Les plus-values : comptabilité, fiscalité et enjeux en ce compris lors d’une liquidation
Temps de lecture: 8 min |3 mars 2025 à 05:25
Emmanuel Degrève
Partner & Conseil Fiscal @ Deg & Partners
La notion de plus-value est fondamentale en droit et en droit fiscal belge. Elle intervient dans divers contextes, notamment en matière de cession d’actifs, d’imposition et de gestion du patrimoine. Son traitement fiscal diffère selon qu’elle est réalisée par une personne physique ou une société et selon la nature des actifs concernés.
La distinction entreplus-values réalisées, constatées, exprimées et, ou réaliséesest essentielle pour comprendre leurimpact fiscal. Elle soulève des enjeux majeurs, notamment en matière de liquidation d’entreprise.
1. Qu'est-ce qu'une plus-value en droit?
En droit, une plus-value correspond à l’augmentation de la valeur d’un bien ou d’un droit entre son acquisition et sa cession. Elle peut être réalisée de différentes manières :
Par la vente du bien à un prix supérieur à son prix d’acquisition.
Par une réévaluation comptable de la valeur d’un actif.
Par la transformation ou le développement d’un bien entraînant une valorisation accrue.
En matière de droit des biens, une plus-value peut résulter d’événements indépendants de la volonté du propriétaire (comme une évolution du marché immobilier) ou de modifications apportées au bien (améliorations, travaux, etc.).
2. Qu'est qu'une plus-value en droit fiscal belge?
2.1. Imposition des plus-values des personnes physiques
En Belgique, la taxation des plus-values dépend du caractère professionnel ou privé du contribuable.
a) Plus-values privées
Les plus-values réalisées dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé ne sont généralement pas imposables. Cela signifie qu’un particulier qui revend un bien immobilier ou des actions après plusieurs années de détention ne sera en principe pas taxé.
Toutefois, certaines plus-values sont imposables :
Plus-value sur immeuble : Si un bien immobilier est revendu dans les 5 ans suivant son acquisition, la plus-value est taxée à 16,5 % (plus additionnels communaux).
Plus-value sur terrains : Si un terrain est revendu dans les 8 ans, la taxation s’élève à 33 % (ou 16,5 % après 5 ans).
Plus-value sur actions : Si elle résulte d’une activité spéculative ou anormale, elle peut être taxée à 33 % en tant que revenu divers. Prochainement, elle devrait également être soumise à une cotisation spéciale de 10%.
b) Plus-values professionnelles
Les indépendants et sociétés sont soumis à des règles spécifiques. Les plus-values professionnelles sont imposables et doivent être déclarées comme un revenu d’activité :
Si la plus-value est réalisée sur un actif immobilisé utilisé à titre professionnel, elle est intégrée aux bénéfices de l’exercice.
Des régimes de taxation réduite existent, notamment la taxation étalée si le montant de la plus-value est réinvesti dans des actifs similaires, mais nous n'explorerons pas tous les régime dans cet article et nous vous renvoyons à ce propos sur notre Manuel IPP.
2.2. Imposition des plus-values des sociétés
Les sociétés belges sont soumises à l’impôt des sociétés (25 % actuellement) sur leurs plus-values, sauf cas particuliers :
Plus-values sur immobilisations : elles sont imposables mais peuvent bénéficier d’une taxation étalée sous conditions.
Plus-values sur actions : elles sont exonérées sous certaines conditions si elles respectent le régime des revenus définitivement taxés (RDT).
Plus-values sur immeubles : elles sont imposables au taux normal de l’ISOC.
3. Quelle sont les formes que peut emprunter une plus-value ?
Une plus-value est l’augmentation de la valeur d’un actif détenu par une entreprise. Il existe plusieurs catégories de plus-values :
Latente : Augmentation de valeur théorique, non enregistrée comptablement.
Exprimée : Plus-value inscrite dans les comptes mais non encore réalisée.
Constatée : Plus-value inscrite dans un acte juridique ou dans les comptes de liquidation.
Réalisée : Plus-value provenant de la cession effective d’un actif.
Base légale : Articles 43 et 208 du CIR 92 pour les plus-values réalisées et constatées, article 44, §1, 1° du CIR 92 pour l’exonération des plus-values exprimées.
4. Quand une plus-value est-elle constatée, exprimée ou réalisée ?
En comptabilité
Une plus-value latente peut être indiquée en annexe aux comptes annuels, mais n’impacte pas le résultat comptable.
Une plus-value exprimée est comptabilisée lorsque l’actif est réévalué ou transféré entre comptes, sans changement de propriétaire.
Une plus-value réalisée est enregistrée lorsque l’actif est cédé.
En fiscalité
Une plus-value réalisée est imposable dès la cession effective de l’actif (art. 43 CIR 92).
Une plus-value constatée est imposable même sans vente, si elle apparaît dans un acte officiel (art. 208 CIR 92).
Une plus-value exprimée mais non réalisée peut être exonérée sous conditions (art. 44, §1, 1° CIR 92).
Exemple
Une société détient un immeuble acheté 100 000 €.
En 2025, la valeur marchande est de 150 000 €.
Si la société réévalue son actif, elle inscrit une plus-value exprimée de 50 000 €, mais sans transaction.
Si elle vend l’immeuble pour 160 000 €, elle réalise une plus-value réalisée de 60 000 €.
5. Pourquoi la distinction entre plus-value réalisée et constatée est-elle importante sur le plan fiscal ?
Le traitement fiscal des plus-values varie selon leur nature :
Plus-value réalisée
Imposable immédiatement lors de la cession.
Calculée comme la différence entre le prix de vente et la valeur nette comptable (art. 43 CIR 92).
Plus-value constatée
Peut être imposée même sans vente, si elle est mentionnée dans les comptes de liquidation (art. 208 CIR 92).
L’administration fiscale peut prouver une plus-value constatée à l’aide d’éléments externes (ex. : expertise immobilière, acte de partage).
Plus-value exprimée mais non réalisée
Exonérée en vertu de l’article 44, §1, 1° du CIR 92, si elle résulte d’une réévaluation sans cession effective.
Imposable si elle devient constatée dans un acte juridique.
Conséquence fiscale majeure
Une plus-value constatée peut être imposée sans qu’il y ait de flux de trésorerie, ce qui peut créer une charge fiscale imprévue.
6. Pourquoi cette distinction est-elle encore plus cruciale en cas de liquidation ?
Lorsqu’une société est dissoute et liquidée, elle doit clôturer ses comptes et répartir son patrimoine. Selon l’article 208 du CIR 92, les plus-values réalisées ou constatées sont imposables lors de la liquidation.
Cas particulier des plus-values exprimées en liquidation
Si un bien est réévalué avant la liquidation, la plus-value exprimée reste exonérée.
Si le bien est attribué aux associés, l’administration fiscale peut considérer que la plus-value devient constatée et imposable.
Exemple
Une société en liquidation détient un immeuble inscrit à 100 000 € en comptabilité, mais qui vaut 200 000 €.
Si ce bien est réévalué avant liquidation, la plus-value exprimée de 100 000 € reste exonérée (art. 44, §1, 1° CIR 92).
Si ce bien est attribué à un associé, l’administration peut considérer qu’une plus-value constatée de 100 000 € est imposable.
Source juridique : Cour d’appel de Gand, arrêt du 30 avril 2024, confirmant que l’administration peut imposer une plus-value constatée même en l’absence de cession.
Conseils et Recommandations
Anticipez le traitement fiscal des plus-values
Vérifiez si une plus-value est exprimée, constatée ou réalisée.
Enregistrez avec prudence les réévaluations comptables, car elles peuvent entraîner des implications fiscales.
Surveillez les conséquences en cas de liquidation
Si la liquidation implique la distribution d’actifs, évaluez les risques liés aux plus-values constatées.
Documentez bien la valeur des biens transférés pour éviter une réévaluation fiscale excessive.
Appuyez-vous sur la jurisprudence et les règles comptables
L’arrêt de la Cour d’appel de Gand (30 avril 2024) confirme que l’administration fiscale peut imposer une plus-value constatée sans qu’elle soit mentionnée dans un document comptable.
Soyez attentif aux implications des réévaluations comptables.
Optimisez la fiscalité des plus-values
Profitez de l’exonération des plus-values exprimées prévue par l’article 44, §1, 1° CIR 92.
Envisagez des mécanismes d’étalement pour les plus-values réalisées (ex. : réinvestissement).
Préparez une documentation solide en cas de contrôle fiscal
Archivez les éléments justifiant la valeur des actifs.
Anticipez les contrôles pour éviter que l’administration ne requalifie une plus-value exprimée en plus-value constatée.
Conclusion
La distinction entre plus-value réalisée, constatée et exprimée est essentielle en fiscalité d’entreprise. En cas de liquidation, elle peut avoir un impact significatif sur la charge fiscale.
L’article 44, §1, 1° CIR 92 offre une exonération précieuse pour les plus-values exprimées mais non réalisées, mais cette exonération n’est pas automatique en cas de liquidation.
Les experts-comptables et conseillers fiscaux doivent être particulièrement vigilants face à l’interprétation stricte de l’administration fiscale, qui peut imposer une plus-value même sans transaction effective.
Face aux risques de requalification fiscale, il est impératif d’anticiper ces enjeux, d’optimiser la gestion des plus-values et de s’appuyer sur la jurisprudence récente pour éviter des charges fiscales inattendues.
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