L’avenir wallon n’est pas déterminé, mais malléable. Ce que ne dit pas Thomas Dermine!

L’occasion est trop rare de féliciter nos hommes et femmes politiques, alors faisons-le.

Pourquoi donc, vous demanderez-vous. Est-ce pour leurs réformes ? Leur gestion des finances publiques ? Leurs décisions en matière environnementales ? Leur capacité à enthousiasmer les jeunes ? Non, malheureusement, ce n’est pas pour cela qu’on peut les féliciter mais pour autre chose, plus modeste, plus individuel, à savoir, s’agissant d’un certain nombre d’entre eux, d’avoir pris le temps d’écrire, et autre chose que des tweets. Donc, pour les essais qu’ils ont récemment publiés, bravo à Alexander De Croo, à Paul Magnette, à Christophe De Beukelaer, à Annelies Verlinden et à Thomas Dermine !

S’agissant de ce dernier, le thème choisi est intéressant et l’approche originale. Il s’agit de tordre le cou aux clichés concernant les Wallons, des clichés qui seraient colportés non seulement par les Flamands mais aussi par les Wallons eux-mêmes. Non, nous dit Thomas Dermine, les Wallons ne sont pas paresseux et immobiles, et si la performance économique de la Wallonie reste sensiblement inférieure à celle de la Flandre, c’est que le choc de la désindustrialisation y a été extrêmement violent. Ce choc, insiste-t-il, ne s’est pas arrêté avec la fermeture des charbonnages et, au travers de la sidérurgie, a perduré jusqu’au début du XXIème siècle, et, en dépit de cela, l’écart de performance entre Nord et Sud s’est globalement stabilisé. Autres éléments mis en avant par l’auteur, les transferts budgétaires dont bénéficie la Wallonie sont relativement modérés, en termes de comparaison internationale, et il faudrait en fait parler de transferts en provenance de la Région de Bruxelles et non de Flandre. Le financement des Régions sur la base du seul lieu de résidence et non de travail est une anomalie, pointe-t-il.

Les Wallons ne sont pas paresseux et immobiles, et si la performance économique de la Wallonie reste sensiblement inférieure à celle de la Flandre, c’est que le choc de la désindustrialisation y a été extrêmement violent

--Thomas Dermine


Malgré la documentation étoffée sur laquelle il repose et ses mérites, le livre de Thomas Dermine ne convainc pas vraiment. La raison en est qu’il n’évoque pas le principal, à savoir la part de responsabilité des Wallons dans leur sort. Il a beau dire qu’il rejette le déterminisme historique, qui priverait les générations actuelles de la maîtrise de leur destin, il revient sans cesse sur le passé comme premier facteur explicatif.

Souvent, en Flandre, sont pointés les dysfonctionnements du marché du travail au sud du pays. Comment se fait-il que l’insuffisance des incitations financières à chercher un emploi déclaré (problématique dite des pièges à l’emploi) ne soit pas traitée ? Comment se fait-il que les différences Nord/Sud en termes de syndicalisme ou de jours de grève ne soient même pas mentionnées ? Comment se fait-il que les estimations d’un coût salarial par unité produite plus élevé en Wallonie ne soient pas mises en avant ? Comment se fait-il que le poids nettement plus important au Sud de l’emploi public et parapublic ne soit pas pointé du doigt ?

Prenons un autre domaine, celui de la gouvernance publique. Bien sûr il y a des scandales impliquant des élus ou des personnes désignées par eux partout en Belgique et à l’étranger, mais il demeure que la mal-gouvernance semble être un mal plus présent en Wallonie. Ici aussi, c’est le silence complet. Certes, Thomas Dermine évoque les ascenseurs de Strépy-Thieu, mais le livre ne parle pas de la gare de Mons ou du Parlement de Namur ou encore du scandale de Nethys.

Thomas Dermine réfute l’idée d’une supposée paresse des Wallons, et tant mieux car il n’y a pas un ADN du Wallon qui serait différent de celui du Flamand, mais il ne répond pas aux griefs perceptibles au Nord, que l’on serait tenté de synthétiser en un mot, celui de laxisme. Laxisme face au faible taux d’emploi, laxisme dans les pratiques publiques, laxisme dans les exigences scolaires, laxisme face à la délinquance, laxisme en matière d’intégration, voilà ce qui nourrit le ressentiment flamand à l’encontre des Wallons.

« Au-delà de l’âge de 25 ans, on ne peut plus blâmer ses parents ». L’idée revient plusieurs fois dans le roman « England, England » de l’écrivain britannique Julian Barnes. Il vient un temps où il faut s’en prendre à soi-même pour les difficultés de la vie avant d’en vouloir à l’histoire, au passé. C’est vrai en termes de développement personnel. C’est aussi vrai en termes de développement collectif. Cela fait maintenant depuis plus de 40 ans que la Wallonie est une entité politique distincte, disposant de leviers d’action importants. On a été de plan en plan, avec notamment les fameux Plans Marshall, ou encore, sur le plan communautaire, avec le « tous bilingues en l’an 2000 » de Laurette Onkelinx, mais où sont les évaluations et les sanctions ? Combien de milliards d’euro de fonds nationaux et européens n’ont-ils pas été dépensés de fonds européens et belges dans des plans sans réelle évaluation et sans tirer des les leçons pour l’avenir ? La situation socio-économique actuelle de la Wallonie est largement la résultante des choix qu’elle a opérés et des non-choix qu’elle a tolérés.

Notre espoir demeure que ce jeune politicien intelligent et talentueux, dit de la nouvelle génération, qu’est Thomas Dermine parle de ce qui précède dans une nouvelle version de son livre. Parce que ce courage pourrait briser le fatalisme et le déterminisme qui continuent à régner dans le sud, et qui inhibent le potentiel magnifique de cette belle région.

Cette chronique est également parue dans LEcho.

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