Faute grave et modes de preuves en 2020 vs vie privée

Les employeurs disposent de moyens technologique afin de pouvoir prouver l'existence de motifs grave. Mais peuvent-ils réellement s'en servir afin de démontrer l'existence d'une motif grave ?


Tant de modes de preuves mais si difficiles à utiliser…

Il est certain que les employeurs – qui ont souvent la « charge de la preuve » - n’auront jamais disposé auparavant d’autant de moyens de preuves que ceux dont ils disposent aujourd’hui. Mais il n’a jamais été aussi malaisé de les utiliser efficacement devant les tribunaux notamment comme preuves de motif grave. Et dans le contexte Covid de télétravail accru l’exercice est encore plus ardu.


La vie privée du travailleur, cette fameuse vie privée…

Chaque mode de preuves présente des défauts inhérents mais l’obstacle le plus sérieux est protection de la vie privée (notamment le RGDP et la loi de 2018) du travailleur acquise même sur le lieu de travail.


Causes de rejets pour les modes classiques de preuve

La jurisprudence a souvent rejeté au nom de la vie privée des modes de preuves dits « classiques » :


  • rapport du détective privé si il a suivi le travailleur 24h/24 ou que ce travailleur n’a pas été informé du traitement des données (CT Bruxelles 9-6-2017, CT Liège 6-2-2015) ;
  • constat d’huissier si les constatations ont été effectuéesau-delà des limites de la vie privée et des attentes légitimes (CT Bruxelles 9-6-2017) ; et
  • preuves trouvées dans un casier fermé à clé et ouvert sans la présence du travailleur ou à l’occasion d’une fouille.


Mais surtout pour les modes de preuves « technologiques » qui dans le contexte COVID / post COVID d’un monde de télé-travail sont devenus essentiels importants


Mais ce sont surtout les modes de preuves « technologiques » dont la production en justice est refusée pour des motifs liés à la vie privée :


  • photos et vidéos d’un vol si le travailleur n’ est pas informé de la présence d’une caméra et que les conditions légales ne sont pas respectées (TT Liège, 13-3-2017);
  • logs d’accès à un bâtiment si le traitement de ces informations a été fait sans respecter la législation ;
  • e-mails ou tchats divers en cas de violation du secret des télécommunications, des attentes légitimes des travailleurs ou du caractère déraisonnable du contrôle si l’intégralité du contenus des e-mails privés est consulté (CT Liège 13-9-2017) ;
  • logs de géolocalisation si le travailleur n’a pas été informé d’un contrôle (CT Gand, 2-3- 2016), de la finalité du système ou que le contrôle est possible en dehors des heures de travail ou 24h/24;
  • données générées par des puces RFID intégrées dans des vêtements ou outils professionnels en l’absence d’un traitement valable ou d’une information ;
  • conversations enregistrées à l’insu de la personne, de façon préméditée (CT Bruxelles 7-1-2015) ou en un lieu où il ne peut s’y attendre ;
  • documents stockés sur un ordinateur dans un répertoire privé ou en l’absence de finalité légitime.


Employeurs démunis ? Non, mais attention !

L’employeur n’est pas démuni. Au contraire, car disposer de nombreux moyens de preuve est positif mais il faut prendre des précautions pour renforcer celles-ci notamment :


  • en mettant en place des règles claires qui soient connues et même acceptées ;
  • en avertissant le travailleur de la possibilité d’un contrôle ;
  • en obtenant si possible un accord au moins de principe sur un contrôle ;
  • en remplissant les conditions pour un traitement valable des données obtenues ;
  • en limitant l’ampleur du contrôle (utilisation de mots clés, pas de contrôle 7j/7 24h/24, limitation des contrôles hors des heures de travail / lieux de travail, limitation des personnes impliquées, maintien d’une confidentialité stricte, etc.) ;
  • en contextualisant la mise en œuvre du mode de preuve – par exemple en matière d’enregistrement de conversations ;
  • en confrontant le travailleur, ce qui permet parfois d’obtenir des aveux ou une sortie négociée, mais sans prendre le travailleur dans un traquenard (nombreux représentants pour la société, pas de possibilité de conseil, pas de délai de réaction, rencontre au travail et non en un endroit neutre, etc.) car la jurisprudence est assez souple sur le vice du consentement.


Et l’employeur veillera surtout à combiner les modes de preuves.


Antigone au secours des employeurs, enfin quand le juge le veut bien…

Si une preuve est illégale en raison d’une atteinte à la vie privée, elle n’est pas d’office irrecevable. En effet, la Cour de Cassation confirmait que le juge peut accepter la production d’une preuve illicite. D’abord en matière pénale (arrêt du 9 juin 2004 dit « Chocolatier Manon ») puis en matière civile (arrêt du 10 mars 2008 ou arrêt « Antigone »). Il faut que la preuve ne soit pas entachée d’un vice préjudiciable à sa crédibilité (par exemple l’enregistrement planifié dans un lieu clos et avec des questions préparées et orientées) ou portant atteinte au principe du procès équitable (par exemple la production d’extraits choisis d’un enregistrement qui n’est lui-même pas produit). La Cour a même rejeté l’effet « domino » c’est-à-dire qu’une preuve obtenue illégalement « viciait » toutes les preuves obtenues ensuite.


La jurisprudence Antigone vient ainsi au secours des employeurs mais en sachant qu’elle n’est pas appliquée de manière cohérente pas les cours et tribunaux du pays et certaines juridictions refusent de suivre cette jurisprudence.


Source : Del law

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