L’observateur de la chose publique espère que son analyse critique non seulement complète le décryptage offert par les journalistes (voir l’Echo, 31 mars 2023) mais aussi, tout en respectant le partage des rôles qui veut que ce soit le politique qui décide et non l’expert – d’ailleurs au degré d’expertise variable – qu’il aura un début d’influence anonyme sur le cours ultérieur des choses. Et c’est avec cet espoir qu’il convient de revenir sur le récent contrôle budgétaire du gouvernement fédéral.
La première chose à dire consiste en un rappel : en termes de mesures, le plus important n’est que rarement dans ce qui a été décidé mais réside dans ce qui n’a pas été tranché. C’est encore le cas cette fois-ci, avec les espoirs continuellement différés de réforme des retraites, de la fiscalité ou du marché du travail. Attention, toutefois, à ne pas tout attendre d’un contrôle budgétaire. Ce serait d’ailleurs malsain et même nuisible d’aborder les réformes structurelles sous l’angle budgétaire, qui est un angle court-termiste. Une bonne décision publique, même si elle commence par coûter, est et reste une bonne décision. L’aborder sous l’angle budgétaire pourrait néanmoins conduire à l’écarter. Bien sûr, écrire ceci n’est en rien abandonner toute préoccupation pour le solde budgétaire des 12 ou 24 mois à venir. Avec leurs déficits actuels, les autorités politiques belges jouent avec le feu, en particulier celui de l’écartement des différentiels (« spreads ») d’intérêt.
La deuxième chose à dire consiste en un autre rappel : le plus important pour le bon fonctionnement des pouvoirs publics n’est pas la bonne mesure additionnelle qui serait prise ou pas mais de bien faire fonctionner l’existant. Qu’il s’agisse de la justice (fédérale) ou de l’école (communautarisée), l’essentiel n’est pas dans les centaines de millions en plus que l’on voudrait y mettre mais dans le bon usage des milliards qui y sont mis ! Ce dont nous souffrons d’abord est un problème de management, où les bonnes intentions ont conduit à des inefficacités et aussi, plus fréquemment qu’on le pense, à de l’inéquité.
Ce n’est qu’après ce double rappel que doit se placer, dans un troisième temps, le commentaire sur certaines des dispositions adoptées. Et ici, l’image globale est certainement globalement positive. On aurait voulu en avoir plus, mais ne boudons pas un pas globalement dans la bonne direction. Mettons en exergue les points suivants.
D’abord, s’agissant du solde budgétaire, il est bon d’avoir maintenu un objectif de réduction du déficit. EUR 1,8 milliard semble peu en regard, par exemple, ce que qu’a coûté le non-ciblage des aides publiques face à la Covid et à la hausse des prix de l’énergie, mais c’est mieux que rien.
Le plafonnement de la mesure « zéro cotisation » pour le premier emploi va dans le bon sens, l’objectif devant être de supprimer ce dispositif. Où est l’évaluation sérieuse de ce « zéro coti » coûteux, et s’il vous plait, qu’on ne nous ressorte pas le nombre élevé de personnes bénéficiaires ! Ce nombre ne peut tenir pour évaluation, car celle-ci doit tenir compte des effets d’aubaine et de substitution, ainsi que du caractère discriminatoire de la mesure ou encore du coût d’opportunité de ce dispositif.
On retrouve dans le budget la taxation minimale des multinationales dans une version « dure ». Tant mieux ! Le capitalisme n’a de légitimité qu’avec un « level playing field » entre entreprises. On y trouve de l’argent en plus pour l’accueil des réfugiés, ce qui est le strict minimum en termes d’éthique et d’état de droit … en répétant, à titre tout à fait subsidiaire, que les travaux d’économistes convergent pour dire qu’un pays y gagne, économiquement, à ouvrir ses frontières. On y trouve encore des mesures allant dans le sens de l’activation sur le marché du travail, en ce compris la révision à la baisse du financement de l’accueil d’Ukrainiens par les CPAS. Dernier commentaire individuel, le sauvetage de banques par l’Etat, en ce compris dans un pays réputé comme la Suisse, justifie pleinement de les faire contribuer davantage à la couverture d’assurance dont elles bénéficient.
Au total, émerge un message clair : vive la discipline budgétaire ! Elle a deux vertus. La première est de réduire l’exposition au risque de dérapage des taux d’intérêt réels à payer par les différents niveaux de pouvoir en Belgique. La seconde est de forcer à s’en prendre aux vaches sacrées des uns et des autres, au bénéfice de l’intérêt général.
Cette chronique est également parue dans l'Echo!