En principe, les plus-values sur actions réalisées par des particuliers ne sont pas imposables dans la mesure où elles s’inscrivent dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé. Le respect de cette condition ne va pas toujours de soi. Le cas des plus-values réalisées par des managers à l’issue d’un montage de Leveradge Buy Out (LBO) l’illustre de manière éloquente.
Les fonds de private equity à la recherche de placements fructueux sont légion. Une cible idéale : une PME familiale prometteuse, dotée d’un potentiel de développement important. Généralement, le fonds constitue une holding de reprise (pour acquérir les actions dans la cible) financée par des emprunts bancaires et des capitaux propres apportés par les investisseurs. Dans les montages de LBO, l’implication des managers en place est souvent capitale. Leur mission consiste à améliorer la rentabilité de la société cible en la réorganisant en profondeur (à travers une cession d’actifs non stratégiques, une compression de frais de personnel,…). Le fonds prend soin d’intéresser les dirigeants au succès de l’opération, en les invitant à souscrire au capital de la holding. Souvent, on leur propose des actions leur permettant de capter une quote-part importante des gains en cas de performance exceptionnelle (actions « Ratchet »). Après quelques années, les managers peuvent être amenés à vendre leurs actions au moment de la sortie des investisseurs (exit). L’interrogation du fiscaliste : la plus-value sur actions réalisée par le manager est-elle exonérée ? Ou bien peut-elle être imposée au titre de « revenu divers » (au taux de 33%) voire, pire encore, au titre de « revenu professionnel » (au tarif progressif, le taux marginal s’élevant à 50%) ?
Un ruling du 12 septembre 2017 du Service des Décisions Anticipées (SDA) concernant un cas classique de Management Buy Out (MBO), fournit un éclairage intéressant sur la question. En l’espèce, des investisseurs financiers avaient acheté un groupe générant un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros, produisant et commercialisant des produits en résine. Ils avaient invité les managers du groupe en place à souscrire des actions dans la holding de reprise.
Le SDA a considéré que l’acquisition et la revente d’actions par un manager ne s’inscrivaient pas dans le cadre de son activité professionnelle, moyennant le respect de plusieurs condition.
D’abord, le manager ne doit pas exercer « de manière structurée et répétitive, une activité dans le domaine de l’achat et la vente d’actions de sociétés ». Cette condition sonne comme une mise en garde pour les managers qui investissent régulièrement à titre personnel dans des actions de sociétés non cotées, et les revendent quelques années plus tard (après avoir réorganisé les sociétés en question) en réalisant une plus-value plantureuse. Pour éviter l’écueil d’une taxation de la plus-value à titre de revenus professionnels, ils pourraient avoir intérêt à détenir leurs actions à travers un véhicule sociétaire ad hoc, par exemple la Pricaf privée. Précisons à cet égard que (i) la loi de relance économique du 26 mars 2018 a assoupli la réglementation applicable à la Pricaf privée sur de nombreux points (suppression de l’interdiction d'exercice d'un contrôle par la Pricaf sur ses filiales, abaissement du seuil minimum d’investissement dans la Pricaf privée à 25.000 EUR…), et que (ii) la Pricaf privée bénéficie d’un régime fiscal de faveur (taxation à l’ISOC sur des bases réduites, exonération de précompte mobilier sur les dividendes provenant de plus-values sur actions,…).
Ensuite, le manager doit avoir acquis les actions dans la holding à leur valeur de marché (et donc pas à un prix sous-évalué).
Le SDA a également confirmé que la plus-value sur actions relevait de la gestion normale du patrimoine privé du manager (et qu’elle échappait donc à une taxation au titre de « revenus divers »), au regard des éléments suivants:
- le manager, fermement invité par les investisseurs financiers à investir, ne disposait d’aucun pouvoir décisionnel quant aux modalités d’investissement/désinvestissement ;
- l’investissement n’était pas à court terme (5 ans) ;
- l’investissement consenti restait « raisonnable au regard de la capacité d’épargne » du manager,…
Denis-Emmanuel Philippe
Avocat-associé aux Barreaux de Bruxelles et de Luxembourg (Bloom Law)
Maître de conférences (ULiège)