En l’état de la question, les délégués syndicaux ne peuvent sous prétexte de la liberté syndicale s’attaquer de manière injurieuse et/ou calomnieuse à certains travailleurs même sous prétexte de la liberté d’expression.
Lors des élections sociales, la situation peut devenir extrêmement tendue dans certaines entreprises et mener à des communications très agressives de la part des représentants du personnel et plus particulièrement des délégués syndicaux. L’employeur et les membres de la direction peuvent-ils réagir en cas de distribution de tracts ou de tenue d’un blog très agressifs à l’encontre de la direction parfois avec des attaques personnelles très dures à la limite de la calomnie et/ou des dessins satiriques déplacés?
L’occasion de revenir sur les contours et limites de la liberté d’expression syndicale: un délégué syndical peut-il tout dire ou écrire? On rappelle d’abord que comme le confirme la Cour du travail de Bruxelles (21 juin 2018), les représentants du personnel ont le droit et même le devoir d’informer les travailleurs qu’ils représentent.
Si le droit à la liberté d’expression est consacré par la constitution, la liberté d’expression syndicale est surtout affirmée au niveau international par la lecture des articles 10 et 11 de la convention européenne des droits de l’homme ainsi que par la Recommandation n° 143 du 23 juin 1971 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Évidemment, cette liberté lorsqu’elle se manifeste par des tracts, messages, blogs ou autres dessins qui attaquent directement certaines personnes pose la question de l’équilibre à assurer entre cette liberté et celle de tout à chacun à voir son honneur et sa réputation respectés. D’autant que de tels actes interviennent dans le cadre d’un contrat de travail qui implique en principe l’obligation d’être loyal à son employeur.
La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion notamment en 2009 et 2011 de répondre à la question de cet équilibre et de la limite de la liberté d’expression syndicale dans des cas impliquant des dessins ou des tracts s’en prenant à certains autres travailleurs.
Bien que cette solution ait été critiquée, la Cour a adopté une vision plutôt restrictive de cette liberté en admettant que de tels dessins ou tracts dépassaient cette limite (alors que la satire est pourtant admise partie intégrante de la liberté d’expression). La Cour se fondant sur la nécessité d’un climat de confiance dans l’entreprise et la spécificité de la relation de travail jugeait ainsi qu’"une atteinte à l’honorabilité des personnes faite par voie d’expressions grossièrement insultantes ou injurieuses au sein du milieu professionnel revêt, en raison de ses effets perturbateurs, une gravité particulière, susceptible de justifier des sanctions sévères". Elle estimait que le licenciement pour faute grave des délégués concernés n’était ni illégal ni même disproportionné.
En l’état de la question, cela signifie que les délégués syndicaux ne peuvent sous prétexte de la liberté syndicale s’attaquer de manière injurieuse et/ou calomnieuse à certains travailleurs même sous prétexte de la liberté d’expression par exemple en dessinant un représentant du personnel à qui on reproche d’avoir soutenu l’employeur en train de satisfaire sexuellement le directeur des ressources humaines…
D’autant que les rares dispositions légales belges tendent aussi à une interprétation restrictive de la liberté d’expression syndicale.
Ainsi, la CCT n°5 du conseil national du travail prévoit que les communications de la délégation syndicale au personnel doivent avoir "un caractère professionnel ou syndical." Et en son article 4 que les organisations syndicales invitent les délégués syndicaux à "témoigner en toutes circonstances de l’esprit de justice, d’équité et de conciliation qui conditionne les bonnes relations sociales dans l’entreprise".
Des communications injurieuses, déshonorantes, calomnieuses ou satiriques pourraient justifier d’ordonner au représentant concerné de fermer son blog ou de supprimer les messages ou tracts et même, le cas échéant, fonder un licenciement pour motif grave (attention à la procédure).
La Cour de Travail de Bruxelles dans un vieil arrêt de 1972 rappelait du reste qu’un délégué syndical "plus que quiconque doit faire preuve d’un maximum de correction compte tenu de sa fonction spécialement protégée"… Sans compter la possibilité d’une plainte pénale pour harcèlement, calomnie ou injure et/ou l’obtention de dommages et intérêts. Un délégué averti…