Taxer les riches : les nuances du débat!

En vérité, le débat ne sera jamais tranché, car la taxation des plus-values opposera toujours le juriste et l’économiste. Il est donc impossible de déterminer si une taxation des plus-values est source de justice fiscale ou d’inefficience économique.

Plusieurs partis politiques soutiennent une augmentation de la taxation du capital pour combattre les inégalités sociales et fiscales. Si celles-ci se creusent incontestablement malgré une large redistribution étatique, une taxation des riches ne constitue pas une solution structurelle aux déséquilibres sociaux. Au reste, il est peu clair que cette taxation soit efficace et redistributive. Mais si cette réclamation peut paraître populiste, voire outrancière à certains, il faut en écouter le fondement moral qui traduit la dualisation croissante de nos sociétés. Au moins un cinquième de la population belge vit dans la pauvreté ou en situation de précarité.

De multiples formes

Imposer la richesse revêt de multiples formes. On peut taxer un patrimoine mobilier, comme c’est le cas à travers la taxe sur les comptes titres qui entraîne un prélèvement modique dans l’hypothèse d’avoirs supérieurs à un million d’euros. On peut aussi taxer la transmission d’un patrimoine (droits de donation ou de succession) et même sa transformation (droits d’enregistrement ou TVA sur les mutations immobilières).

Bien sûr, à ces réalités, on opposera le fait qu’une imposition du capital constitue une double taxation puisqu’un capital a normalement déjà été imposé au moment de sa formation. Cet argument est valide, mais passé un certain seuil de biens patrimoniaux, un capital bien diversifié et détenu à long terme possède sa propre dynamique d’accroissement. En d’autres termes, une fois qu’un citoyen devient le propriétaire d’actifs mobiliers ou immobiliers qui constituent un patrimoine que je qualifie d’autonome, la logique d’accroissement n’est plus la même que celle d’un travailleur sans possibilité d’épargne. On devient alors supérieurement rémunéré pour le risque qu’on prend parce que la base de capital permet d’en prendre. Quelle est la frontière de richesse qui entraîne cette dynamique patrimoniale ? 1,25 million € ou 5 millions € ? Je ne sais pas. C’est incidemment la raison pour laquelle il est illogique qu’un entrepreneur en capital à risque soit taxé de la même manière qu’un rentier.

Au-delà de ces constats, la taxation du capital exigerait un cadastre des fortunes qui compilerait l’ensemble des biens d’un contribuable, et surtout leur évaluation correcte. C’est très complexe, raison pour laquelle seuls les actifs cotés en bourse font souvent l’objet d’une taxation. C’est aussi pour cette raison que le débat immédiat porte, en vérité, sur l’exonération des plus-values sur les valeurs mobilières, à savoir essentiellement des actions cotées.

Redistribution

Le législateur de 1962 avait affirmé, dans le sillage de la réforme fiscale de 1919, l’exonération, sauf exception, des plus-values sur actions gérées en “bon père de famille”. Cette exonération se justifie parce que vendre une action ne modifie pas les actifs de l’entreprise, mais transfère simplement des parts d’un actionnaire à un autre. Autrement dit, la plus-value générée ne crée pas de nouvelle base imposable, mais redistribue simplement la valeur existante entre actionnaires.

D’aucuns argumenteront que certaines plus-values sont spéculatives et s’offrent plus naturellement à une imposition particulière. C’est parfaitement correct : plus on est nanti, plus on peut spéculer. Mais une telle orientation exigerait de préciser le caractère spéculatif des transactions sur actions sur base d’éléments codifiables, restant à définir.

En vérité, le débat ne sera jamais tranché, car la taxation des plus-values opposera toujours le juriste et l’économiste. Pour le juriste, une plus-value est distincte d’un revenu, et sa taxation est légitime. Pour l’économiste de marché, la plus-value n’est que la somme de revenus passés ou futurs qui sont accumulés et distribués à un certain moment : une plus-value n’est donc pas un fait générateur d’impôt. C’est ainsi qu’il est impossible de déterminer irréfutablement si une taxation des plus-values est source de justice fiscale ou d’inefficience économique.

Profondes réformes fiscales

Il y a néanmoins autre chose : au fil des années, l’impôt est devenu exclusivement progressif sur les revenus du travail, ce qui est injuste puisque ce dernier correspond très rapidement à un taux d’imposition de 50 % alors que la précarité “biologique” du travail est indiscutable. On en arrive alors à cette stupéfaction que les revenus les plus vulnérables, à savoir ceux du travail, sont plus taxés que ceux qui survivent à l’humain, à savoir les revenus du capital. Dans la même logique, le travail ne crée aucune plus-value, mais uniquement des revenus taxables, alors que les plus-values sur le capital sont souvent exonérées.

Les prochains gouvernements ne pourront donc pas faire l’économie de profondes réformes fiscales. L’idée d’une reglobalisation de tous les revenus, à savoir une taxation homogène des revenus du travail et du capital, et peut-être même de certaines plus-values spéculatives, semble donc légitime afin d’appréhender correctement la capacité contributive des citoyens, c’est-à-dire leur tribut au financement de l’État. La fiscalité représente le contrat d’une nation signé avec elle-même. Elle reflète le projet de société. C’est pour cette raison que si la revendication de “Tax the Rich” est lapidaire, elle capture autre chose, à savoir la nécessité d’une réforme fiscale réfléchie et consentie.

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