La responsabilité du professionnel du chiffre et son devoir de conseil dans l’établissement d’un plan financier

Un arrêt récent de la Cour d’appel de Gand a, à nouveau, abordé la question de la responsabilité du professionnel économique en ce qui concerne son devoir « d’assistance » dans l’élaboration d’un plan financier. Les juges sont arrivés à une autre conclusion que celle du tribunal de l’entreprise, puisqu’ils n’ont pas retenu la faute du comptable.

Pour rappel, les fondateurs d’une société sont responsables totalement ou partiellement du passif social en cas de faillite durant les trois premières années de la constitution de la société et ce, si le capital social initial se trouve manifestement insuffisant pour assurer l’exercice normal de l’activité durant deux années au moins à partir de la constitution.

Les fondateurs condamnés font souvent appel à la responsabilité du comptable qui s’est occupé de l’établissement du plan financier pour obtenir une indemnisation.

En l’espèce, une société est tombée en faillite rapidement après sa constitution, et la responsabilité des fondateurs a été retenue en raison du capital social manifestement insuffisant. En première instance, il a été décidé que l’expert-comptable chargé de l’élaboration du plan financier devait être tenu responsable à concurrence de 50 % du passif social.

Il est important de rappeler qu’un professionnel du chiffre est lié contractuellement avec les fondateurs qui le consultent pour la réalisation d’une mission. Il assume des obligations de moyens, ce qui signifie que les fondateurs qui souhaitent mettre en cause sa responsabilité doivent apporter la preuve qu’il ne s’est pas comporté comme un professionnel du chiffre normalement prudent, prévoyant, compétent et diligent, placé dans les mêmes circonstances.

Le devoir d’assistance du professionnel du chiffre comprend :

  • l’obligation limitée de vérifier l’exactitude des informations communiquées par les fondateurs et ;
  • l’obligation de conseiller les fondateurs quant au contenu du plan financier, et plus particulièrement, le fait d’attirer l’attention du client sur le risque d’une faillite probable à venir.

C’est le devoir de conseil qui fait principalement l’objet de discussions, ce qui nécessite qu’on s’y intéresse de plus près.

Les juges de première instance ont décidé que l’expert-comptable n’avait pas respecté son devoir de conseil, en ce qu’il aurait dû signaler au client que le capital prévu était insuffisant pour démarrer les activités de la société. Il aurait dû prévenir le fondateur du risque important de la faillite de l’entreprise. L’insuffisance du capital ressort des éléments suivants : le ratio de liquidité du plan financier était trop faible, une source de financement externe n’était prévue que pour une courte période, le plan prévoyait un crédit client irréaliste, les chiffres d’affaires étaient manifestement surévalués, etc.

En outre, le tribunal a souligné que l’activité décrite dans le plan financier, à savoir le secteur de la menuiserie, n’était pas reprise dans l’objet social de la société. L’expert-comptable aurait dû remarquer que l’activité prévue dans le plan n’était pas celle décrite dans les statuts.

Ces éléments ont suffi pour établir la responsabilité du professionnel du chiffre, et en particulier son manque de prévoyance. L’expert-comptable a tenté de se prévaloir d’une cause d’exonération contractuelle pour se défendre. Le tribunal n’a pas fait suite à cette demande, car ladite cause ne couvrait pas les manquements au devoir de conseil, mais seulement l’obligation de vérification des informations.

En revanche, la Cour d’appel a décidé qu’il n’y avait pas de preuves sérieuses d’une faute commise par l’expert-comptable au niveau de son obligation de conseil. Les juges sont arrivés à cette conclusion, sur base du fait que :

  • le cabinet comptable pouvait se fier à l’expérience professionnelle du client, qui a assuré que des bénéfices importants seront réalisés au deuxième trimestre ;
  • le client a été accompagné par une banque en tant que « conseiller des entrepreneurs et titulaires de professions libérales indépendants ».
    Des remarques ont été soulevées pour le premier trimestre, mais pas pour les autres. L’expert-comptable a modifié le plan financier au regard de ces remarques ;
  • le cabinet comptable a explicitement fait la remarque au client quant aux problèmes de liquidité du premier trimestre.

Cet arrêt de la Cour d’appel doit être salué, puisqu’il pose des limites à la possibilité des fondateurs de rechercher un « bouc-émissaire » lorsqu’ils sont tenus responsables pour cause de fonds propres manifestement insuffisants.

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