Le nouveau régime, en projet, d'imposition des cadres expatriés transférés en Belgique.

Un premier commentaire, pour ce qui est des cadres non chercheurs.

Il faut lire les pages 12 à 37 du projet de Loi Programme déposé à la Chambre des représentants (DOC 55 2349/001).

Si une première lecture ne peut couvrir tous les aspects de ce nouveau régime en discussion au Parlement reconnaissons que ce projet introduit enfin une base légale et que des aberrations juridiques sont désormais supprimées. Mentionnons l'attribution de la qualité de non-résident fiscaux belge à des personnes qui sont bel et bien des résidents fiscaux, de même que la non taxation (belge et mondiale) de la rémunération de cadres résidents fiscaux sur base de la fameuse exclusion pour voyages à l'étranger.

A. Le nouveau régime, une usine à gaz ?

Ce qui frappe de ce nouveau régime est l'oubli de tous ces cadres qui sont rémunérés sur la base d'une rémunération nette (on a net take home pay basis) dans un cadre de schémas d'égalisation fiscale, d'un mode de rémunération privilégié par les américains. Quel changement par rapport à la Circulaire du 8 août 1983 à croire qu'en presque quarante ans les investissements américains ne sont plus désirés. L'histoire nous rappelle que cette Circulaire de 1983 fut rédigée en ayant comme seul objectif les cadres expatriés transférés sur base d'un schéma d'égalisation fiscale. Nous y retrouvons un salaire de base, des retenues pour taxes hypothétiques dans le pays d'origine (hypothetical taxes), des allocations de loyers (housing allowances), de différence du coût de la vie, des primes pour l'expatriation, des remboursements d'impôts belges (après le Ier enrôlement soit la 2 ou 3ème année suivant l'arrivée) ... etc. Ce n'est qu'après la publication en 1983 de cette Circulaire que l'administration, réalisant l'oubli de tous les cadres transférés sur la base d'une rémunération brute, publia la fameuse "Note technique" avec ses calculs à "s'en tirer les cheveux" pour reconstruire ... un schéma fictif de rémunération basée sur une égalisation fiscale puisque nous y retrouverons le salaire de base, les allocations diverses et un différentiel d’impôts. Au départ d'une rémunération brute il fallait en "extraire" les éléments non taxables, soient les allocations susmentionnées.

Dans le nouveau régime de la Loi Programme on raisonne désormais en termes de rémunération brute. On part, disons, de 100 de rémunération brute lors de l'engagement en Belgique (Art. 32, § 3,2° C.I.R 1992 inséré par l'article 13 du Projet de loi), on y ajoute 30 (supposons le maximum) d'indemnités non taxables en remboursement de frais propres à l'employeur, on calcule l'impôt et on a le net. Cependant rien n'est dit sur les rémunérations attribuées dans un schéma d'égalisation fiscale, soit la même erreur qu'en 1983 mais dans un sens inverse. Que va-t-il, en effet, se passer dans un schéma d'égalisation fiscale sous le nouveau régime ? Lors du transfert on part, disons, de 50 (soit la rémunération dite de base), on enlève les taxes hypothétiques du pays d'origine sur le salaire de base, on ajoute les allocations de loyers et de hausse du coût de la vie (calculées sur base de tables utilisées dans le monde entier), les primes de transfert ... etc. (ce n'est que deux à trois ans après l'arrivée que s'y intègrera le remboursement des impôts belges). On aboutit à une "rémunération brute" non contractuelle, non stable puisqu'elle sera modifiée dés le paiement du premier impôt belge ce qui pourrait bien.... exclure certains cadres expatriés américains, ou autres rémunérés sur la base d'un net, du nouveau régime puisque la rémunération brute minimale de 75.000 € pourrait alors ne pas être atteinte. En effet lors du transfert d'un cadre sur la base d'une rémunération nette l'impôt belge ne se retrouve pas dans la "première rémunération brute" ce qui n'est pas le cas de transferts sur la base d'une rémunération brute (à l'évidence puisque dans un schéma d'égalisation fiscale de rémunération nette l'impôt n'est pris en considération lors du calcul du brut que lors de son remboursement par l'employeur soit dans la troisième année suivant l'arrivée).

Rien dans le projet de loi n'est dit sur le mode de rémunération par le biais d'une égalisation fiscale. Comment calculer les indemnités forfaitaires de 30% ? Par le biais d'un calcul en dedans en faisant la somme préalable de tout ce qui est payé lors du transfert alors que ce calcul n'est pas envisagé par le législateur ? En considérant le salaire dit de base comme la rémunération brute alors que ce n'est qu'un net ? Où allons-nous ? Allons-nous encore travailler par le biais de circulaires administratives interprétatives ?

Pour pallier cet oubli on pourrait envisager l'amendement suivant

<< Dans les schémas de rémunération nette dans le contexte d'une égalisation fiscale et à raison de maximum 30% plafonnés à 90.000 €, le montant des indemnités payées couvrant les différences de coût de loyer, de coût de la vie, d'impôts ... tombent dans le champ de l'article .... et sont non taxables hors les indemnités spécifiques visées à l'article .....
Exemple 1: Un cadre est transféré en Belgique avec un salaire de base de 150, une taxe hypothétique du pays d'origine de 20, une prime de transfert de 15, des remboursements de loyers de 25, de coût de la vie de 15 ... etc. Le calcul du montant non taxable est (150-20+15+25+15) X 10/13 X 30% soit 42,69
Exemple 2: Un cadre est transféré en Belgique avec un salaire de base de 465, une taxe hypothétique du pays d'origine de 50, une prime de transfert de 40, des remboursements de loyers de 30, de coût de la vie de 35 ... etc. Le montant des indemnités non taxables est (465-50+40+30+35) X 10/13 X 30% soit 120.000 limité à 90.000
>>.

Ce projet d'amendement ne règle toutefois pas la possible exclusion de certains cadres ne satisfaisant pas, lors du transfert, à l'exigence d'une rémunération brute minimale de 75.000 € puisque (1) il n'y a pas de rémunération brute contractuelle et (2) que lors de l'année de transfert jusqu'au remboursement du premier impôt la somme des éléments de la rémunération est toujours inférieure à celle d'un transfert sur la base d'une rémunération brute.

Ce qui est piquant est que dans un schéma d'égalisation fiscale garantissant une rémunération nette les allocations octroyées telles que celles pour la hausse des loyers, du coût de la vie, le différentiel d'impôts ont toujours été justifiées car calculées sur la base de tables très sérieuses utilisées dans le monde entier, soit sur la base de taxes remboursées avec un calcul de taxes hypothétiques tout aussi réel et justifié alors que dans un régime où l'on part d'une rémunération brute on est obligé de passer par des forfaits d'indemnités, désormais de 30% avec un plafond de 90.000 €. En d'autres mots les schémas d'égalisation fiscale de type américain n'ont jamais posé de problèmes légaux majeurs quand aux indemnités accordées, elles sont réelles et objectivées. Ce qui n'est pas le cas des rémunérations sur la base d'un brut. Il est peu compréhensible que pour accorder un régime spécial à des expatriés en règle européens (transférés majoritairement sur la base d'un brut) le législateur crée un cauchemar à ceux bénéficiant d'une égalisation fiscale et d'une rémunération nette.

B Le nouveau régime pour les cadres transférés sur la base d'un brut et voyageant peu: plus avantageux ?

Soulignons qu'il n'est pas dit que le nouveau régime envisagé ne soit pas plus avantageux pour les cadres ne voyageant pas beaucoup ou pas du tout puisque le montant des indemnités dites propres à l'employeur pourra dépasser l'ancien plafond de 11.250 € de la Circulaire du 8 août 1983, hors centres de coordination. Si l'on prend l'exemple de la page 23 du projet le cadre ayant une rémunération brute de 75.100 € peut se voir allouer un montant d'indemnités non taxables de maximum 30% soit de 22.530 € là où il ne pouvait avoir que 11.250 € (1). Notons aussi, comme précédemment, l'absence de plafond aux frais scolaires. Vu les frais colossaux de certains établissements il y a lieu de souligner le maintien de cette faculté.

A ce stade du texte notons que la rémunération brute minimale à avoir pour bénéficier du régime fiscal des expatriés est définie lors de l'engagement en Belgique. Le cadre travaillant au sein d'un groupe peut ainsi être transféré en Belgique, au sein du même groupe, en acceptant que sa rémunération brute soit réduite à concurrence d'un montant tel que la (nouvelle) rémunération brute belge plus les indemnités non taxables égale celle avant transfert. Le cadre pourrait être protégé par des clauses contractuelles précisant qu'il est alors rémunéré sur une base nette. Ce qui se passe "au-dessus" ne le concernant plus. La rémunération brute et les indemnités étant définies pour que le net objectif soit atteint. La rémunération nette garantie (net objectif) étant judicieusement calculée selon des modalités prédéfinies. Contrairement à une idée répandue les schémas d'égalisation fiscale ne sont pas le seul mode pour rémunérer un cadre sur la base d'un net. On peut très bien le faire au départ d'un brut.

Évidemment, réduire une rémunération brute habituelle au sein d'un groupe lors du transfert en Belgique serait contraire au principe même du remboursement de frais résultants du transfert en Belgique et couvert par les plafonds de 30% et de 90.000 € mais la loi n'exige rien. Sauf, à nouveau, à laisser la place à des délires administratifs réservés à des initiés, ce point devrait être éclairci.

C. Restent plusieurs questions dont celle concernant l'application de la sécurité sociale belge sur ce qui sera fiscalement traité comme des indemnités payées en remboursement de dépenses propres à l'employeur sans mentionner leur traitement dans le pays de résidence fiscale des cadres concernés restant soumis à la sécurité sociale de leur pays d'origine. Faudra-t-il aussi attendre une circulaire de l'ONSS ?

D. Les milliers de personnes concernées à ce jour y compris les personnes travaillant pour un centre de coordination (2) s'interrogeront sur le caractère soudain, pour ne pas dire brutal, de la mise à mort de la Circulaire du 8 août 1983. Sauf pour les cadres déjà en place qui, notamment, satisferont au délai de cinq années, le bénéfice de cette circulaire expirera le 31 décembre 2024. Deux ans, c'est fort court. Eu égard à la foultitude de schémas de rémunérations mis en place (3) je crains un impact négatif au niveau des cadres étrangers [ou non (4)] et employeurs sur cette "attractivité de la Belgique", cette attractivité mise en avant pour cautionner l'instauration d'un régime fiscal légal. On aurait pu envisager un délai plus long ou des clauses de dégressivité.

E. D'autant plus qu'à la lecture de l'Exposé des motifs on ne peut s'empêcher de craindre l'absence de justification sérieuse à la modification en force du régime fiscal des cadres étrangers. Cette lecture nous dit que (a) ce changement est motivé par la nécessité de se doter d'un système légal attractif pour les investisseurs étrangers, (b) tout en ayant un objectif budgétaire, (c) mais en ne sachant pas vraiment mesurer l'impact financier de cette modification, (d) dans un contexte ou le législateur ne sait pas dire si cette nouveauté ne va pas attirer les foudres de la Cour de Justice (5)

Le nouveau régime envisagé pour les cadres non chercheurs.

a. Il faut que l'employeur et l'employé introduisent une demande.
b. Applicable aux belges ou non-belges (Exposé des motifs page 16).
c. Plus aucune exigence concernant le niveau de formation du cadre (Exposé des motifs page 21).
d. Plus d'exigence que ce régime bénéficie à l'employeur (Exposé des motifs page 27).
e. Lors d’un recrutement direct à l’étranger ou d'une mise à disposition au sein d’un groupe multinational (Exposé des motifs page 15).
f. Il faut qu'il ait une rémunération brute relative aux prestations effectuées en Belgique (attention aux fractionnements de salaires) hors indemnités non taxables de 75.000 € lors de l'octroi du régime et pendant toute sa durée (Exposé des motifs pages 18,19,20 et 21).
g. Le cadre ne peut pas avoir été habitant du Royaume, assujetti à l’impôt des personnes physiques au cours d’une période de référence de 60 mois précédant l’entrée en fonction. Il devait être résident fiscal d’un autre pays au moment de son recrutement ou de sa mise à disposition en Belgique (Exposé des motifs page 16).
h. Durant cette période de 60 mois le cadre ne peut pas avoir été soumis à l’impôt des non-résidents en Belgique du fait de revenus professionnels (Exposé des motifs page 17).
i. Ce régime vise les employés ou dirigeants d'entreprises chargés d'une fonction de direction ou une activité de gestion journalière, de nature commerciale, financière ou technique (Exposé des motifs page 15).
j. Le cadre peut pas avoir résidé à une distance inférieure à 150 kilomètres de la frontière belge avant son recrutement ou transfert durant la période de 60 mois précédant sa présence en Belgique (Exposé des motifs page 17).
k. Si accordé le régime est applicable cinq ans avec une possible rallonge de trois années (Exposé des motifs page 27).
l. Plus d'exigence de recrutement dans un cadre temporaire (Exposé des motifs page 16).
m. Si le cadre reste non-résident fiscal belge il devra fournir à l’administration fiscale belge une attestation délivrée par l’État de résidence certifiant qu’il y est soumis à l'impôt sur les revenus en tant que résident fiscal (Exposé des motifs page 13).
n. Le nouveau régime est basé sur la notion de “dépenses propres à l’employeur”. Leur calcul est contractuel et forfaitisé à un plafond de 30% de la rémunération brute limité à 90.000 € sans calculs alambiqués à faire. Plus de calculs de coût de la vie, d'égalisation fiscale, d'allocation de loyers, de justificatifs de frais de voyages familiaux à effectuer (Exposé des motifs pages 13, 22 et 23). Toutefois pour les schémas de rémunération nette dans le cadre d’une égalisation fiscale cela sera compliqué car à ce stade du projet rien n’est prévu.
n.1. Le forfait de 30% est un plafond que l'employeur peut accorder, il n'est pas automatique. Le texte dit bien "peut" (Exposé des motifs pages 22 et 23).
n.2. Il n'y a plus d'exclusion de la rémunération pour l'exercice d'une activité à l'étranger.
o. Certaines dépenses restent remboursables spécifiquement sur base de justificatifs, hors du forfait de maximum 30% et 90.000 €. Il s'agit des frais de déménagement vers la Belgique y compris certains frais administratifs (les frais hors de Belgique ne sont pas mentionnés), les frais d'aménagement de la maison (limités à 1.500 € ) et les frais scolaires illimités (Exposé des motifs pages 24, 25 et 26).
p. Entrée en vigueur le Ier janvier 2022.
q. Pour les cadres satisfaisant aux conditions susmentionnées et couvert par l'ancien régime possibilité de demander l'application du nouveau régime si demande effectuée avant le 31 juillet 2022 (Exposé des motifs pages 36 et 37).

r. Pour ceux actuellement couverts par la Circulaire du 8 août 1983 qui ne peuvent s'intégrer dans le nouveau régime, l'ancien se terminera le 31 décembre 2023. Il y a une période transitoire de deux années (Exposé des motifs page 37).

Stephen G Hürner


Notes.
(1) Tout dépend du mode de calcul, qu'il soit "en-dedans" du brut ou non.
(2) Le chiffre d'une vingtaine de milliers de cadres est mentionné.
(3) Transfert sur la base d'une rémunération brute ou nette, égalisations fiscales ... etc.
(4) Puisque le nouveau Régime Spécial d'Imposition des Impatriés vise tant les non-belges que les belges.
(5) (a) Exposé des motifs.
page 12. "Il est dès lors important que la Belgique se dote, elle aussi, d’un système légal attractif pour les investisseurs étrangers"
.
page 14. "La présente section poursuit également un objectif budgétaire et vise à diminuer le manque à gagner en termes de recettes fiscales découlant, pour l’État belge, des avantages octroyés dans le cadre de l’ancien régime".
"Toutefois, il ne peut être ignoré que l’abolition de la circulaire du 8 août 1983 sonne le glas d’un régime fiscal qui, quoique sujet à caution, est bien connu et populaire auprès des entreprises belges depuis de nombreuses années. Ce régime a d’ailleurs permis d’attirer de nombreux investisseurs en Belgique, avec les effets connexes de l’établissement des cadres dans notre pays, notamment sur le plan de l’emploi et de la consommation. Il est dès lors délicat d’évaluer les conséquences économiques au sens large de la disparition de l’ancien régime et de
l’introduction du nouveau cadre légal".

page 24. "Le Conseil d’État s’interroge si, à la lumière de l’arrêt Sopora de la Cour européenne, il n’est pas question ici d’une surcompensation manifeste".
"Sur base d’un certain nombre de situations standards, l’avocat général devant le Haut Conseil Neerlandais, dans l’affaire Sopora, a défendu la position selon laquelle la règle néerlandaise des 30 p.c. ne donnait pas lieu à une surcompensation manifeste et systématique. Dans le régime qui est présenté ici, l’on part également d’un pourcentage de 30 p.c. De plus, contrairement au régime néerlandais, un montant maximum de 90 000 euros est ici applicable. Ici aussi, on peut donc supposer qu’il n’y a pas de surcompensation manifeste et systématique".

(b) Dans l'avis du Conseil d'Etat il est dit à la page 221 du Doc 55 2349/001 "Il n’est pas exclu que le RSII et le RSICI, en projet, posent problème au regard des règles européennes en matière d’aide d’État et, en particulier, de l’article 107, du TFUE15-16". Que le gouvernement n'ait pas cherché à vider cette question est effarant. Il n'a donc tiré aucun enseignement de la saga des accords fiscaux sur les bénéfices excédentaires ?


Mots clés