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80 % d’emploi: miroir d’une Belgique à deux vitesses ?

Une plongée interactive dans les fractures invisibles de notre marché du travail

Atteindre un taux d’emploi de 80 % : injonction statistique ou impératif sociétal ? Derrière ce chiffre-phare du programme gouvernemental belge se cachent en réalité des réalités régionales, communales et humaines très contrastées. C’est ce que met brillamment en lumière le site interactif publié par l’Itinera Institute, en collaboration avec le data scientist Karim Douieb. Ce « scrollytelling », à la fois pédagogique, immersif et documenté, nous invite à poser un autre regard sur l’emploi, et sur les poches d’exclusion qui empêchent la Belgique de rejoindre le peloton de tête européen.


Un objectif ambitieux, mais encore hors d’atteinte

L’Union européenne a fixé à ses États membres un objectif de 80 % d’emploi dans la tranche d’âge 20–64 ans. Pour la Belgique, cet objectif reste un défi: notre pays tourne encore autour de 73,5 % en 2024, et les progrès sont inégaux. Mais quels sont les 6,5 points manquants ? Et surtout, où se cachent-ils? C’est tout l’intérêt du travail d’Itinera : dézoomer du chiffre global pour mieux voir les écarts qui s’élargissent derrière la moyenne.


Des cartes pour révéler les inégalités locales

L’expérience commence par une carte animée de la Belgique, commune par commune. À première vue, des zones apparaissent déjà en vert foncé – là où l’emploi progresse – tandis que d’autres restent figées dans des teintes plus pâles, voire régressent.

Mais l’intérêt majeur réside dans la possibilité de croiser les critères :

  • Par sexe (les femmes restent encore significativement en retrait dans de nombreuses zones rurales ou périurbaines),
  • Par âge (les jeunes de 20–29 ans subissent une entrée plus difficile sur le marché, notamment dans les communes urbaines ou précarisées),
  • Par origine étrangère, où les écarts deviennent criants – avec un taux d’emploi souvent inférieur de 20 à 30 points par rapport aux natifs belges dans certaines zones urbaines.

Ces cartes ne racontent pas seulement des chiffres : elles révèlent des parcours de vie empêchés.


Un enjeu macro… mais des conséquences très concrètes

Pourquoi viser 80 % d’emploi ? Parce qu’il ne s’agit pas simplement d’un indicateur économique, mais d’un levier central pour le financement de la sécurité sociale, la lutte contre la pauvreté, et la cohésion sociale. Si ces 6,5 points de taux d’emploi restent manquants, la pression s’accroît sur les systèmes de pension, les soins de santé, les CPAS et les budgets régionaux.

Mais au lieu de pointer les « chômeurs récalcitrants », l’étude d’Itinera montre que ces personnes sont souvent :

  • Fragilisées par des problèmes de santé (incapacité de travail, burn-out),
  • Découragées par des discriminations systémiques (origine, sexe, âge),
  • Décalées par rapport aux exigences du marché (niveau de diplôme, mobilité, barrières linguistiques),
  • Ou bloquées dans des zones géographiques en déclin, où l’offre d’emploi s’est raréfiée.

Loin d’être des « assistés volontaires », ces personnes sont au contraire les oubliées des politiques de l’emploi classiques.


Des pistes d’action : investir dans l’inclusion

Plutôt que de durcir les règles ou de réduire les allocations, Itinera propose des solutions systémiques et inclusives, à commencer par :

  • La flexibilité choisie, pour permettre des temps partiels sans précarité,
  • Un accompagnement adapté au retour progressif à l’emploi après une incapacité ou une longue inactivité,
  • Des politiques maternelles mieux pensées, incluant les crèches, les congés, mais aussi l’accompagnement à la reprise,
  • Des politiques de mobilité intelligentes, notamment pour désenclaver les communes mal desservies,
  • Et enfin, un traitement objectif des discriminations sur base de l’origine, du sexe ou de l’âge, avec un suivi statistique renforcé.

Ces leviers sont à la fois humains, économiques et politiques : ils dessinent une politique de l’emploi centrée sur les personnes et leurs parcours, pas seulement sur les indicateurs macroéconomiques.


Une invitation à explorer (et à réfléchir)

Le site itinera-emploi80.s3-website-eu-west-1.amazonaws.com n’est pas un simple rapport. C’est une expérience interactive, un outil de réflexion et un déclencheur de débat.

Il montre que le dernier kilomètre vers les 80 % est aussi le plus complexe, car il touche aux mécanismes d’exclusion les plus profonds.

Il mérite d’être parcouru, analysé, partagé. Par les citoyens. Par les décideurs. Et surtout, par tous ceux qui veulent faire des 80 % d’emploi une réalité inclusive et durable, pas une illusion statistique.

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