Semaine de quatre jours: “Les enjeux ne sont pas négligeables!”

La possibilité d’aménager son temps de travail sur quatre jours plutôt que cinq est une mesure-phare du “deal pour l’emploi” récemment conclu par le gouvernement.

Bruno Van der Linden, professeur émérite à l’Economics School of Louvain, le remet en perspective.

Que dit la semaine de quatre jours du rapport des employeurs et des employés au temps de travail?

Il faut d’abord bien distinguer cette mesure des revendications de temps de travail hebdomadaire historiquement portées par le banc des travailleurs. Celles-ci ont concerné la réduction de la durée légale et les modalités de développement du travail à temps partiel. Dans le cadre du “deal pour l’emploi”, on parle d’adaptation de l’organisation pour refléter l’évolution des modes de vie, contraints ou souhaités, tout en restant dans les limites d’une durée légale inchangée. C’est donc bien un aménagement et non une réduction. À cet égard, la dénomination “semaine de quatre jours” peut prêter à une confusion sémantique que certains syndicats regrettent. Cela dit, dans un cas comme dans l’autre, on retrouve une similitude dans les enjeux d’agencements concrets.

Quels sont ces enjeux?

Au plan social, on peut citer l’impact sur la mobilité et le bien-être des travailleurs. Et au niveau des entreprises se posent bien sûr les questions d’organisation et de performance. Si une société passe à ce régime de quatre jours sur cinq pour tous ses employés, sera-ce pour fermer le site un jour de plus par semaine ou, au contraire, y organiser le travail six jours sur sept avec un pool de travailleurs à temps plein et un autre à temps partiel? En fonction de cela, quel sera l’impact de l’usage plus ou moins intensif des installations et équipements sur les coûts de l’entreprise? Et comment mettre ceux-ci en parallèle avec les effets de ces quatre jours sur cinq sur la productivité des travailleurs? Ce sont là des enjeux non négligeables!

Une étude récente menée en Angleterre suggère que le passage à quatre jours ne nuit pas à la productivité. Ce passage ne correspond-il pas aux aspirations de notre temps, favorisées par le télétravail?

N’oublions pas, pour commencer, que quantité de métiers ne peuvent se pratiquer en télétravail. Ensuite, il faut toujours regarder ce genre d’étude limitée et ponctuelle avec beaucoup de rigueur. Si l’on se base sur nombre d’autres études, on admet en général qu’historiquement, la diminution progressive du nombre d’heures prestées par jour a contribué à l’augmentation de la productivité des travailleurs ces dernières décennies. Or, travailler quatre jours au lieu de cinq, cela implique de plus longues journées. Il faudra dès lors observer l’impact de ces plus longues plages de travail sur l’efficacité horaire moyenne d’un travailleur, qui va probablement diminuer un peu. À l’échelle d’une entreprise, cependant, on ne peut en tirer de conclusion pour autant, car ceci sera peut-être surcompensé par des gains d’autre nature.

Une telle mesure peut-elle être favorable à l’emploi?

On lie depuis longtemps les questions de temps de travail et d’emploi. Lors du premier choc pétrolier de 1974, lorsque le chômage a explosé dans les économies occidentales, le travail à temps partiel et les prépensions ont fait partie des outils employés pour tenter de résoudre les problèmes de chômage de masse. On voyait le travail comme un gâteau à partager pour le plus grand nombre. Mais même à l’intérieur de ce cadre – on parle ici de réduction du temps de travail légal et non d’aménagement –, les études menées dans plusieurs pays ne permettent pas de tirer des conclusions définitives sur les initiatives prises. Les variables utilisées dans les modèles et les effets induits, comme l’usage fait du temps dégagé par l’employé ou les effets du coût du travail sur le remplacement homme/machine, ainsi que les autres facteurs économiques qui impactent l’emploi, sont nombreux et complexes. Et puis, les mesures adoptées par les gouvernements ont souvent été détricotées ou réaménagées par les suivants.


Source : Partena professionnel, presse, novembre 2022

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