L’éducation est cruciale pour le développement de la société. Elle est aussi un élément clé pour notre économie. Cet article se penche sur le niveau scolaire des élèves en Belgique. Alors qu’il était déjà en baisse ces dernières années, ce niveau a encore diminué à la suite de la pandémie de Covid-19. Sans rattrapage, le coût économique à long terme de cette baisse du niveau scolaire serait considérable.
L’éducation est centrale pour le bien-être des personnes et le développement de la société. Le diplôme obtenu est un déterminant du bien-être des personnes (Joskin, 2018). De même, celles détenant un diplôme plus élevé sont en moyenne en meilleure santé, ont moins de risques d’être au chômage ou de tomber dans la pauvreté (ICN/BFP, 2022).
En matière d’éducation, les indicateurs compilés par le BFP montrent certaines améliorations. Le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur ne cesse de croître. Dans le même temps, le nombre de jeunes en situation de décrochage scolaire diminue.
En dehors de ces résultats positifs, le niveau scolaire montre une tendance à la baisse. Les résultats des enquêtes internationales TIMSS [1], PIRLS [2] et PISA [3] vont tous dans la même direction : une baisse des performances en lecture (maîtrise insuffisante de la lecture), mathématiques et sciences depuis une dizaine d’années en Belgique.
Les enquêtes PISA, réalisées auprès d’élèves âgés de 15 ans, montrent qu’en 2018 environ 20 % des élèves belges n’avaient pas le niveau élémentaire dans une des trois matières (OECD, 2019). Depuis 2003, la baisse pour les mathématiques est constante. Cette baisse est aussi relativement plus marquée que pour les deux autres matières (voir graphique 1).
Au-delà des moyennes, ces résultats montrent aussi d’importantes inégalités. Les élèves ont de meilleurs résultats s'ils sont, par exemple, issus de milieux socioéconomiques plus favorables ou si leurs parents ont un diplôme de l’enseignement supérieur.
La pandémie de Covid-19 a bouleversé la vie des personnes dans son ensemble. Les élèves n’ont pas été épargnés. Il ressort des données statistiques que le bien-être des jeunes a particulièrement baissé depuis mars 2020 (ICN/BFP, 2022). La fermeture des écoles et la scolarisation à distance ont contribué à cette baisse. En effet, l’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage mais aussi un lieu pour le développement des compétences sociales et affectives des plus jeunes.
La fermeture complète des écoles a été de 9 semaines en Belgique, principalement entre mars et juin 2020. L’année scolaire 2020-2021 a également été marquée par des fermetures partielles pour certains niveaux de l’enseignement et/ou certaines écoles. En analysant les données récoltées par l'UNESCO depuis le début de la pandémie, il apparaît que les fermetures d’écoles ont été plus nombreuses en Belgique qu’en France mais relativement moins qu’en Allemagne ou aux Pays-Bas.
Différentes études se sont penchées sur la question de l’impact de la pandémie sur le niveau scolaire à partir de données de tests standardisés collectés dans l’enseignement primaire. Les résultats provenant notamment d’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni sont unanimes (Donnelly et al., 2021). La pandémie a entraîné une baisse significative du niveau scolaire et une hausse des inégalités entre élèves. Cette baisse concerne toutes les matières analysées : les langues (lecture et écriture), les mathématiques et les sciences. Aux Pays-Bas, et après le premier confinement, la perte d’apprentissage est équivalente à environ 20 % des acquis d'une année scolaire normale (Engzell et al., 2020). Toujours aux Pays-Bas, les données montrent que cette perte s’est accentuée durant l’année scolaire 2020-2021 (Haelermans et al., 2021). Un an après le début de la pandémie, la perte d’apprentissage est équivalente à environ 30 % des acquis d'une année scolaire (voir tableau 1).
En Belgique, les données provenant de la communauté flamande indiquent elles aussi une baisse du niveau scolaire et une hausse des inégalités.
Une étude réalisée à partir de données collectées par le réseau de l’enseignement catholique flamand, fin juin 2020, auprès d’élèves de 6e primaire, montre une perte d’apprentissage plus importante qu’aux Pays-Bas (Maldonado et al., 2020). Les sciences et les langues sont relativement plus impactées que les mathématiques.
Les données collectées par le réseau public de l’enseignement flamand vont dans le même sens (GO! onderwijs, 2021). Il apparaît qu’environ un élève sur deux a pris du retard dans les apprentissages. Ce retard est qualifié de très important pour 25 % des élèves du primaire contre 20 % dans le secondaire. Ici aussi, les chiffres montrent un accroissement des inégalités entre élèves.
Les données collectées plus d’un an après le début de la pandémie par le réseau de l’enseignement catholique flamand indiquent que la perte d’apprentissage, entre juin 2020 et juin 2021, s’est accentuée pour les langues (Gambi et al., 2021). La perte observée en juin 2020 pour les mathématiques et les sciences s’est en revanche stabilisée. Quelles que soient les matières analysées, il n’y a donc pas eu d’effet de rattrapage lors de l’année scolaire 2020-2021.
À partir de ces mêmes données, la perte d’apprentissage entre mars 2020 et juin 2021 est estimée à 53 % des acquis d’une année scolaire normale, soit 21 semaines de cours (voir tableau 1). Pour les langues et les sciences ce pourcentage est plus élevé : environ 60 %. Pour les mathématiques la perte est relativement plus faible et estimée à 28 % d’une année scolaire.
Ces résultats vont dans la direction de ceux pointés dans certaines études selon lesquelles il n’y a pas de rattrapage en cas de pertes d’apprentissage en milieu scolaire (Gambi et al., 2021). Les données qui seront collectées en juin 2022 permettront d’évaluer la situation deux ans après le début de la pandémie et de vérifier si un rattrapage a eu lieu.
L’absence de données comparables en communauté française ne permet pas d’avoir une vue complète sur la situation en Belgique [4]. Certains éléments laissent toutefois penser que la baisse du niveau scolaire pourrait avoir été plus importante encore pour les élèves francophones. Tout d’abord, d’après les résultats de la dernière enquête PISA, le niveau scolaire y est, en moyenne, relativement plus bas (OECD, 2019). Or, les études citées ici montrent que la pandémie a proportionnellement plus impacté les élèves avec de moins bons résultats scolaires. Ensuite, à l’inverse de la communauté flamande, il n’y a pas eu d’apprentissage de nouvelles matières à distance lors du premier confinement (FWB, 2020) ni de cours de rattrapage à grande échelle dédiés aux élèves en difficultés durant l’été 2020 (Gambi et al., 2021).
Une baisse du niveau scolaire a de nombreuses conséquences qui freinent le développement de l’ensemble de la société. Elle a également un coût économique notamment à travers une baisse des revenus individuels et du produit intérieur brut (PIB).
L’impact sur les revenus est bien documenté. Un rapport conjoint de l’UNESCO, l’UNICEF et la Banque mondiale estime que la perte d'apprentissage durant la pandémie réduirait les revenus cumulés tout au long de la vie par les élèves actuels à hauteur de 14 % du PIB mondial (Azevedo et al., 2021). À partir de résultats d’une autre étude, il ressort qu’en Belgique la perte d’apprentissage durant la pandémie pourrait faire baisser le salaire de la génération actuelle d’élèves d’environ 3,9 % (Hampf et al., 2017). Ce coût économique n’est pas encore visible aujourd’hui. Il ne le sera que lorsque ces élèves entreront sur le marché du travail.
Le lien entre le niveau scolaire et le PIB est lui aussi bien établi. Selon une estimation récente publiée par l’OCDE, une perte d’apprentissage limitée à la génération actuelle d’élèves et équivalente à 50 % des acquis d'une année scolaire normale ferait en moyenne baisser le PIB de 2,2 % (Hanushek et al., 2020). Selon une autre étude, également publiée par l’OCDE, cette baisse serait d’environ 3,6 % en Belgique (Hanushek et al., 2015). Ces chiffres annuels moyens partent de l’hypothèse que la baisse de niveau scolaire observée durant la pandémie persiste dans le temps. En multipliant ces chiffres par le nombre d’années durant lesquelles les élèves travailleront, le coût économique serait considérable.
Les conséquences de la pandémie ne sont pas encore toutes visibles. Certaines ne le seront qu’à long terme. Les données disponibles aujourd’hui en Belgique montrent que la pandémie a fait baisser le niveau scolaire. Certes, les données sont limitées aux élèves de 6e primaire et à la communauté flamande. Il n’y a toutefois pas de raisons que ce constat ne soit pas partagé à l’échelle de la Belgique tout entière. Autre constat, cette baisse persiste dans le temps. Sans interventions, il semble donc probable qu’elle s’inscrive dans la société sur le long terme.
La baisse du niveau scolaire en Belgique n’est pas nouvelle. Elle s’observe déjà depuis une dizaine d’années à travers les données d’enquêtes internationales. La pandémie est donc venue amplifier cette tendance.
La perte d’apprentissage a de nombreuses conséquences. Outre celles sur le bien-être des personnes et le développement de la société, elle impacte aussi l'économie notamment à travers une baisse des revenus individuels et du PIB. Sans rattrapage, les estimations actuelles indiquent que le coût à long terme de la baisse du niveau scolaire observée durant la pandémie serait considérable.
Au vu du coût que représente une baisse du niveau scolaire et des nombreux défis à relever dans le futur (vieillissement de la population, changement climatique, etc.), suivre l’évolution du niveau scolaire des élèves est crucial. Un tel suivi doit permettre d’objectiver la situation et de prendre des mesures pour combler les retards.
[1] Trends in Mathematics and Science Study
[2] Progress in Reading Literacy Study
[3] Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves
[4] La communauté germanophone n’est pas couverte dans cet article, par manque d'informations quant au niveau scolaire avant et pendant la pandémie.
Source : Bureau fédéral du Plan