La politique industrielle, pour le pire et le meilleur

Les dés sont jetés, et Donald Trump retournera à la Maison-Blanche en janvier, pour un second mandat de 4 ans. Beaucoup a déjà été dit sur l’impact économique et financier potentiel de cette réélection. Regardons-le dès lors sous un angle particulier, celui de la politique industrielle.

Jusqu’il y a peu, la réaction dominante parmi les économistes au seul énoncé de l’expression « politique industrielle » était franchement négative. Pour un projet Airbus, combien n’y a-t-il pas eu d’échecs d’entreprises à impulsion et à gouvernance publiques ? Il y avait, certes, des pays où cela semblait avoir fonctionné, tels la Corée du Sud ou Israël, mais c’était vu comme l’exception. Pour être des plus brefs, la gauche, en plus de la volonté de se démarquer de la désastreuse planification soviétique, se méfiait du « complexe militaro-industriel » et la droite ne voulait pas de l’immixtion publique dans le monde de l’entreprise, car des pans de profits auraient ainsi été mis à mal.

Et la littérature académique abondait dans ce sens critique à l’encontre de la politique industrielle, mettant notamment en avant l’illusion des pouvoirs publics quant à leur capacité à identifier secteurs et technologiques d’avenir (« to pick the winner »). Tout au plus acceptait-on l’idée qu’il fallait protéger les industries naissantes, mais pour le reste, le rôle de l’Etat était d’assurer les conditions du développement de l’activité économique : éducation, infrastructures, recherche fondamentale, Etat de droit, … Et surtout ne pas voler au secours des entreprises déclinantes, ce à quoi pourtant s’est largement résumée la politique industrielle dans une région comme la Wallonie. N’y a-t-on pas encore jusqu’il y a peu entendu dire que la sidérurgie y était « stratégique » ou, pour utiliser la terminologie revue, « structurante » ?

Ce n’est pas tout : si des pays avec lesquels nous commerçons menaient des politiques industrielles conduisant à subventionner telle entreprise ou telle activité, il ne fallait pas y voir d’abord une distorsion de concurrence, mais un transfert au bénéfice de nos consommateurs. En effet, grâce à cela, ces derniers pouvaient s’approvisionner à moindre prix !

Aujourd’hui, le regard sur la politique industrielle a radicalement changé, non seulement dans le monde politique mais aussi parmi les économistes et les technocrates. Les effets redistributifs et environnementaux de la globalisation avaient commencé à interpeller les sphères académiques, et D. Trump y a ajouté une dimension géopolitique focalisée sur la Chine. La perte d’emplois manufacturiers relativement bien payés et devenue l’image centrale d’un sentiment de déclassement social largement répandu. J. Biden n’a en rien inversé la tendance, vu ce contexte électoral. La domination de la Chine dans des secteurs de haute technologie (terres rares, batteries, voitures électriques, panneaux photovoltaïques, …), la posture nationaliste de Xi Jinping, réaffirmant la primauté du politique sur l’économique, et la prise de conscience, pandémie et invasion russe de l’Ukraine aidant, de la perte de robustesse de nos économies, du fait de chaînes de valeurs avec concentration des fournisseurs et dépendance envers des pays inamicaux, ont également contribué à avoir un autre regard sur la politique industrielle.

Dans son excellent ouvrage « Superpower Europe. The European Union’s Silent Revolution » (Polity, 2024), Marc De Vos est particulièrement percutant dans son traitement de la mutation de la politique industrielle à l’œuvre dans l’Union européenne. D’une défense proclamée de l’économie de marché, avec une volonté de dissocier économie et politique, nous sommes passés à un activisme qui le fait parler de « capitalisme d’Etat », une expression que l’on pensait réservée à la Chine. Et ici, aussi, avec une convergence le long du spectre politique, entre, pour faire simple les partisans d’un Etat interventionniste, les promoteurs d’une transition environnementale plus rapide et, à droite, les partisans de plus de sécurité et de subventions à « nos » entreprises (et à leurs actionnaires).

Joe Biden a ouvert grand les vannes budgétaires pour les entreprises américaines et les consommateurs américains de produits « made in America ». L’Europe a embrayé et, avec la réélection de D. Trump, se dira qu’elle n’a pas d’autre option que d’accentuer le soutien à ses entreprises. Le temps de la Commission européenne gardienne de la concurrence la plus vive et des aides d’Etat les plus faibles semble largement révolu. Et Marc De Vos d’avoir ces mots cinglants : « les entreprises deviennent les implémentateurs des plans gouvernementaux ou des sous-traitants des autorités politiques » (p. 60). Et de se montrer prémonitoire : en laissant tomber une logique « pure » de « que le meilleur gagne » au profit d’une logique de champions nationaux, le risque est réel de voir des tensions émerger entre pays européens cherchant à promouvoir les intérêts, parfois contradictoires, de leurs champions nationaux.

Même si les critiques anciennes à son encontre restent pertinentes, il faut être pragmatique et voir que la politique industrielle connaît un retour en grâce tel qu’elle sera de tous les agendas. Le rapport Drghio est on ne peut plus explicite. Alors, autant que cette politique soit de qualité. Et pour ce faire, lisons, parmi d’autres, les travaux de Mariana Mazzucato (University College, Londres), travaux qu’elle résume dans le dernier numéro de Finance & Development, le trimestriel du FMI, avec une formule qui fait mouche : ayons une politique industrielle, mais où le « pick the winner » est remplacé par le « pick the willing ». L’idée est simple : aidons les entreprises qui veulent s’inscrire dans une mission d’intérêt général, de bien-être social et de durabilité environnementale, mais tout en les laissant choisir le chemin pour répondre à cette mission, sans restrictions excessives nuisant à l’innovation. Ayons des contrats de collaboration entre public et privé, sous condition d’alignement entre le comportement de l’entreprise et les objectifs publics. A titre d’exemple : privilégions celles qui investissent beaucoup en recherche et développement et excluons celles qui consacrent leurs ressources à des rachats d’actions propres. Et pour piloter cette politique industrielle 2.0, il faut investir dans les compétences du secteur public, y cultiver la prise de risque et la coopération avec le privé, et … saquer dans les dépenses de consultance !

Avoir une politique industrielle, ce n’est pas donner des subsides à Audi ou d’autres multinationales en échange, au mieux, de promesses d’emploi ou d’investissement. La politique industrielle de demain doit s’inscrire dans un nouveau contrat social.

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