La réforme de la PRJ ne changera rien pour les entreprises en difficultés.

Depuis ce 31 janvier 2021, le moratoire sur les faillites a pris fin. Cela a pour conséquence que tout créancier (ou le Ministère public) peut à nouveau citer en faillite un débiteur qui n’est pas en mesure d’honorer ses dettes. A cet égard, il faut préciser que ce second moratoire visait à protéger uniquement les entreprises subissant les nouvelles mesures de restrictions d’activité prévues par l’arrêté ministériel du 1er novembre 2020, à savoir et sans être exhaustif le secteur Horeca, les coiffeurs, les discothèques, les cinémas, les salons d’esthétique, etc. A contrario, les autres entreprises pouvaient encore être citées en faillite.


A partir de ce lundi 1er février 2021, toute entreprise qui est en cessation de paiement de manière persistante et dont le crédit se trouve ébranlé peut être cité en faillite.


Que ses difficultés découlent ou non de la crise sanitaire actuelle n’a plus aucune importance. Bref, le ministre Clarinval vient clairement d’inviter les créanciers publics (Administration fiscale, ONSS, INASTI, …) et les banques[1] à récupérer leurs créances d’une manière ou d’une autre[2]. En effet, je n’ose croire qu’en ces temps d’incertitude et de solidarité, les citations en faillite n’émanent des fournisseurs habituels des entreprises impactées par la crise.


Pour éviter un trop grand nombre de faillites et certainement justifier la fin du moratoire, le gouvernement fédéral s’est accordé sur une réforme de la PRJ. Que prévoit-elle ?


  • Facilitation du dépôt de la requête en PRJ. Dorénavant, seul 4 documents devront être produits en annexe de la requête contre 11 au préalable. Les 7 autres devront être remis en cours de procédure[3]. Au moment de rédiger ces lignes, le ministre n’était pas en mesure de préciser quels seraient ces 4 documents. Ceci étant, si l’objectif est de faciliter l’accès des PME à la PRJ, je présume que les documents qui requièrent l’intervention d’un professionnel du chiffre pourront être produits ultérieurement.
  • La possibilité de recourir à la médiation sans que la procédure ne fasse l’objet d’une publication au Moniteur belge. Rien de neuf ici, cette pratique existe déjà et est visée par les articles XX.36 à XX.38 du Code de droit économique.
  • Une exonération fiscale étendue. Dorénavant même dans le cadre d’un accord amiable, les créanciers auront une exonération sur les réductions de valeurs sur créances et l’entreprise en difficulté aura une exonération sur les produits d’abattement de ces créances.


Ne soyons pas trop critiques, cette réforme a le mérite d’exister mais elle me semble être passée à côté de son objectif qui est de sauver des entreprises.


Comme il l’a souvent été rappelé depuis le mois de mars 2020, l’entreprise en difficulté doit faire la liste des montants dus à ses différents sous-traitants, partenaires et autres organisations institutionnelles au moment du dépôt de sa requête. Il s’agit de faire une photographie du passif de l’entreprise à un temps T. Les créances qui seraient postérieures à la date d’introduction de la requête ne seront pas couvertes par la procédure et l’entreprise ne bénéficiera pas des effets de celle-ci (suspension des saisie, impossibilité d’être déclaré en faillite, …)[4].


Avec la fin du moratoire, les entreprises en difficultés vont être confrontées à des procédures en faillite ce qui va les pousser à introduire des demandes en réorganisation judiciaire afin de limiter les dégâts.


Or, l’introduction de la PRJ va figer les dettes de l’entreprise à un moment précis alors que les secteurs les plus en difficultés ne peuvent toujours pas rouvrir de façon normale et que les perspectives ne sont pas optimistes. En effet, la presse fait écho d’une éventuelle troisième vague et les pays frontaliers resserrent la vis en termes de confinement.


Dès lors, les dettes qui seraient postérieures au dépôt de la PRJ ne sont pas concernées et l’entreprise en difficulté pourra à nouveau être citée en faillite. A cela s’ajoute le fait qu’un débiteur qui a déjà sollicité et obtenu l’ouverture d’une PRJ ne pourra bénéficier d’une nouvelle PRJ qu’au plus tôt après 3 années et pour autant qu’il s’agisse d’un transfert, sous autorité de justice, de tout ou partie de ses actifs ou de ses activités. En d’autres termes, si vous introduisez une PRJ et que votre activité ne peut s’exercer normalement, votre seule possibilité sera de céder votre entreprise dans 3 ans.


A titre d’exemple, prenons le cas d’un coiffeur qui n’a pour le moment aucune perspective concrète de réouverture. Celui-ci est cité en faillite ce 3 février 2021. Il introduit une PRJ le 10 février 2021 (tenant compte du fait de la collecte des documents nécessaires). Ses dettes sont figées au 10 février. En raison de la situation sanitaire, le gouvernement n’autorise pas la réouverture du salon avant le 30 juin 2021. Par conséquent, les dettes du coiffeur entre le 10 février et le 30 juin ne sont pas couvertes par la PRJ et celui-ci peut être cité en faillite sans pouvoir recourir à une nouvelle PRJ.


Si l’objectif du Ministre est de diminuer voire de limiter les faillites, les modifications envisagées pour la procédure en réorganisation judiciaire sont manifestement insuffisantes.


D’autres pistes auraient pu être envisagées comme, par exemple :


  • Une extension de la durée du sursis de 12 à 24 mois ;
  • La possibilité pour les entreprises de mettre à jour la liste des créanciers pendant les 6 premiers mois du sursis (ou à tout le moins tant que la crise sanitaire perdure) ;
  • La suppression ou le raccourcissement du délai de 3 ans pour pouvoir introduire une nouvelle PRJ ;


Il faut convenir que le gouvernement a le mérite d’essayer mais force est de constater que la réforme envisagée ne va pas permettre d’éviter les faillites. Je reste bien entendu à votre disposition pour examiner votre situation ou celle de votre société et vous accompagner dans la sauvegarde de votre activité.


[1] Le Député Ducarme ayant lui-même demandé une audition du secteur bancaire suite aux propos tenus par le CEO de Belfius et la constatation de l’absence de solidarité des banques envers leurs clients pendant la crise sanitaire.
[2] Au moment d’écrire ces lignes, aucune instruction officieuse du Ministre n’a été donné aux institutions étatiques pour ne pas citer en faillite comme cela avait été le cas en 2020.
[3] « Nous allons alléger la procédure, en permettant aux entreprises de remettre 7 de ces 11 documents en cours de procédure », David Clarinval, l’Echo, 29 janvier 2021, p. 4.
[4] Voir l’article « En situation de crise sanitaire, ne vous ruez pas immédiatement vers la réorganisation judiciaire », www.lawtax.be



Source :LawTax, 1er février 2021.

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