Dans un récent arrêt, la Cour de cassation vient mettre des barrières aux pouvoirs d’investigation du fisc lors d’un contrôle au domicile privé du contribuable.
Le fisc a en principe le droit de pénétrer dans le domicile privé du contribuable, lorsqu’il obtient l’autorisation du tribunal de police. Cette visite fiscale peut intervenir entre cinq heures du matin et neuf heures du soir. Pour certains, cette expérience peut parfois s’avérer assez désagréable, pour ne pas dire traumatisante.
Il n’est pas rare que les contribuables appellent alors en urgence leur conseiller (avocat fiscaliste, conseiller fiscal, comptable,…), afin d’obtenir une réponse aux questions qui leur passent par la tête : le fisc a-t-il les mains libres pour allumer les ordinateurs et "pomper" des données informatiques en masse (copie de l'intégralité des boîtes emails, de documents confidentiels -protégés le cas échéant par le secret professionnel- ou privés,...), s'introduire dans les locaux privés, ouvrir les armoires et les tiroirs (fermés parfois à clef), etc?
Dans un arrêt de principe du 16 juin 2023, la Cour de cassation a jugé que la visite fiscale de domiciles privés requérait le consentement du contribuable. Ce qui est particulièrement important, c’est qu’elle a aussi précisé que ce consentement devait être permanent: le contribuable a le droit de se rétracter à tout moment et de demander à l'Administration d'interrompre la visite.
En résumé :
- Si le contribuable s'oppose à la visite fiscale dès l’arrivée des fonctionnaires, ceux-ci ne peuvent pas procéder à la visite de force.
- Et s’il marque son accord au début de la visite, les fonctionnaires devront stopper immédiatement leur visite si le contribuable se rétracte en cours de route.
Cet arrêt de la Cour de cassation -qui fait honneur au principe du droit à la vie privée- est assurément une bonne nouvelle pour les contribuables.
Pour certains fonctionnaires, cet arrêt est un peu « fort de café ». Ne pourrait-il pas favoriser les « fraudeurs », qui pourraient désormais inviter les fonctionnaires à prendre la porte de la sortie, dès que ceux-ci se montreraient trop curieux ou zélés lors d’un contrôle fiscal surprise au domicile privé du contribuable?
De prime abord, force est de reconnaître que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation leur donne du grain à moudre. En l’espèce, le contribuable était une société active dans la vente de voitures. Le siège de la société était situé à la même adresse que le domicile de l’administrateur. L’administration fiscale disposait en l’espèce d’indices de fraude fiscale, à savoir l’existence de bénéfices « en noir » - ressortant d’un tableau excel - issus de la vente de voitures. Aussi, l’administration a-t-elle ici sollicité auprès du tribunal de police une autorisation pour effectuer la visite du domicile privé dans l’optique d’un contrôle TVA. Après avoir obtenu cette autorisation, le fisc a alors opéré une visite « surprise » (non annoncée) au siège de la société. Lors de la visite domiciliaire, elle a trouvé dans un container à déchets des reçus de montants en cash. Les sommes en question correspondaient au bénéfice non déclaré de ventes ressortant du tableau excel , sur lequel le fisc avait mis la main…
Le contribuable avait alors demandé au fisc d’interrompre la visite, ce que les fonctionnaires ont refusé de faire. Il avait pris soin d’enregistrer la conversation (faisant ressortir sa rétractation) avec les fonctionnaires sur son téléphone. Selon la Cour d’appel, le fisc était bien en droit de poursuivre la visite : le consentement du contribuable n’était pas requis dès lors que l’autorisation du tribunal de police était suffisante pour permettre l’accès au domicile privé du contribuable.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt de la Cour d’appel. Avec cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, il est désormais clair que les fonctionnaires devraient interrompre la visite lorsque le contribuable se rétracte (en cours de contrôle).
A mon estime, le contribuable pourrait être avisé de se rétracter lorsque le fisc abuse de ses pouvoirs d’investigation, notamment lorsqu’il procède à une « pêche aux informations » (fishing expedition). Tel pourrait être le cas si le fisc allume l'ordinateur, prend la souris et copie l'intégralité des données informatiques, sans se limiter à ce qui est nécessaire pour déterminer la situation fiscale du contribuable.
Denis-Emmanuel PHILIPPE
Avocat associé (Bloom Law)
Maître de conférences à l’Université de Liège