À la question de savoir qui dirige l’Europe, on peut répondre, tout naturellement, par une technocratie opaque chapeautée par une commission et un conseil. Le parlement européen est, aux yeux de tous, un magma de faible densité démocratique.
Je défie d’ailleurs tout citoyen à connaître le nombre et le nom de nos députés européens.
Mais le vrai maître de l’Europe, c’est la BCE. En effet, cette institution détient plus du tiers des dettes publiques de la zone euro. Les États en sont les débiteurs. Et même si la BCE, qui échappe à tout contrôle démocratique sérieux et transparent au motif de son indépendance, s’en défend, elle suppose l’établissement d’un ordre monétaire, donc politique, puisque la monnaie est un fait politique.
C’est très clair, puisque la BCE incarne l’attribut de confiance monétaire : c’est un ordre capitaliste.
D’ailleurs, depuis la création de l’euro, lors de la signature du Traité de Maastricht, les choses étaient claires : pour réduire le déficit budgétaire et l’endettement public, il fallait réduire les dépenses sociales dont l’embrasement était inévitable à l’aune du vieillissement de la population.
Et, aujourd’hui encore, la BCE augmente aveuglément les taux d’intérêt. Il s’agit de brider l’inflation. Mais cette institution rappelle à chaque communiqué que cette inflation est liée à la « spirale » (le mot ramène aux enfers de Jérôme Bosch) des prix-salaires. En d’autres termes, s’il était possible que les salaires subissent l’inflation par une diminution de pouvoir d’achat, ce serait encore mieux.
Cette idée est le prolongement d’une idée néolibérale de Jean-Claude Trichet (1942 -), ancien président de la BCE, qui prônait, dès les années quatre-vingt, des désinflations compétitives consistant à baisser les coûts salariaux pour augmenter la productivité concurrentielle française. Or cette politique n’a eu aucun effet, sinon d’aggraver les inégalités sociales et le chômage structurel.
Et puis, lorsqu’on martèle que les pays de la zone euro doivent subir des réformes structurelles, de quoi parle-t-on ? De la déconstruction du modèle social. À nouveau.
La BCE augmente ses taux d’intérêt au motif qu’il faut combattre l’inflation. Cette institution croit-elle en l’efficacité de ses actions ? Je ne sais pas.
Depuis des années, l’acmé monétaire consiste à affirmer que le seuil d’inflation ne peut pas dépasser 2 %.
À cet égard, il est utile de souligner que le chiffre de 2 % d’inflation ne découle pas du Traité de Maastricht. En mai 2003, le Conseil des gouverneurs de la BCE a uniquement confirmé une décision de 1998 définissant la stabilité des prix comme « une progression sur un an de l’indice des prix à la consommation harmonisé inférieure à 2 % dans la zone euro ».
Alors 2 %, c’est bien, c’est tout rond et c’est un nombre pair.
Mais croire que l’inflation, dont l’alimentation structurelle est liée aux injections monétaires auxquelles cette même BCE a procédé depuis dix ans, va baisser suite à une hausse des taux d’intérêt est autant infondé que d’affirmer que la baisse des taux d’intérêt, subie depuis des années, l’a suscitée.
Car si c’est le cas, il fallait savoir ce qu’on voulait, et pas tout et son contraire.
En vérité, le problème est une question de symbolique et de numérologie.
Le seuil de 2 % est infondé.
Il faut tolérer une inflation plus élevée et garder des taux d’intérêt plus bas que ce seuil d’inflation, afin que les taux d’intérêt après déduction de l’inflation, c’est-à-dire les taux d’intérêt réels, soient négatifs. C’est d’ailleurs la seule manière civilisée de rembourser une dette publique.
Un homme porte ce message depuis des années : il s’agit d’Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, qui suggère de porter le seuil d’inflation des banques à 3 ou 4 %.
Bien sûr, cela entraînerait la question de la légitimité des postures antérieures de la BCE.
Mais cela est moins important qu’une gestion assainie de la monnaie.