Plusieurs modifications importantes vont impacter la vie de ceux qui sont chargés de l’administration des personnes morales (qu’il s’agisse de sociétés, d’associations ou de fondations).
La présente brève est consacrée à un point particulier concernant la responsabilité des administrateurs : il concerne la manière dont les cours et tribunaux doivent apprécier la mise en cause de leur responsabilité.
C’est un point un peu technique. On va essayer de le rendre vivant à travers l’un ou l’autre exemple.
Le CS&A confirme la possibilité de mettre en cause la responsabilité d’un administrateur : le membre d’un organe d’administration, le délégué à la gestion journalière, ainsi que toute personne qui détient ou a détenu le pouvoir de gérer effectivement la personne morale « sont responsables envers la personne morale des fautes commises dans l’accomplissement de leur mission. Il en va de même envers les tiers pour autant que la faute commise présente un caractère extracontractuel » (art. 2:56 CS&A).
Ce faisant, le CS&A introduit un régime de responsabilité des administrateurs commun à toutes les personnes morales (alors qu’aujourd’hui, chaque forme de personnes morales dispose d’un régime particulier de mise en cause de la responsabilité de ses administrateurs).
Le CS&A consacre le principe du contrôle marginal comme il suit : les administrateurs « ne sont toutefois responsables que des décisions, actes ou comportements qui excèdent manifestement la marge dans laquelle des administrateurs normalement prudents et diligents placés dans les mêmes circonstances peuvent raisonnablement avoir une opinion divergente » (art. 2:56 CS&A).
Ce principe, consacré de longue date dans la doctrine et la jurisprudence, est aujourd’hui confirmé dans le texte de loi.
Le principe du contrôle marginal prend en compte le fait que dans une situation déterminée, deux personnes normalement diligentes et prudentes peuvent raisonnablement adopter des comportements différents.
Ce principe est issu du droit commun de la responsabilité. On ne peut que citer le passage d’une étude du professeur Foriers dont l’exemple concernant deux personnes tentant d’en sauver une troisième de la noyade est particulièrement parlant :
« On doit en effet admettre que deux bons pères de famille, deux bons administrateurs normalement diligents et prudents peuvent, devant une situation déterminée, adopter des comportements différents voire opposés, qui, tous deux, sont parfaitement raisonnables ou défendables. Il ne s’agit là nullement d’une particularité des responsabilités professionnelles. Certes, on en trouve d’innombrables applications notamment dans le domaine du soutien aux entreprises en difficultés, soutien qui suppose un jugement sur les chances de redressement et, donc, la prise d’un certain risque qui peut être appréciée de manière variable. Mais il se retrouve aussi lorsqu’il s’agit d’apprécier le comportement de passants qui assistent à une noyade dans une rivière ou un canal : l’un plongera – peut-être témérairement d’ailleurs –, l’autre cherchera du secours mais l’on ne saurait pas en déduire que le second aura commis une faute parce qu’il n’a pas adopté le même comportement que le premier.
Il appartiendra en réalité toujours au juge, appelé à apprécier un comportement qui ne contrevient pas à une norme à contenu précis, de rechercher si le comportement incriminé s’écarte de l’un des comportements que pouvait raisonnablement adopter une personne normalement diligente et prudente placée dans les mêmes circonstances » (P.A. Fories et R. Jafferali, « La responsabilité des administrateurs et des membres du comité de direction des sociétés anonymes – Annotations sur le régime général de responsabilité », pp. 17 et 18, disponible sur https://dipot.ulb.ac.be).
Le principe du contrôle marginal, issu du droit commun de la responsabilité, trouve aussi à s’appliquer à la responsabilité des personnes chargées de l’administration d’une personne morale, notamment lorsqu’elles sont amenées à se prononcer sur des investissements importants. Les administrateurs disposent d’une marge d’appréciation, ce qui peut les amener à prendre des décisions différentes, sans qu’on ne puisse pour autant les critiquer.
Cette marge d’appréciation, les cours et tribunaux amenées à statuer sur la responsabilité des administrateurs doivent la respecter (d’où la notion de contrôle marginal).
Le Tribunal de l’entreprise de Bruxelles en a fait une excellente application dans une affaire où il était reproché à des actionnaires minoritaires de s’être opposés à la vente d’un portefeuille d’actions et d’avoir ainsi causé une perte importante à la société, suite à la dépréciation de ce portefeuille : « les défendeurs pouvaient être valablement d’avis qu’il était de l’intérêt de la société dont ils étaient actionnaires de conserver un portefeuille d’actions en bourse et de ne pas vendre ledit portefeuille, même pour affecter le produit de cette vente à l’achat d’obligations de haut rendement, libellées en monnaies stables ; il apparaît sans doute que leur opinion s’est vu infliger, par l’évolution ultérieure du marché des actions, une contradiction sévère, mais que cet aboutissement n’était pas prévisible à l’époque où l’opinion des défendeurs était exprimée, que cette opinion était certainement partagée par des milliers d’actionnaires de sociétés belges ou étrangères, lesquels, se trouvant devant des situations analogues, ont décidé de conserver leurs titres, espérant une reprise du marché des actions » (Comm. Bruxelles, 15/06/1979, J.C.B., 1980, p. 44, cité par J.Fr. Goffin, Responsabilité des dirigeants de sociétés, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 107 et 108).
Le principe du contrôle marginal s’appliquera sans préjudice des nouveaux plafonds de responsabilité.
Mais ceci fera l’objet d’une prochaine brève.