Lorsqu’un couple d’associés se sépare, il n’est pas rare que chacun fasse feu de tout bois pour tirer la couverture à lui, augmenter les revenus nets "économiques" du couple pour maximiser ou minimiser la pension qui sera due par l’un à l’autre. Les optimisations fiscales bénéficient aux deux parties tant que le couple va bien mais la mémoire fait parfois défaut à l’heure de régler les comptes.
L’ajout d’un second paragraphe à l’article 1432 du Code civil par la loi du 22 juillet 2018 aurait pu passer inaperçu ; nonobstant, il pourrait peser sur les relations de couples divorçant, impacter nombre de pensions alimentaires après divorces ou influencer la répartition de patrimoines. Par ricochet, il pourrait encore impacter le fonctionnement des entreprises concernées par de longues procédures judiciaires.
La part de la fiscalité et des charges sociales se réservant la part du lion des revenus professionnels, les optimisations sont légions en Belgique. Tant que les normes fiscales sont respectées, personne ne devrait avoir à y redire. Sauf que la modification de l’article 1432 pourrait bien ajouter le respect du socialement correct à celui des normes fiscales.
Voici le texte ajouté : "Le conjoint qui exerce sa profession au sein d’une société dont les actions lui sont propres doit une récompense au patrimoine commun pour les revenus professionnels nets que le patrimoine commun n’a pas reçus et qu’il aurait raisonnablement pu recevoir si la profession n’avait pas été exercée au sein d’une société."
Il s’agit donc de comparer les revenus nets perçus par le fait d’exercer en société à ce qu’ils auraient été en personne physique. La disposition vise à rendre au patrimoine commun les sommes, nettes d’impôts, qui ne furent pas mises à sa disposition du fait de l’activité en société dont l’autre conjoint bénéficia exclusivement. Ne sont pas visés les autres revenus, à savoir immobiliers, mobiliers et divers.
Le nouveau texte pourrait peser sur les relations de couples divorçant, impacter nombre de pensions alimentaires après divorces ou influencer la répartition de patrimoines.
Le nouvel article 1432 permet au juge chargé de déterminer le montant d’une pension alimentaire de comparer les revenus réels à ce qu’ils auraient été si la société n’avait pas existé: les revenus professionnels auraient été perçus en tant que personne physique, commerçante ou titulaire d’une profession libérale.
Il y a peu de chance pour qu’un époux reproche à l’autre d’avoir par exemple bénéficié d’une voiture imposante. Car en société ou en personne physique, l’usage de la voiture est relativement identique. Sauf qu’il pourrait arguer que la pression fiscale aurait été différente en personne physique et que le couple se serait satisfait d’une voiture moins onéreuse ou d’un vélo, économisant dès lors plus. Et revendiquer 50% de la différence.
Les engagements individuels de pension, plus particulièrement les "back service" obéissent souvent à des motivations fiscales ; ils pourraient être discutés, un tel montant reçu dans le futur valant nettement moins qu’un revenu après sa taxation aujourd’hui.
Imaginons la vente d’une société. À la place d’une plus-value nette d’impôt dans la plupart des cas, les calculs alternatifs pourraient bien amputer la cession du fonds de commerce de 16,5% ou 33% d’IPP ou même être imposés au taux marginal.
Le nouvel article 1432 vise donc non seulement les optimisations fiscales mais également les rémunérations alternatives généralisées. Devient-il répréhensible de choisir la voie la moins imposée dans le contexte fiscal belge?
Les choix stratégiques d’une société pourraient-ils être remis en cause par l’ex-conjoint du dirigeant ? Pourrait-il être reproché d’avoir baissé ses émoluments pour investir dans de nouvelles machines, de la publicité ou reporté le bénéfice afin de renforcer l’entreprise ? Que penser du dirigeant de PME ayant réduit son package financier avec la perspective de céder sa PME quelques années plus tard ? Ou encore de privilégier la distribution de dividendes ?
A priori, le nouvel alinéa de l’article 1432 ne vise pas à remettre en cause les stratégies des entreprises: il se limite à comparer les revenus professionnels nets perçus en société à ce qu’ils auraient été en personne physique. Mais ce pourrait être un effet collatéral.
Est-ce la fin des optimisations fiscales ou du mariage ? Non, pour autant que chacun en ait pour son compte et que les accords et conditions de rémunération soient clairs entre associés et conjoints. Et qu’en cas de séparation, le patrimoine soit réparti de manière équitable.
Source : L'Echo