Le droit à l'erreur ...

Dire que les relations entre l'administration fiscale et les contribuables se sont tendues depuis quelques mois est un euphémisme.

Le dialogue que j’ai toujours appelé de mes vœux, alors qu'une loi « pot-pourri » ( on ne peut mieux choisir cette expression) permet depuis peu (dans l’indifférence presque générale) aux agents de l’Etat d’opérer tout contrôle sans avoir à se déplacer, est peu à peu en train de disparaître.

Les demandes de renseignements et avis de rectification sont à présent de plus en plus « standardisés » , sans parfois d’ailleurs que le contrôleur ne cherche ou ne puisse y ajouter le moindre argument.

Mais ce qui est le plus frappant ces derniers mois, et qui ressort de nombreux témoignages de consœurs et confrères se plaignant de l’attitude récente de certains contrôleurs fiscaux, c’est l’absence totale d’indulgence face à l’erreur commise, de bonne foi , au moment de distraction que peut connaitre tout expert-comptable à un moment donné de sa vie .

Faut-il rappeler que depuis quelques années l’ensemble des obligations fiscales (qui pour certaines incombaient auparavant au fisc) a été mis à charge de professionnels du chiffre, l’administration fiscale se préservant la seule prérogative de la vérification et du contrôle des déclarations fiscales ?

Nombreux sont les experts-comptables qui sans doute écrasés par trop de charges administratives, par 18 mois d’assistance active de clients dépassés par les règles sur les droits-passerelles, par des contraintes sans cesse nouvelles mises sur leur dos, ne parviennent que difficilement à respecter les délais qui leur sont imposés et à gérer la multitude de démarches à accomplir. Dans ce contexte, où la fatigue, voire l’épuisement peuvent avoir raison d’une certaine concentration professionnelle, il peut survenir que l’un ou l’autre de ceux-ci commette une erreur, hélas parfois lourde de conséquences.

Les exemples qui me qui ne parviennent sont les plus divers : dépôt légèrement tardif d’une déclaration de la société donnant lieu par la suite à la perte du droit à la déduction de pertes reportées ou autres déductions extracomptables, omission de cocher une case relative à la prolongation de la taxation étalée en dépit du respect formel de toutes les obligations liées à ce délai de cinq ans, erreur d’encodage d’un montant de la déclaration fiscale, inversion de chiffre dans une annexe qui est déposée, confusion entre règles fiscales relatives aux dividendes ou à la réserve liquidation, omission de passer une écriture comptable, légère erreur d’interprétation d'un article (il faut dire que les textes que le législateur fiscal nous propose aujourd’hui sont de moins en moins compréhensibles, voire sont carrément illisibles, alors que demeure toujours ce adage de plus en plus absurde que « nul n’est censé ignorer la loi » ), etc..

Face à cette ces diverses défaillances, face à ces moments de doute ou de fatigue somme toute si compréhensibles, nous trouvons une administration fiscale de plus en plus intransigeante. Ce n’est pas un regret, c’est un constat. Le drame est que souvent ces erreurs sont constatées au-delà de la période de six mois qui permet d’introduire une réclamation pour rectifier les choses. Et dès lors, il ne reste plus que la procédure de dégrèvement d’office, dont on sait que l’administration fait interprétation terriblement restrictive, au point d’écarter quasi l’ensemble des revendications à la notion d’erreur matérielle. Il est vrai que l’administration, elle, ne commet pas d’erreur matérielle ….

« Un délai est un délai cher Monsieur », « Ce n’est pas mon problème » « En tant que professionnel du chiffre vous ne pouviez ignorer cette règle fiscale », Ma hiérarchie ne me permettra pas de vous faire la moindre ouverture », « Vous n’aviez qu’à accomplir correctement vos obligations » : telles sont quelques-unes des sentences prononcées (avec parfois une certaine gourmandise) par certains agents fiscaux qui se refusent à toute discussion et font ainsi preuve de la plus extrême intransigeance . Il n’ y a fort heureusement pas que des inquisiteurs fiscaux au sein de l’administration, mais aussi de bonnes âmes capables de comprendre, voire même d’effacer l’erreur commise par l’expert-comptable ou le conseil fiscal. Mais le nombre de ces personnalités bienveillantes et professionnelles, animées par le souci de préserver un contribuable et non d’engranger des recettes fiscales immédiates, tend à s’estomper chaque année davantage. D’aucuns diront : « Question de générations » .

Si ce droit à l’erreur du professionnel du chiffre est totalement dénié, c’est, en revanche avec la plus grande indulgence que sont acceptées par l’administration fiscale les erreurs commises par ses pairs et que sont tolérées les imperfections multiples et les dérapages des applications informatisées du SPF Finances, occasionnant de surcroit un stress inutile chez les professionnels déjà étranglés par les délais en tous genres qu’impose leur métier.

La nature humaine n'étant pas parfaite, le propre de l'homme est de commettre des erreurs, car il n'est pas omniscient. Si l’erreur répétée peut s’avérer coupable («Errare humanum est, sed perseverare diabolicum ») n’y a-t-il pas place pour un minimum d’ouverture d’esprit de la part d’une administration fiscale qui dispose pourtant chaque année de pouvoirs renforcés ?

Certains drames humains se jouent, parfois à cause d’une erreur minime, d’un moment de distraction ou d’inattention.

Ne peut espérer d’une démocratie qu’elle protège ses citoyens et leur donne l’espoir d’une vie meilleure, plutôt que de les écraser par un excès d’intransigeance ?

Il est d’ailleurs de l’intérêt du fisc de ne pas voir disparaitre à tout jamais une matière imposable …


Conseil fiscal ITAA; Président et Fondateur de l'ADFPC
Source : Linkledin, septembre 2021

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