sait faire loi, et avec un taux d’endettement moindre, si le besoin d’une impulsion budgétaire devait être impérieux, l’Allemagne dispose d’une bien plus grande latitude.

Un dernier point, enfin, doit être mis en avant. Que son moteur, l’Allemagne, connaisse des ratés pourrait conduire à penser que c’est tout l’assemblage européen qui est à risque. Mais n’est-ce pas plutôt l’opposé ? Le risque pour la cohésion européenne aurait été que ce soit les « maillons faibles », et là les regards se tournent vers l’Europe qui longe la Méditerranée, qui soient en panne quand la santé allemande serait insolente. On l’a vu dans les années autour de 2010, et ce fut tendu et risqué. Ici, que ce soit le plus fort de la classe qui traverse une période conjoncturelle plus délicate, et cela qui plus est pour des raisons sous-jacentes qui ne sont pas que négatives, cela participe à une certaine convergence. Bien sûr, il ne faudrait pas que les difficultés perdurent et fassent le lit de partisans populistes promouvant moins d’Europe.

Au total, oui, l’Allemagne connaît un trou d’air, mais d’une magnitude modérée et pour partie car une transition était inéluctable. Que ceux qui en parlent comme l’enfant malade de l’Europe y voient aussi un adolescent en mue.

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