Vacances annuelles des travailleurs : la Belgique se met en ordre

Au niveau européen, l’article 7 de la Directive n°2003/88/CE du 3 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (ci-après « la Directive ») impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que chaque travailleur puisse bénéficier annuellement effectivement d’au moins 4 semaines de vacances en conservant sa rémunération. Cette disposition, comme le rappelle régulièrement la jurisprudence interprétative de la Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») à son propos, poursuit deux finalités, à savoir permettre au travailleur de se reposer de l’exécution des tâches qui lui incombent en vertu de son contrat de travail et de disposer d’une période de détente et de loisirs.

La Belgique n’est pas la meilleure élève en la matière. En 2023, notamment pour éviter un recours en manquement de la Commission européenne, notre législateur a, après plusieurs mises en demeure, adopté deux mesures afin de rectifier le tir, applicables aux travailleurs salariés à dater du 1er janvier 2024. À des fins de facilitation administrative en matière de paiement de pécules de vacances de départ, il en a par ailleurs prévu une troisième.

Nous vous les présentons ci-dessous.


1. IMPOSSIBILITÉ DE PRENDRE SES CONGÉS DURANT L’ANNÉE DE VACANCES (REPORT)

Avant :

Pour rappel, en Belgique, le nombre de jours de vacances à prendre durant l’année de vacances est fixé selon le nombre de jours de travail effectifs ou assimilés durant l’année civile précédente (l’exercice de vacances).

Les articles 35, §2, 60, al. 2, et 64, 1°, de l’arrêté royal du 30 mars 1967 déterminant les modalités générales d’exécution des lois relatives aux vacances annuelles des travailleurs salariés (ci-après « l’AR du 30 mars 1967 ») précisent que les vacances légales ne peuvent excéder 4 semaines et qu’elles doivent être prises dans les 12 mois suivant la fin de l’exercice de vacances, soit durant l’année de vacances. L’employeur a l’obligation de veiller à ce que le travailleur les prenne durant ces 12 mois.

L’article 67 de l’AR du 30 mars 1967 prévoit que, lorsqu’au 31 décembre de l’année de vacances, le travailleur se trouve dans l’impossibilité de prendre tout ou partie de ses vacances, l’employeur doit lui payer le pécule de vacances simple, soit la rémunération afférente aux jours de vacances non pris. Le report des jours de congé légaux au-delà du 31 décembre n’est donc pas autorisé et la prise de vacances est remplacée par le paiement de la rémunération y relative.

Or, l’article 7§2 de la Directive précise expressément que la période minimale de congés annuels payés ne peut pas être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. La prise effective de jours de congé légaux ne peut dès lors s’éteindre à l’issue de la période de référence et un report doit en principe être permis. La CJUE a confirmé ces principes, tout en admettant la possibilité pour les États membres, afin de réduire le risque d’accumulation trop importante de jours de congé à prendre en cas de périodes de maladie prolongées du travailleur, de limiter la période au cours de laquelle le congé annuel peut être reporté. Selon la CJUE, la période de report doit dépasser substantiellement la période de référence en vertu de laquelle elle est accordée, une période de report de 15 mois étant compatible avec la Directive.

À présent :

Un arrêté royal du 8 février 2023 est venu modifier l’AR du 30 mars 1967 afin d’y ajouter une exception au principe de la prise de vacances au 31 décembre de l’année de vacances, lorsque les jours de vacances n’ont pas pu être pris dans leur totalité à cette date, en raison de la survenance de l’une des situations suivantes, énumérées de manière limitative : accidents et maladies professionnels et privés, repos de maternité (le cas échéant transféré au co-parent en cas de décès de la mère), congé de naissance (ancien congé de paternité), congé d’adoption, congé pour soins d’accueil, congé de parent d’accueil et congé prophylactique.

Dans ces situations, les jours de congé non pris seront obligatoirement reportés et devront être pris dans les 24 mois suivant l’année de vacances concernée, et ce également auprès du nouvel employeur le cas échéant. À noter que notre règlementation prévoyait déjà la mesure selon laquelle d’autres causes de suspension qui empêcheraient la prise de la totalité des vacances annuelles avant le 31 décembre de l’année de vacances, telles l’éloignement complet du travail en tant que mesure de protection de la maternité (« écartement »), ou encore l’accomplissement d’obligations de milice ou d’une mission syndicale, entraînent un report de 12 mois. Cette mesure est maintenue.

En ce qui concerne le paiement, le nouvel article 67bis de l’AR du 30 mars 1967 prévoit un paiement anticipé, pour les travailleurs employés uniquement, au plus tard le 31 décembre de l'année de vacances, du pécule de vacances simple afférent aux jours de vacances reportés et à prendre dans les 24 mois. Pour les ouvriers rien ne change, ils conservent le pécule de vacances simple déjà perçu de la caisse de vacances ou de l’ONVA durant l’année de vacances.


2. INCAPACITÉ DE TRAVAIL SURVENANT DURANT LES CONGÉS

Avant :

L’article 68 de l’AR du 30 mars 1967 prévoyait que seules certaines interruptions énumérées de manière limitative ne pouvaient pas être imputées sur les jours de congé légaux (entre autres, le repos de maternité, le congé de paternité ou la participation à des cours ou à des journées d'études consacrés à la promotion sociale). Ainsi, les autres jours d’interruption, en raison notamment d’une incapacité de travail surgissant durant les vacances, étaient imputés sur les jours de congé. Dans cette hypothèse, les jours d’absence pour maladie se confondaient avec les jours de vacances annuelles et le travailleur « perdait » ces derniers.

Or, la CJUE avait déjà confirmé, dans un arrêt du 21 juin 2012 (!), le droit du travailleur de prendre un congé annuel payé coïncidant avec une période de congé de maladie à une date ultérieure, indépendamment du moment de la survenance de l’incapacité du travail.

À présent :

Dorénavant, l’article 68, 2°, a) de l’AR du 30 mars 1967 prévoit que les jours d’interruption en raison des motifs suivants ne peuvent plus être imputés sur les jours de vacances annuelles, et ce même si l’interruption surgit pendant la période de vacances :accidents et maladies professionnels et privés, repos de maternité (le cas échéant transféré au co-parent en cas de décès de la mère), congé de naissance (ancien congé de paternité), congé d’adoption, congé pour soins d’accueil, congé de parent d’accueil et congé prophylactique.

Les jours de vacances annuelles qui coïncident avec une incapacité de travail résultant d’une maladie ou d’un accident pourront être convertis en jours d’incapacité de travail, moyennant une procédure spécifique, et seront donc indemnisés selon les règles relatives aux incapacités de travail professionnelles ou privées.Les jours de congé non pris car convertis seront reportés et pris ultérieurement.

Afin de pouvoir bénéficier de cette conversion, le travailleur devra respecter certaines formalités à l’égard de son employeur, en vertu du nouvel article 31/2 ajouté à la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, à savoir :

  • Le travailleur doit informer immédiatement l’employeur de son incapacité de travail – ou « dans un délai raisonnable » en cas de force majeure (ex : hospitalisation rendant impossible la communication immédiate) - et de son lieu de résidence s'il ne se trouve pas à l'adresse de son domicile ;
  • Il doit communiquer un certificat médical dans tous les cas (pas de dispense de communication d’un certificat à raison de trois fois par an) ;
  • Le certificat médical doit mentionner l'incapacité de travail ainsi que la durée probable de celle-ci et si, en vue d'un contrôle, les sorties sont autorisées ou non ;
  • Si le travailleur souhaite faire usage de son droit au report de ses jours de vacances dès la fin de la période d'incapacité de travail, il doit, à des fins d’organisation, formuler cette demande au plus tard lors de la remise du certificat médical.

Le règlement de travail doit désormais mentionner ces formalités.


3. RÉGULARISATION DES PÉCULES DE VACANCES DE DÉPART (EMPLOYÉS)

À la différence des deux autres modifications, cette dernière adaptation ne résulte pas d’une impulsion européenne, mais de la Direction générale Contrôle des lois sociales de notre Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation (ci-après « le SPF emploi »). Pour rappel, le simple pécule de vacances représente la rémunération brute afférente aux jours de congé et le double pécule de vacances est une indemnité de vacances, faisant l’objet d’un versement annuel unique.

Avant :

En vertu de l’article 46, §1er de l’AR du 30 mars 1967, l’employeur paie un pécule « de sortie » ou « de départ » au travailleur à l’occasion de la fin du contrat de travail. Ce pécule comprend deux volets : d’une part, le simple pécule relatif aux jours de congé auxquels le travailleur aura droit l’année suivante et le double pécule sur la base de l’exercice de vacances en cours et, d’autre part, le simple pécule de vacances relatif aux éventuels jours de vacances non-pris durant l’année de vacances en cours et le double pécule sur la base de l’exercice de vacances précédent.

Ensuite, au moment de la prise de congé effective auprès du nouvel employeur (ou du même employeur, en cas de passage du statut d’ouvrier à celui d’employé), sur la base de l’exercice de vacances précédent, ce dernier payait le simple et le double pécules de vacances dont il déduisait les pécules de départ payés par l’ancien employeur (ou par la caisse de vacances ou l’ONVA). En pratique, cette déduction par le (nouvel) employeur s’opérait dans la plupart des cas en une seule fois, lors de la première prise de congé, et non de manière étalée lors de chaque prise de congé.

Dès le début de l’année 2021, le SPF Emploi a décidé de ne plus accepter cette pratique, laquelle constitue en réalité une violation de la loi du 12 avril 1965 relative à la protection de la rémunération (ci-après « la Loi du 12 avril 1965 »), puisque le travailleur concerné se retrouvait de facto sans rémunération pour le mois de la première prise de congé en raison de cette déduction unique. Le SPF Emploi a par conséquent donné instruction aux employeurs d’étaler la déduction du simple pécule à l’occasion de chaque prise de congé et limitée à la rémunération afférente au nombre de jours de vacances pris, tout en autorisant le maintien de la déduction du double pécule en une seule fois. L’Office National de Sécurité Sociale (ONSS) a adapté ses instructions conformément à cet avertissement.

Le Conseil National du Travail leur a cependant demandé de reporter provisoirement ces changementset a formulé une proposition alternative en juin 2022.

Cette proposition a été quasi intégralement reprise dans un arrêté royal du 28 septembre 2023 qui a modifié les articles 46, 48 et 49 l’AR du 30 mars 1967 précisant les modalités du pécule de sortie et sa déduction en cas de changement d’employeur (ou de statut).

À présent :

Conformément à ces modifications, le simple pécule de sortie ne peut plus faire l’objet d’une imputation unique par le nouvel employeur. La nouvelle solution est composée de deux phases.

Dans un premier temps, lorsque l’employé prend des congés, il remet les attestations de vacances – qui détailleront désormais les modalités de paiement et de déduction du simple pécule à l’occasion d’une sortie ou d’un changement de statut – à son nouvel employeur et, pour chaque mois durant lesquels des vacances sont prises, l’employeur paie ces jours, sous déduction de 90% du salaire brut afférent à ces jours. Le travailleur reçoit ainsi toujours, pour un mois donné, a minima 10% de sa rémunération, même s’il prend un mois complet de vacances. Ce versement de 10% vise à prendre en considération le fait que la valeur financière d’un jour de congé n’est pas identique chez l’un ou l’autre employeur.

Pour ce qui concerne le double pécule de vacances, ce dernier est payé en une seule fois lors de la prise des vacances principales du travailleur, sous déduction du montant du double pécule de vacances versé par l’ancien employeur (ou par la caisse de vacances ou l’ONVA).

Les déductions opérées ne peuvent toutefois pas dépasser la valeur financière du pécule de vacances qui aurait été dû par le nouvel employeur si les prestations au cours de l’exercice de vacances précédent avaient été effectuées à son service.

Dans un deuxième temps, au mois de décembre ou au plus tôt lors de la fin du contrat de travail, un décompte final sera opéré par le nouvel employeur. Il procèdera aux corrections éventuelles résultant de la différence entre le simple pécule de vacances de 10% qui a été versé au travailleur pendant l'année de vacances, les jours de vacances promérités chez le précédent employeur et le pécule de vacances effectivement dû, duquel a été déduit le simple pécule de vacances déjà versé par le précédent employeur. L'employeur informera ensuite l'employé via fiche de salaire du montant retenu ou versé à la suite des corrections effectuées. S’il s’agit d’un montant à retenir, ce montant ne pourra être retenu, en conformité avec l’article 23 de la Loi du 12 avril 1965, de manière étalée le cas échéant, qu’à hauteur d’un cinquième du salaire, à dater du salaire du mois de décembre.


Les nouvelles mesures, qui ne font que mettre en œuvre, avec un certain retard, la réglementation européenne, sont sans conteste justifiées à l’égard des travailleurs. Cependant, elles ne faciliteront incontestablement pas la vie des employeurs, car de nature à entraîner des tracas administratifs, lesquels seront en pratique vraisemblablement davantage mis à charge des secrétariats sociaux.

En matière de vacances, force est malheureusement de constater que la Belgique fait le strict minimum et qu’elle persiste à maintenir un système compliqué.


La Tetracademy est la revue trimestrielle juridique du cabinet d’affaires bruxellois Tetra Law. Cet article en est extrait. Pour plus d’informations ou pour recevoir chaque nouvelle publication, n’hésitez pas à suivre la Tetracademy en envoyant un email à tetracom@tetralaw.com ».

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