Il ne semble pas y avoir de fin à l'histoire de l’évaluation forfaitaire du logement à titre gratuit. Après la jurisprudence abondante – et finalement constante – sur le caractère inconstitutionnel de la distinction faite dans la mise à disposition gratuite d’un bien immobilier par une personne physique ou une personne morale, suivie de la Circulaire 2018/C/57 du 15 mai 2018 et de l’adaptation de l’article 18, §3, point 2 AR/CIR92 par Arrêté Royal du 7 décembre 2018, nous en sommes aujourd'hui au chapitre 4 de la saga.
Commençons par le début. La mise disposition à titre gratuit d'un immeuble bâti par l'employeur ou la société constitue un avantage de toute nature imposable dans le chef du salarié ou du dirigeant d’entreprise qui l'utilise à titre privé (voir ancien article 18, §3, point 2 AR/CIR92). Cet avantage était fixé forfaitairement à 100/60 du revenu cadastral (ci-après "RC") indexé de l’immeuble bâti. Si, toutefois, la mise à disposition était effectuée par une personne morale, l'avantage était estimé à un taux fixe de 100/60 du RC indexé multiplié par 1,25 ou 3,8 (selon que le RC non indexé était inférieur ou supérieur à 745 EUR).
Au cours des dernières années, la jurisprudence a considéré presque sans équivoque que l’évaluation forfaitaire de l’avantage de toute nature pour la mise à disposition d’un immeuble (habitation) était discriminatoire. Dans certains cas concrets, l’augmentation du forfait (en l’application du facteur de 1,25 ou 3,8) ne pouvait plus être appliquée.
Le 15 mai 2018, le SPF Finances a publié sa Circulaire 2018/C/57 selon laquelle l’avantage de toute nature devait être calculé conformément à l'article 18, § 3, point 2, premier paragraphe AR/CIR92 (et donc sans le facteur 1,25 ou 3,8), peu importe qui octroie l’avantage de toute nature.
La Circulaire a confirmé que l’administration fiscale pouvait marquer son accord en ce qui concerne les réclamations et les procédures juridiques dans lesquelles le calcul avait été appliqué conformément à la jurisprudence.
En ce qui concerne les demandes de dégrèvement d'office en application de l'article 376, § 1 du CIR92, la Circulaire précise toutefois que ces demandes doivent être rejetées « étant donné qu'il n'est pas satisfait aux conditions de l'article 376, § 1er et § 2, CIR 92. L'article 376, § 2, CIR 92 stipule qu'un changement de jurisprudence n'est jamais considéré comme un élément nouveau [avec une référence à l’arrêt non-publié du tribunal de première instance d'Anvers du 7 février 2018, 17/2259/A] ».
Afin d'éliminer cette différence de traitement, l'article 18, § 3, point 2 AR/CIR92 devait encore être modifié. Ce fût fait entretemps par l'Arrêté Royal du 7 décembre 2018 modifiant l’AR/CIR92 en ce qui concerne les avantages de toute nature résultant de la mise à disposition à titre gratuit d'immeubles ou de parties d'immeubles (MB 27 décembre 2018) et applicable aux avantages payés ou accordés à compter du 1er janvier 2019. Cet AR remplace les premier et deuxième alinéas de l'article 18, § 3, point 2 AR/CIR92, comme suit :
« L'avantage est fixé forfaitairement à 100/90 du revenu cadastral des immeubles non bâtis ou partie de ceux-ci.
Pour les immeubles bâtis ou partie de ceux-ci, l'avantage est fixé forfaitairement à 100/60 du revenu cadastral, multiplié par 2. »
La possibilité d’introduire une demande de dégrèvement d'office demeurait toujours un sujet de controverse. L'article 376, § 2 CIR92 prévoit en effet expressément qu'un nouveau moyen de droit ou une modification de la jurisprudence n'est pas considéré comme un "fait nouveau".
Cependant, de nombreux contribuables n’ont pas accepté la position que l'administration fiscale a adoptée dans sa Circulaire du 15 mai 2018 et ils ont tout de même déposé une demande de dégrèvement d'office. Les éléments suivants ont été avancés en tant que « faits nouveaux » :
Cependant, ces demandes de dégrèvement d'office n'ont pas été acceptées, laissant ainsi aux contribuables le choix d'engager ou non une procédure judiciaire. Et jusqu'à présent, avec succès.
Nouveau revirement – interprétation du "fait nouveau" pour une demande de dégrèvement d'office
Le tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand, a décidé dans un arrêt récent du 31 janvier 2019 (Rôle : 17/3178/A) que l'arrêt du 24 mai 2016 de la Cour d'appel de Gand (en ce qui concerne l'aspect de l’inconstitutionnalité) peut à juste titre être considéré comme un "fait nouveau" qui ne pouvait pas être invoqué dans le délai normal de réclamation devant l'administration fiscale.
Le tribunal estime en effet qu’il convient de reconnaitre qu’il y a un fait nouveau lorsque des dispositions légales sont déclarées inconstitutionnelles. Selon le tribunal, ce fait nouveau n’est pas "un nouveau moyen de droit ou une modification de la jurisprudence" et ne peut être assimilé à une modification de la jurisprudence (ordinaire). D'autant plus qu'une disposition légale déclarée inconstitutionnelle ne peut être appliquée et doit donc être modifiée.
La décision est la confirmation d'une réponse de longue date – du 12 décembre 2002 – du Ministre des Finances à la Question Parlementaire n° 807 de M. Eerdekens: "La jurisprudence administrative ou judiciaire à laquelle l'article 376 fait référence consiste dans l'interprétation et l'application, par les instances administratives ou judiciaires, de dispositions légales dont la validité n'est pas contestée; [...]" (Q. Parl. n ° 807 de M. Eerdekens du 17 octobre 2001, QRVA 50, 50-2002/2003, 149). A contrario un changement de jurisprudence peut donc être qualifié de "fait nouveau" si une décision est prise sur la légalité d'une norme réglementaire.
Bien sûr, une hirondelle ne fait pas le printemps. Pour le moment, cette jurisprudence est unique en son genre et il faut attendre de voir si l'Etat belge fera appel ou non et/ou si une autre jurisprudence se développera dans l'intervalle.
Les contribuables peuvent donc envisager d’introduire une demande de dégrèvement d’office, avec plus de succès qu'auparavant.
Dans le cadre d’une demande de dégrèvement d'office, le contribuable doit informer l'administration de la surtaxe sur la base d'un "fait nouveau" dans un délai de 5 ans à compter du 1er janvier de l'année au cours de laquelle l’impôt a été établi. Les impôts établis en 2015 et après sont donc toujours éligibles.
Pour l’application d’une demande de dégrèvement d'office, l’impôt ne peut pas déjà avoir fait l’objet d’une réclamation ayant donné lieu à une décision définitive sur le fond (voir article 376, § 1er, 2 ° du CIR92).
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Des articles précédents:
- 17 avril 2018: Le couperet est tombé : il n’y aura plus qu’une formule pour l’évaluation forfaitaire logement gratuit ! https://www.tiberghien.com/fr/1250/le-couperet-est-tombe-il-n-y-aura-plus-qu-une-formule-pour-l-evaluation-forfaitaire-logement-gratuit
- 28 janvier 2019: « C’est fait ! » – Évaluation forfaitaire du logement à titre gratuit : l’AR/CIR92 enfin adapté conformément à la circulaire. https://www.tiberghien.com/fr/1469/c-est-fait-evaluation-forfaitaire-du-logement-a-titre-gratuit-l-ar-cir92-enfin-adapte-conformement-a-la-circulaire
Source : Tiberghien