Nous assistons ces dernières années à un phénomène que je me dois de dénoncer, tant il à la fois récurrent et intolérable.
Il semble que de nombreux agents taxateurs aient perdu leur capacité à respecter la parole donnée.
On ne sait si ce comportement résulte d’un manque de discernement ou de bravoure, ou d’une volonté de déstabiliser le citoyen.
Dans le cadre de la défense de clients qui me sollicitent lors d’un contrôle fiscal, je ne peux que constater et déplorer, comme nombre de mes consœurs et confrères par ailleurs, des revirements soudains de position de la part d’inspectrices et d’inspecteurs du SPF Finances . Alors qu’ils s’étaient engagés oralement, de manière solennelle, à prendre en compte nos arguments ou à abandonner tel ou tel redressement, on découvre avec désarroi que leurs avis de rectification ou leurs « propositions d’accord» sont en parfaite contradiction avec ce qui avait été pourtant promis.
Cette attitude qui consiste à dire blanc un jour et noir le lendemain est insupportable. Loin des yeux, loin du cœur oserais-je dire ...
Cela brise inévitablement toute confiance que l’on peut avoir en l’administration fiscale. Il semble que cachés derrière leur écran d’ordinateur, certains taxateurs (pas tous heureusement) retrouvent la rage taxatoire à laquelle qu’il s’étaient engagés à ne pas se livrer au moment des pourparlers précédents. N’est-il pas plus correct d’informer directement le dirigeant et son conseil du refus de valider certains griefs, ou à tout le moins d’annoncer que, par prudence, on fera les recherches nécessaires ultérieurement ?
Pour justifier ces revirements inopinés, on voit fleurir les traditionnels motifs peu glorieux « Mon chef n’est pas d’accord avec moi » ; « J’ai relu le dossier et j’ai changé d’avis » ; « Je suis tenu de suivre la circulaire (d’ailleurs parfois totalement illégale) « On a reçu des instructions » , « on attend un arrêt de la Cour d’appel ou de Cassation », etc.
Y a-t-il encore des femmes et des hommes de caractère, qui osent prendre une position et s’y tenir, au sein de la maison Finances ?
Il est parfois permis d’en douter, au vu de ces esquives devenues si fréquentes.
Il y a plus de 20 déjà, lorsque je travaillais à l’administration fiscale, je n’avais pas le souvenir d’un tel phénomène.
Dans le service « Wavre Sociétés » où j’exerçais comme « contrôleur adjoint » puis comme « contrôleur en chef f .f. » et où j’ai appris à comprendre le métier et apprécier mes collègues dont certains sont restés amis , les dossiers étaient parfois complexes et délicats, les redressements étaient quelquefois sévères et il n’ y avait nulle place pour le laxisme.
Mais nous avions tous, au sein de ce service, un principe de base : quand on s’engageait à l’issue d’un contrôle à ne pas taxer tel poste du bilan, quand nous acceptions, après parfois de vives discussions, de ne pas refuser telle ou telle déduction, nous respections notre parole et ne changions pas par la suite notre point de vue. Nous savions que c’eût été déloyal et étions parfaitement conscients que si nous agissions de la sorte, nous glisserions dans l’abus de pouvoir et briserions les principes de bonne administration. Cette saine règle était observée aussi dans d’autres bureaux avec lesquels nous collaborions.
Aujourd’hui, pour des raisons que je ne m’explique toujours pas, nous assistons à un profond délitement de ces valeurs chez de nombreux agents taxateurs (surtout ceux de la nouvelle génération d’ailleurs, ce qui est plus que préoccupant).
Pour espérer un minimum de sécurité juridique, il semble qu’il n’y ait aujourd’hui comme seule option que de se tourner vers la commission du ruling ( le SDA) qui semble le dernier bastion pour éviter tout arbitraire fiscal, même s’il faut parfois regretter que ce Service actif et indispensable, ne se sente trop souvent obligé d’imposer aux demandeurs des conditions (parfois extra-légales) avant d’octroyer la précieuse décision anticipée.
Loin de moi la volonté de décrier le travail difficile, exigeant et parfois ingrat des fonctionnaires de l’administration fiscale. Leur mission est indispensable et mérite le respect. Il faut veiller à la correcte application des lois fiscales par les citoyens parfois distraits, parfois peu scrupuleux , il faut pourfendre toutes formes inacceptables d’évasion fiscale. Ayant œuvré dans différents services de taxation, je sais l’importance du rôle joué par chaque agent taxateur et les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien (notamment le manque de formation ou de documentation à leur disposition).
Toutefois, cette mission doit s’exercer avec davantage de transparence , sans qu’un contribuable ne s’étonne de recevoir un avis de rectification de dix pages, voire plus, auquel il ne s’attendait pas et dont le contenu s’écarte totalement des propos bienveillants qu’il avait entendus quelques jours auparavant.
L’administration fiscale a tout à gagner à ne pas concéder un jour et tout défaire le lendemain, à ne pas susciter de faux espoirs, à ne pas manquer à sa parole.
La Cour de Cassation a rappelé à de nombreuses reprises que « les principes généraux de bonne administration comportent le droit à la sécurité juridique et s’imposent aussi à l’Administration des finances ; ce droit implique notamment que le citoyen puisse faire confiance aux services publics et compter que ceux-ci observent des règles et suivront une politique bien établie qu’il ne saurait concevoir autrement ».
Ce principe a été à de multiples reprises appliqué à des cas dans lesquels l’Administration s’écartait d’une telle attitude, notamment dans les cas où elle tentait de remettre en question un accord avec effet rétroactif.
Si l’on veut améliorer les relations déjà tendues entre un contribuable et un fonctionnaire aux pouvoirs chaque année plus étendus, il faut que soit respecté ce principe pourtant élémentaire : le principe de fair play.
Il faut permettre à chaque citoyen confronté à un combat déjà bien inégal, , de garder l’espoir en une administration impartiale, juste et respectueuse des lois et des principes généraux du droit qu’elle est d’ailleurs tenue de respecter .
Oserions nous rappeler que dans la dénomination « SPF Finances « , il y a les mots « Service « et « Public » . Et pas « Sévices » et « Pouvoir » ?
Ce n’est pas remettre en cause le rôle du taxateur ni réduire ses prérogatives que d’exiger davantage de transparence et de loyauté. Que du contraire . Une confiance retrouvée, des relations apaisées, plus horizontales que verticales, c’est aussi l’assurance d’une collaboration accrue de la part des contribuables. On coopère plus aisément lorsqu’on sait que l’on peut faire confiance à son interlocuteur.
En un mot, tout le monde a à gagner à respecter la parole donnée.
Pierre-François Coppens
Conseil fiscal ITTA (www.coppensfiscaliste.be)
Fondateur de l’ADFPC (www.adfpc.be )