Dans quelques dizaines d’années, le coût du vieillissement de la population représentera près du tiers du PIB. Si le système de pensions doit être changé, cela ne doit pas signifier qu’on gomme les fondements du système actuel. Au contraire : il faut les renforcer.
Dans quelques dizaines d’années, le coût du vieillissement de la population représentera près du tiers du PIB. Cela ne concerne pas uniquement les pensions, mais aussi notamment les soins de santé. Cette situation exigera des réformes profondes qui dépasseront, de très loin, les accommodements marginaux qui ont été mis en œuvre au cours des dernières années.
En Belgique, comme dans de nombreux pays, le dispositif des pensions légales est qualifié de système de répartition. Qu’est-ce que cela signifie ? Le système de pension bismarckien par répartition, qui tire son nom de l’homme d’État allemand Otto von Bismarck, est basé sur la solidarité intergénérationnelle. Les travailleurs actifs financent directement les pensions des pensionnés par leurs cotisations sociales. C’est donc un système de transfert qui récompense les travailleurs, issus de tous les secteurs, qui ont contribué à “construire” le pays.
Le problème est que ce système fonctionne bien lorsque la démographie et la natalité sont favorables. Or nous traversons, depuis plusieurs années, un choc de faible croissance. Par ailleurs, le baby-boom d’après-guerre, correspondant à une démographie importante, se traduit par un nombre important de pensionnés dont l’espérance de vie est prolongée. Les premiers baby-boomers sont arrivés à l’âge de la pension en 2010 et l’espérance de vie ayant augmenté de vingt ans, nous constaterons une surdémographie des aînés entre 2010 et 2050. Nous subissons donc un problème d’essoufflement du système pour des raisons démographiques, sachant que la démographie inversée est aggravée par une inégalité entre les personnes qui ont eu la capacité de souscrire un deuxième ou un troisième pilier, voire d’épargner, et des personnes qui sont uniquement dépendantes de la pension légale.
C’est la raison pour laquelle le système est fragilisé. Est-ce une raison pour le modifier structurellement et le remplacer par un système de capitalisations personnelles que seuls les plus favorisés pourront se permettre ? Je ne le crois pas, car les pensions relèvent d’un principe fondateur de l’État social. Mais la question des pensions est un problème complexe parce qu’on oppose des droits individuels à une obligation collective. Mon intuition me pousse à croire qu’il va falloir rééquilibrer le système et découpler la pension légale des cotisations qu’on a payées durant sa vie. C’est d’ailleurs déjà le cas, en partie, puisque la pension belge est calculée sur un salaire plafonné. Le rééquilibrage progressif va donc probablement s’effectuer au détriment des hautes pensions, et au bénéfice des plus basses.
À nouveau, de manière intuitive, nous allons devoir progressivement faire converger le système vers une allocation universelle en matière de pensions. Je pense que cette dernière serait d’environ 1 500 € indexés par personne, indépendamment, pour partie, du niveau de cotisation. Ce serait donc un minimum qui trouvera alors sa contrepartie dans un maximum infranchissable, sachant que les hauts revenus auront eu des capacités d’épargne personnelle. C’est évidemment une problématique très délicate qui exigerait des études actuarielles dont je ne possède pas les compétences et des arbitrages politiques mûrement réfléchis. Je crois donc qu’il faudra envisager un rééquilibrage qu’on peut considérer comme étant inégalitaire par rapport aux cotisations, mais qu’on peut considérer comme étant égalitaire par rapport à la réalité sociale et aux contraintes de la solidarité. Ne l’oublions pas : la pauvreté se concentre de plus en plus chez les personnes les plus âgées. On estime qu’il y a 40 % des pensionnés qui sont sous ou qui frôlent le seuil de pauvreté. De surcroît, cette réalité camoufle de graves inégalités hommes-femmes.
Mais il faudra peut-être aller plus loin et lier les pensions au niveau des revenus imposables globaux d’un contribuable. La pension pourrait alors être modulée en fonction des autres sources de revenus d’un pensionné. Cette révolution sociale exigerait de mettre en œuvre deux réformes extrêmement profondes.
Tout d’abord, il faudrait reglobaliser les revenus imposables d’un contribuable pour appréhender correctement la capacité fiscale d’un contribuable. Ensuite, la seconde étape consisterait à dépasser cette globalisation pour arriver à ce que je qualifie de métaglobalisation, c’est-à-dire juxtaposer la fiscalité et la parafiscalité. Concrètement, un citoyen aux hauts revenus se verrait appliquer des cotisations sociales plus élevées sur l’ensemble de ses revenus globalisés et recevrait moins d’aide étatique (dont les pensions), tandis qu’un citoyen aux faibles revenus cotiserait moins et recevrait plus.
Bien sûr, un tel système constituerait un aggiornamento puisqu’il s’agirait de juxtaposer deux concepts très différents, à savoir, d’une part, la fiscalité des personnes physiques, fondée sur la capacité contributive d’un contribuable et, d’autre part, la sécurité sociale qui exprime un caractère assurantiel. On m’objectera aussi que ce système conduit à ce que la sécurité sociale n’est plus uniquement financée par les revenus du travail. C’est correct, mais la réalité démographique et sociopolitique impose de reconnaître que la part des revenus du capital augmente structurellement depuis des années au détriment de la part des revenus du travail dans le PIB. Cette tendance va évidemment s’accélérer avec le développement foudroyant de l’intelligence artificielle.
En conclusion, je suis convaincu qu’on ne peut donc pas réformer la sécurité sociale sans réformer la fiscalité.
Bien évidemment, si le système de pensions doit être changé, cela ne doit pas signifier qu’on gomme les fondements du système actuel. Au contraire : il faut les renforcer. Il faut respecter les droits acquis, en mettant en œuvre ces réformes sur le temps long. Les changements à apporter doivent être réfléchis avec précaution et reposer sur un consensus social.
Source : Opinion publié dans la Libre sous le titre " Je suis convaincu qu’on ne peut pas réformer la sécurité sociale sans réformer la fiscalité"