Les experts-comptables et les conseillers fiscaux belges ne doivent pas vérifier la concordance du registre UBO lors de l’évaluation de la situation juridique de leur client ou dans l’exercice de leur mission de conseils juridiques (défense ou de représentation du client).
1 Eu égard à la différence des activités en lien avec les obligations de la loi anti blanchiment, le législateur belge a raisonnablement pu choisir de soumettre les seuls avocats à l’intervention d’un organisme d’autorégulation, à savoir le bâtonnier. Les membres ITAA doivent déclarer leurs soupçons à la CTIF et pas à l’ITAA.
2 Les conseillers fiscaux et les experts-comptables ne doivent pas signaler la divergence qu’ils constatent dans le registre UBO à l’Administration de la Trésorerie lorsque les informations ou les renseignements ont été reçus ou obtenus lors de l’évaluation de la situation juridique de leur client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation du client.
La divergence doit être signalée lorsque les conseillers fiscaux ou les experts-comptables ont participé eux-mêmes aux activités de blanchiment ou aux activités de financement du terrorisme ou lorsqu’ils savent que leur client souhaite des conseils juridiques à de telles fins.
Par son arrêt n° 28/2023 du 16 février 2023, numéro du rôle : 7705, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours en annulation de l’article 48 de la loi du 2 juin 2021 « portant dispositions financières diverses relatives à la lutte contre la fraude » (insertion de l’article 74/1 dans la loi du 18 septembre 2017 « relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces »), publiée au Moniteur belge du 18 juin 2021, introduit par l’ITAA.
L’obligation de signaler un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, en vertu de l’article 34 de la directive (UE) 2015/849, prévoit la possibilité pour les États membres de désigner un organisme d’autorégulation en tant qu’autorité chargée de recevoir l’information en question.
En Belgique c’est le cas pour les avocats qui doivent communiquer au bâtonnier leurs déclarations de soupçons. Ensuite ce dernier, dans les cas qu’il estime nécessaire, transmet la déclaration à cellule de renseignement financier (CRF) belge, en l’occurrence la CTIF.
Cette possibilité n’est cependant pas limitée aux avocats, mais est expressément ouverte aux auditeurs, experts-comptables externes et conseillers fiscaux.
L’ITAA défend le fait que les avocats et les membres ITAA, visés à l’article 5, par. 1er, 24° et 25°, de la loi du 18 septembre 2017 relative à l'anti-blanchiment, sont comparables étant donné qu’ils accomplissent des services comparables.
L’ITAA interroge la Cour de la raison d’être de cette différence, de distinction ? Chez les avocats, le rôle de l’organisme d’autorégulation est exercé par le bâtonnier. Chez les professionnels membres ITAA, la fonction de filtrage pour les signalements n’est pas prévue, de sorte qu’ils sont obligés de communiquer eux-mêmes la déclaration de soupçon à la cellule de renseignement financier (CRF) belge, en l’occurrence la CTIF, et pour le UBO à l’Administration de la Trésorerie, sans l’intervention d’un organisme d’autorégulation.
Pour une situation identique lors de l’évaluation de la situation juridique du client ou de la défense ou de la représentation d’un client, chez les avocats le bâtonnier examinera toujours s’il se trouve dans une situation qui l’oblige à transmettre un signalement, alors que les membres ITAA devront toujours apprécier eux-mêmes s’ils se trouvent dans une situation nécessitant un signalement.
C’est aussi le cas visé par l’article 74/1, paragraphes 1er et 2, de la loi du 18 septembre 2017 qui ne prévoit pas un régime dérogatoire dans l’hypothèse où les membres ITAA doivent déclarer non seulement une divergence dans le registre UBO (Ultimate Beneficial Owners) à l’Administration de la Trésorerie, mais en même temps aussi un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme à la CTIF.
Ceci d’autant, selon l'ITAA, que la protection des personnes qui signalent un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme à la CTIF, n’est pas prévu en cas de signalement d’une divergence dans le registre UBO.
Selon le Conseil des ministres, il existe une différence fondamentale entre le secret professionnel des avocats et le secret professionnel des membres ITAA.
Il estime qu’il convient d’interpréter le secret professionnel des membres ITAA concernant ces activités d’une autre manière que le secret professionnel des avocats, eu égard au monopole de plaidoirie des avocats (articles 440 et 728bis, § 2, du Code judiciaire). Par conséquent, l’intervention d’un organe de contrôle pour les avocats s’impose lorsque des informations confidentielles communiquées par le client peuvent être incriminantes, parce que c’est précisément dans ce cas que l’information porte sur les activités essentielles de l’avocat.
Et le Conseil des ministres de poursuivre en précisant que, même si les certains membres ITAA peuvent tout autant fournir des conseils en matière fiscale et assister leurs clients dans des litiges fiscaux, il sera plus simple pour cette catégorie professionnelle d’établir si leur secret professionnel peut être violé en communiquant l’information de leur client. Par conséquent, l’intervention d’un organe de contrôle ne s’impose pas dans ce cas.
La modalité particulière de l’intervention du bâtonnier trouve son fondement dans le souci consistant à garantir les droits fondamentaux de la défense en habilitant le bâtonnier à examiner si le signalement n’est pas susceptible de porter atteinte à ces droits. Par conséquent, elle garantit le secret professionnel des avocats, qui constitue un élément essentiel du droit au respect de la vie privée et du droit à un procès équitable, ainsi que l’interdiction de s’incriminer soi-même en matière pénale. Le secret professionnel découle du droit au silence qui relève de la sphère pénale, ce qui s’oppose au fait que l’obligation de signalement à l’Administration de la Trésorerie est de nature purement administrative.
Pour ce qui concerne le registre UBO, le Conseil des ministres fait valoir que le signalement de soupçons de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme à la CTIF et le signalement de divergences dans le registre UBO poursuivent chacun une finalité distincte.
Le registre UBO est un registre public administratif, pour lequel des règles supranationales exigent que l’information figurant dans le registre soit adéquate, précise et actuelle. L’obligation de signalement UBO doit être considérée comme un devoir de collaboration purement administratif des membres ITAA
Une divergence dans les données n’est qu’un constat objectif qui n’est pas suffisant en soi pour étayer un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Ce signalement UBO ne donne pas lieu à une enquête relative au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme, ni à des poursuites.
Le signalement de soupçons de blanchiment ou de financement du terrorisme à la CTIF est le résultat d’une analyse intellectuelle subjective, effectuée par le membre ITAA, quant à une relation future ou existante avec un client ou à une opération à effectuer ayant d’éventuelles conséquences pénales pour les personnes impliquées dans le cadre du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme. Ni le législateur européen ni le législateur belge n’ont l’intention d’assimiler le signalement de divergences UBO au signalement de soupçons de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
a) Absence de filtre lié au secret professionnel
La Cour retient la différence des obligations en lien avec les activités réglementées des membres ITAA et celles des avocats.
Telles ne sont pas les missions essentielles d’un avocat.
La violation du secret professionnel, lors du signalement de la divergence dans le registre UBO à l’Administration de la Trésorerie, n’est dès lors possible qu’à l’égard des activités des professionnels et des avocats qui sont soumises à la loi du 18 septembre 2017 relative à l'anti-blanchiment.
L’obligation de secret professionnel, mise à charge du dépositaire (membre ITAA ou avocat) par le législateur, vise, à titre principal, à protéger le droit fondamental à la vie privée de la personne qui se confie, parfois dans ce qu’elle a de plus intime (arrêt Cour n° 114/2020 du 24 septembre 2020 (ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.114). Ce lien de confiance permet au détenteur du secret professionnel d’apporter utilement une aide à la personne qui se confie à lui.
Selon la Cour, le législateur belge a pu raisonnablement considérer que les différences entre le groupe professionnel des conseillers fiscaux et des experts-comptables, d’une part, et le groupe professionnel des avocats, d’autre part, eu égard à la nature des principes en cause, sont nécessaires afin d’éviter, en ce qui concerne le groupe professionnel des avocats, tout risque d’atteinte aux droits de la défense et au droit au respect de la vie privée dans son aspect le plus personnel, alors que cette nécessité ne se présente pas de la même façon à l’égard du groupe professionnel des conseillers fiscaux et des experts-comptables.
Bien que les conseillers fiscaux et les experts-comptables, tout comme les avocats, s’exposent à des sanctions administratives et pénales lorsqu’ils ne respectent pas l’obligation de signalement et soient susceptibles de violer le secret professionnel lorsqu’ils respectent, à tort, l’obligation de signalement, ceux-ci se trouvent dans une situation qui diffère fondamentalement de celle des avocats.
C’est en cela que le législateur belge a considéré que l’intervention d’un organisme d’autorégulation n’était pas nécessaire en ce qui concerne les conseillers fiscaux et les experts-comptables, faisant ainsi usage de la marge d’appréciation qui lui est laissée par la directive (UE) 2015/849 (article 48, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/849).
Eu égard à cette marge d’appréciation dont il dispose dans les limites du droit de l’Union européenne et compte tenu de la circonstance que le secret professionnel des avocats et des conseillers fiscaux et des experts-comptables est protégé par l’article 458 du Code pénal, sans qu’il ne puisse être déduit que les articles 10 et 11 de la Constitution exigent que les mêmes règles et les mêmes garanties s’appliquent aux deux catégories de groupes professionnels, le législateur a raisonnablement pu choisir de soumettre les seuls avocats à l’intervention d’un organisme d’autorégulation, à savoir le bâtonnier.
La nécessité de disposer d’informations exactes et actualisées sur les bénéficiaires effectifs joue un rôle déterminant pour remonter jusqu’aux criminels, qui pourraient autrement masquer leur identité derrière une structure de société. Les États membres doivent donc veiller à ce que les entités constituées sur leur territoire conformément au droit national recueillent et conservent des informations suffisantes, exactes et actuelles sur leurs bénéficiaires effectifs, outre les informations de base telles que le nom et l’adresse de la société, et la preuve de constitution et de propriété légale (cf. le considérant 14 de la directive (UE) 2015/849).
Les conseillers fiscaux et les experts-comptables ne doivent pas signaler la divergence qu’ils constatent dans le registre UBO à l’Administration de la Trésorerie lorsque les informations ou les renseignements ont été reçus ou obtenus « lors de l’évaluation de la situation juridique de leur client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation du client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations ou renseignements soient reçus ou obtenus avant, pendant ou après cette procédure ».
La divergence doit être signalée lorsque les conseillers fiscaux ou les experts-comptables ont participé eux-mêmes aux activités de blanchiment ou aux activités de financement du terrorisme ou lorsqu’ils savent que leur client souhaite des conseils juridiques à de telles fins (article 74/1, par. 1er, alinéa 4, de la loi du 18 septembre 2017).
Les avocats doivent immédiatement signaler la divergence qu’ils constatent au bâtonnier de l’ordre dont ils relèvent. Celui-ci vérifie d’abord que la divergence a effectivement été constatée par l’avocat dans l’exercice d’une activité visée par l’article 5, 28°, de la loi du 18 septembre 2017. Si c’est le cas, le bâtonnier procède ensuite à un contrôle identique à celui qui est effectué par les conseillers fiscaux et experts-comptables.
C’est en ce sens que la Cour juge qu’il existe un statut particulier pour les avocats, établi par le Code judiciaire et par les réglementations adoptées par les ordres créés par la loi du 4 juillet 2001, que la profession d’avocat en Belgique se distingue d’autres professions juridiques indépendantes (cf. l’arrêt de la Cour n° 10/2008 du 23 janvier 2008 (ECLI:BE:GHCC:2008:ARR.010), B.6.3).
Lorsque des différences sont signalées, ou d’initiative, l’Administration de la Trésorerie prend des mesures appropriées pour modifier, confirmer, compléter, corriger ou clarifier les informations sur les bénéficiaires effectifs figurant dans le registre UBO. Elle peut notamment communiquer les fondements du signalement au redevable d’information concerné, qui modifie, confirme, complète, corrige ou clarifie les informations sur les bénéficiaires effectifs figurant dans le registre UBO dans le mois à compter de la réception de cette communication.
L’identité de l’entité assujettie ou autorité compétente à l’origine de ce signalement ne pourra pas être communiquée au redevable d’information concerné (nous soulignons).
L’Administration de la Trésorerie fait mention dans le registre UBO qu’un signalement a été introduit sans détailler l’entité assujettie ou l’autorité compétente qui en est à l’origine. Cette mention est uniquement visible pour les autorités compétentes et est retirée dès que les informations sur les bénéficiaires effectifs figurant dans le registre UBO sont modifiées, confirmées, complétées, corrigées ou clarifiées.
La Cour indique qu’il y a lieu de distinguer pour les conseillers fiscaux et aux experts-comptables
· l’obligation de collaboration au registre UBO
· l’obligation, qui incombe notamment, de déclarer à la Cellule de traitement des informations financières (CTIF) tout soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme (article 33 de la directive (UE) 2015/849 et article 47 de la loi du 18 septembre 2017).
Cette obligation de déclaration ne vise pas seulement la collecte de données administratives, mais la détection effective et la poursuite éventuelle d’infractions potentielles.
Lorsque les conseillers fiscaux et les experts-comptables communiquent des informations de bonne foi à la CTIF, il n’existe aucune forme de responsabilité de leur part. Ensuite, la CTIF garantit qu’elle ne communique pas au procureur du Roi ou au procureur fédéral l'identité des membres ITAA liée aux déclarations de soupçons qu’elle a reçues, afin de protéger leur anonymat.
Enfin, les autorités compétentes en matière d’enquête et de poursuite du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme doivent prendre « toute mesure appropriée » afin d’assurer aux membres ITAA, déclarants à la CTIF d’un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, une protection légale contre toute menace, mesure de représailles ou tout acte hostile.
Quelle protection obtient un membre ITAA en cas de de signalement à la fois pour le registre UBO et pour une infraction LAB auprès de la CTIF ?
L’obligation de collaborer au registre UBO tend seulement à recueillir des données administratives. Cette différence de finalité suffit en soi pour justifier que les déclarants bénéficient de degrés de protection différents.
Si des poursuites pénales sont envisagées, on peut raisonnablement s’attendre à un plus grand risque de représailles.
Cependant, il existe également un anonymat du déclarant qui collabore au registre UBO (article 74/1, par. 2, alinéa 2, de la loi du 18 septembre 2017). La CTIF ne révèlera jamais l’identité du déclarant lorsqu’elle fera une communication au procureur du Roi ou au procureur fédéral.
Bien que le registre UBO vise à être un registre public administratif dont les informations sont adéquates, exactes et à jour, et n’a donc pas de composante pénale, l’identité de la personne qui a effectué le signalement ne sera jamais révélée et elle bénéficie d’une protection similaire à une déclaration à la CTIF.
L’anonymat de la personne à l’origine du signalement est assuré d’une manière absolue » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1900/005, pp. 4-5).
Rappelons aussi les sanctions disciplinaires à charge des agents de l’État qui peuvent être applicable en cas de non-respect de ces dispositions.
Dans le cadre de leurs activités de tenue de comptabilité pour compte de tiers, les experts-comptables (fiscalistes ou certifiés) doivent signaler par voie électronique à l’Administration de la Trésorerie toute différence qu’ils constatent entre les informations sur les bénéficiaires effectifs disponibles dans le registre UBO et les informations sur les bénéficiaires effectifs qui sont à leur disposition.
Cette obligation n’existe pas pour les conseillers fiscaux dans l’exercice de leur mission de conseils juridiques pour la défense ou de représentation de leurs clients.
Jean Pierre RIQUET
Président de l’Académie fiscale
17 février 2023