​Le 1er mai et l’affaire lip

Chaque 1er mai me ramène à un temps que les moins de soixante ans n’ont pas connu, à savoir l’affaire de l’horlogerie Lip, le choc d’une vague d’utopie qui s’était brisée sur les digues de l’après mai 68. En 1973, Lip, fabricant de montres à Besançon, dut déposer son bilan sous la pression de la concurrence des montres à quartz américaines et japonaises. L’entreprise était pourtant florissante et employait plus d’un millier de personnes. En 1952, elle avait même lancé l’Electronic, la première montre électronique assortie d’une diode. Mais, cette fois, la concurrence était trop forte. Lip devint alors le théâtre d’un conflit emblématique qui devrait durer plusieurs années. Dans un tumulte de grèves, d’occupations policières et de confrontations de symboles, l’entreprise s’essaiera à une autogestion des travailleurs, avant une liquidation définitive en 1977.

Sous les présidences de Pompidou et de Giscard d’Estaing, l’affaire Lip devint l’emblème de la lutte des classes, puisque l’autogestion formulait l’abandon de l’opposition entre les pourvoyeurs de capital et les fournisseurs de main-d’œuvre.

Mais il y avait autre chose : l’affaire Lip augurait la fin des trente glorieuses, c’est-à-dire ces trois décennies de croissance qui avaient suivi le second conflit mondial. Suite aux chocs pétroliers et à une timide ouverture des frontières économiques, l’Europe dut réaliser que sa croissance n’était pas acquise. Elle comprit que la reprise économique d’après-guerre avait été un effet d’aubaine. L’échec de l’autogestion ramenait à une confrontation de deux modèles : le capitalisme anglo-saxon, fondé sur l’actionnariat, et l’économie partenariale, qualifiée de modèle rhénan. La parenthèse enchantée des années 70, où tout semblait possible, s’était refermée, mais personne ne s’en rendit compte, à l’exception, peut-être, des travailleurs de Lip.

Et finalement, que reste-t-il aujourd’hui du modèle rhénan et de l’affaire Lip ? Un peu de romantisme économique. Sans doute, aussi, l’utopie d’une autre économie alors que le néolibéralisme anglo-américain n’avait pas encore émergé dans une économie de « marchés ». Mais surtout la nécessité d’un rapport harmonieux et l’homme à l’économie. Le rappel qu’il n’est d’économie que d’hommes.

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