Les lois s’appliquent de la même manière au contribuable et à l’administration fiscale. La loi fiscale est d’ordre public. Elle s’impose donc à tous, en ce compris l’administration fiscale qui ne peut ni la manipuler ni l’adapter ni encore la compléter au gré des thèses qu’elle souhaite défendre.
Le Code des impôts sur les revenus (ci-après « CIR ») doit être interprété à l’aune du principe de légalité consacré par la Constitution. La loi fiscale n’a d’autres sens que ce qu’elle prévoit. Si le texte de la loi est clair, il ne faut pas lui chercher une autre signification, ni le compléter (Cass., 15 janvier 1963, Pas., 1993, I, p. 570 ; Cass., 10 novembre 1997, Pas., 1997, I, p. 464). Lorsque la loi fiscale utilise pour fixer les règles selon lesquelles les impôts sont dus et perçus, des mots et des expressions déjà utilisés dans les lois civiles ou commerciales, ceux-ci ont, sauf disposition contraire, la signification qui leur est donnée en droit commun (Tiberghien, Manuel de droit fiscal, 2020/2021, t. 1., Kluwer, p. 35, n° 0208.).
Le Code des impôts sur les revenus précise que le revenu imposable est constitué de l’ensemble des revenus nets des quatre catégories de revenus, notamment des revenus des capitaux et biens mobiliers. L’article 17 § 1er du CIR prévoit que les revenus des capitaux et biens mobiliers sont tous les produits d’avoirs mobiliers engagés à quelque titre que ce soit. Le terme « engagé » implique, selon les travaux parlementaires, que « les produits qui doivent être imposés doivent résulter d’une convention portant sur l’engagement d’un bien meuble. Ce revenu est dès lors nécessairement le prix de la jouissance du capital payé par le débiteur tel que convenu avec celui qui a placé ou investi le capital » (Chambre, session ordinaire 1998-1999, Rapp. Com. Fin., Doc. 1608/8, p. 5). Les droits patrimoniaux dont l’auteur est titulaire en vertu de la loi sont des avoirs mobiliers. Lorsque l’auteur décide de ne pas exploiter lui-même lesdits droits et qu’il en cède ou concède l’exploitation a un tiers, il engage cet avoir mobilier au sens de l’article 17 du CIR. Le revenu imposable est donc le prix de la jouissance de cet avoir mobilier payé par le cessionnaire. Ce revenu est communément appelé « droits d’auteur ».
L’administration fiscale exige régulièrement que le contribuable apporte la preuve de l’existence d’une œuvre et du fait que celle-ci est protégée par le droit d’auteur. En d’autres termes, l’administration fiscale exige du contribuable qu’il apporte la preuve de l’originalité de son œuvre. Elle exige également que le contribuable démontre qu’il est l’auteur de l’œuvre.
Une telle approche est contraire au principe de la charge de la preuve en droit fiscal.
L’article 17 § 1er, 5° du CIR ni n’est ni un régime d’exception ni une disposition dérogatoire. Cette thèse a été confirmée à plusieurs reprises par la jurisprudence.
L’administration fiscale qui entend imposer un revenu doit établir les éléments générateurs de son droit. Il lui revient de démontrer que tout ou partie du revenu litigieux ne constitue pas la contrepartie de la cession (ou de la concession) des droits patrimoniaux de l’auteur. S’il n’est certes pas aisé de rapporter cette preuve, rien dans la loi ne permet à l’administration fiscale de renverser la charge de la preuve. Il lui appartient de démontrer que les œuvres concernées ne sont pas protégées par le droit d’auteur.
Même si cela parait évident, la preuve n’est pas rapportée par le simple fait que le fonctionnaire estime que l’œuvre n’est pas originale ou encore qu’elle serait banale ou encore que l’auteur serait limité dans ses choix créatifs par l’existence d’une quelconque contrainte (sur la contrainte, voy. Cass., 24 mars 2023, RG n° F.21.0052.N). Le fonctionnaire doit démontrer par des éléments objectifs que l’auteur n’a pas marqué l’œuvre de son empreinte personnelle.
Les fonctionnaires de l’administration fiscale soutiennent régulièrement qu’il ne suffit pas d’avoir créé une œuvre protégée par le droit d’auteur et de prévoir dans la convention de cession ou de concession une rémunération de l’auteur. Selon l’administration fiscale, il faut et il est nécessaire avant tout que cette œuvre soit exploitée et que par cette exploitation de l’œuvre, il en ressort un revenu sur base duquel l’auteur sera rémunéré. En d’autres termes, l’administration fiscale fait dépendre la qualification fiscale de « droits d’auteur » de la perception par le cessionnaire d’un revenu.
Une telle approche n’est pas conciliable avec les textes légaux. A aucun moment, il n’est exigé par le texte de loi que le cessionnaire obtienne un revenu de l’exploitation des droits patrimoniaux de l’auteur.
La jurisprudence a récemment écarté la thèse de l’administration fiscale en précisant qu’il importe (…) peu que les droits en cause soient ou non effectivement exploités par le cessionnaire » ou encore que l’exploitation de l’œuvre de l’auteur est sans incidence sur la nature du revenu découlant du contrat. Malgré cette jurisprudence explicite, les fonctionnaires – probablement sur instructions de l’administration fiscale – persistent à exiger une telle exploitation.
L’administration fiscale exige, pour que l’article 17 § 1er, 5° du CIR soit applicable, que la convention de cession ou de concession des droits patrimoniaux de l’auteur précise les œuvres sur lesquelles portent le transfert. Il n’est pas rare que l’administration demande au contribuable de produire un inventaire exhaustif des œuvres qu’il a créée au cours des exercices d’imposition contrôlés.
Le droit commun est applicable à moins que le droit fiscal y déroge explicitement. Or, il n’existe ni à l’article 17 du CIR ni ailleurs dans la Code des impôts sur les revenus une quelconque dérogation quant aux règles de droit civil relatives à l’objet d’un contrat. Le contrat est parfaitement valable dès lors que son objet est déterminable (art. 5.49 du Code civil). La convention peut également porter sur des choses futures (art. 5.50 du Code civil). Le Code de droit économique ne dit pas autre chose sous réserve de quelques exigences particulières destinés à protéger l’auteur. Selon la jurisprudence, il suffit que les œuvres soient déterminables. Ce sera le cas lorsque le libellé du contrat est suffisamment précis pour déterminer la commune intention des parties.
Le Code de droit économique stipule que la cession des droits patrimoniaux peut porter sur des œuvres futures pour autant qu’elle soit convenue pour un temps limité et pour autant que les genres des œuvres sur lesquelles porte la cession soient déterminés. En outre, pour les transferts intervenant dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un statut ou en exécution d’une commande, il n’est pas nécessaire de déterminer pour chaque mode d’exploitation, la rémunération de l’auteur, l’étendue et la durée de la cession (article XI.167 du Code de droit économique).
Malgré une jurisprudence claire et les différentes dispositions légales rappelées ci-dessus, les fonctionnaires continuent d’exiger que les œuvres sur lesquelles porte la cession soient déterminées dans la convention intervenue entre l’auteur et le cessionnaire. Une telle position est incontestablement illégale.
L’administration exige pour l’application du régime de taxation forfaitaire des droits d’auteur que l’œuvre soit communiquée au public. Selon l’administration, l’exploitation de l’œuvre imposerait nécessairement sa mise à disposition au public tel qu’entendu par la Cour de justice de l’Union européenne.
Rien n’est plus faux. Il n’existe à l’article 17 § 1er, 5° du CIR aucune exigence que l’œuvre soit communiquée à un public quel qu’il soit. L’exploitation de l’œuvre intervient par l’exercice d’un ou plusieurs droits patrimoniaux de l’auteur, à savoir le droit de reproduction au sens large ou le droit de communication au public. La reproduction de l’œuvre nécessite l’autorisation de l’auteur sans qu’il soit nécessaire de justifier de l’existence d’un quelconque public. La communication au public est également un droit patrimonial. La communication au public n’entre donc pas en ligne de compte pour déterminer si une œuvre est protégée par le droit d’auteur. Le tribunal de première instance du Brabant wallon (Civ. Brabant wallon, 29 avril 2022, inédit) a d’ailleurs jugé que « la communication au public n’est (…) qu’une conséquence potentielle de l’expression. A aucun moment, il n’est exigé que l’œuvre ait été communiquée au public pour bénéficier de la protection du droit d’auteur ».
L’administration confond en réalité les conditions de la protection par le droit d’auteur et les prérogatives patrimoniales que la loi accorde à l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique, particulièrement le droit de communication au public en vertu duquel seul l’auteur a le droit de communiquer son œuvre au public ou d’en autoriser la communication.
Les principaux arguments soulevés dans le cadre des contrôles par l’administration fiscale ont déjà été rejetés à plusieurs reprises par les cours et tribunaux. Malgré cela, elle persiste à maintenir sa position. Les quelques éléments mentionnés ci-dessus devraient vous permettre de contester cette position illégale.
Source : LawTax, actualités, 20 septembre 2023 - image : pixabay, Mohamed_hassan