La loi du 5 juillet 2022 (M.B. 01.08.2022) a modifié l’article 194ter/3 du Code des impôts sur les revenus de 1992 (ci-après « CIR 92 ») prévoyant le régime du Tax Shelter. L’objectif est d’ouvrir le régime au financement de la création de nouveaux jeux vidéo.
La Belgique encourage le développement des jeux vidéo par l’extension du régime Tax Shelter
L’entrée en vigueur de ce texte dépendait i) de l’approbation de la Commission européenne, ii) de l’adoption d’un « test culturel » mis en place par chaque Communauté avant le 1er janvier 2023 et iii) de la publication au Moniteur belge d’un avis signalant que toutes les conditions légales sont rencontrées.
En réalité, le « test culturel » dont l’entrée en vigueur dépend existait déjà en Communauté flamande et en Région wallonne. A cet égard, les travaux préparatoires renvoient aux tests culturels utilisés par le Vlaams Audiovisueel Fonds (VAF – pour la Communauté flamande) et par Wallimage Entreprise (pour la Région wallonne), tests appliqués dans le cadre des fonds régionaux de soutien au secteur.
Les travaux préparatoires précisaient que « le test qui concerne la Région wallonne serait également appliqué dans la Communauté germanophone » (Doc. parl. 55K2722/001, sess. 2021-2022, p. 122).
Il ne manquait dès lors plus que l’approbation de la Commission européenne quant à la compatibilité de ce régime avec le droit européen notamment eu égards aux « tests culturels » susmentionnés, ce qui a été confirmé le 25 juillet 2022.
L’avis au Moniteur belge a été publié le 22 décembre 2022 et précise que le régime est applicable à compter du 1er janvier 2023. La durée de l’aide s’étend jusqu’au 31 décembre 2027.
Ce n’est pas la première fois que le législateur tente de financer d’une façon ou d’une autre le secteur du gaming. En 2019, la Commission européenne avait été interrogée quant à la compatibilité d’un projet de loi avec le droit européen, pour lequel la Commission avait estimé que le régime violait les principes applicables en matière d’aides d’Etat, en raison de sa limitation géographique. En effet, seules les dépenses effectuées sur le territoire belge étaient éligibles au régime proposé.
Le nouveau texte de l’article 194ter/3 CIR 92 étend l’éligibilité des dépenses à celles effectuées sur le territoire de l’Espace économique européen, de sorte que la Commission estime qu’il est tout à fait compatible avec le droit européen.
La Fédération Wallonie-Bruxelles avait déjà accordé en 2022 des aides dites « culturelles » à sept projets de jeux vidéo sélectionnés par un jury composé de spécialistes du secteur. Les aides attribuées allaient de 60.000 € à 75.000 € afin de financer la phase initiale de prototypage des projets de jeux.
Belle initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais le législateur fédéral a souhaité instaurer un régime général, de sorte que les aides qui seront accordées via le nouveau régime du Tax Shelter sont estimées à 36 millions d’euros (soit 6 millions d’euros par an).
Le Tax Shelter est une mesure fiscale qui incite à financer la création et/ou la production d’une œuvre audiovisuelle, scénique ou d’un jeu vidéo répondant à certains critères, par l’exonération fiscale de 421% du montant investi au profit de l’investisseur.
Le jeu vidéo doit répondre à différents critères d’éligibilité, et il est renvoyé à cet égard aux tests culturels utilisés par le Vlaams Audiovisueel Fonds et par Wallimage Entreprise.
Au moins deux critères de chaque catégorie mentionnée ci-dessous doivent être remplis.
Outre que le développeur doit être situé dans l’Espace économique européen (pour les personnes morales) ou avoir une connexion avec la Communauté dont le test dépend (pour les personnes physiques), il doit exister au moins une version française ou néerlandaise du jeu et son design, son contenu ou son patrimoine culturel doit comporter au moins une référence aux territoires visés.
Dans des cas exceptionnels, le contexte et le contenu culturels peuvent être non-européens, mais uniquement s’ils sont encadrés et conçus de manière créative ou innovante, et les critères des autres catégories doivent être significativement plus remplis.
Le projet doit avoir un effet stimulant sur l’économie culturelle et créative nationale.
Au moins 50% des membres de l’équipe doivent résider dans la Communauté dont le test dépend. Cela doit en tout cas être le cas pour l’auteur/rédacteur/développeur du concept principal, le directeur artistique, le directeur technique et le concepteur du jeu principal.
L’équipe doit également comprendre de jeunes diplômés.
Doivent être innovants : la structure du jeu, la conception des personnages, du décor, de l’histoire, de l’environnement, la musique/conception sonore, l’interactivité, l’utilisation d’intelligence artificielle ou encore l’utilisation de nouvelles technologies.
Pour les jeux vidéo, sont prises en compte les dépenses effectuées endéans les 24 mois et le seuil maximal de valeur fiscale cumulée des attestations Tax Shelter est fixée à 2,5 millions d’euros. Pour rappel, le plafond prévu pour les œuvres audiovisuelles est de 15 millions d’euros et celui prévu pour les œuvres scéniques est de 2,5 millions d’euros également.
La Belgique s’est rendue compte du retard qu’elle avait pris dans le secteur des jeux vidéo à défaut de financement suffisant : au niveau mondial, le marché du gaming a généré près de 160 milliards de dollars en 2020, et les revenus belges générés sont tristement de 82 millions d’euros, soit 0,05% seulement du marché mondial. Il était donc devenu nécessaire de prévoir une mesure utile afin de permettre aux créateurs de jeux vidéo de financer leurs projets.
On constate également que le législateur souhaite stimuler la création en Belgique puisque les critères à remplir comprennent presqu’automatiquement un rattachement géographique à l’Europe ou à la Belgique, voire à la Communauté concernée.
Les exigences de lieu de résidence de 50% des employés ainsi que les références du jeu à la culture européenne ou belge sont de clairs indicateurs de cette volonté. La seule exception concerne uniquement les jeux s’ils sont encadrés et conçus de manière créative ou innovante, mais la répartition des critères à remplir (au moins deux par catégories) empêchera le bénéfice du régime Tax Shelter pour des jeux qui n’auraient aucun rattachement avec, au minimum, l’Europe.
On peut donc s’attendre à ce que le marché belge du jeu vidéo fasse un bond en avant avec les nouveaux fonds qui pourront être soulevés, même si on notera que le caractère culturel, artistique et/ou éducatif sera de nature à restreindre son utilisation.