Certains travailleurs, bien qu’étant en incapacité de travail le jour où ils atteignent l’âge de la pension, souhaitent pouvoir continuer leur carrière par la suite, sans prendre leur pension. En l’état actuel des textes normatifs, le passage à l’âge légal de la pension entraîne la perte du droit à des indemnités d’incapacité de travail. C’est pourquoi la plupart se résignaient à prendre leur pension afin de bénéficier d’un revenu de remplacement.
En application de l’article 108, 1°, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994, les indemnités d’incapacité de travail sont refusées au travailleur à partir du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel le travailleur atteint l’âge légal de la pension. Par conséquent, le travailleur qui décide de poursuivre sa carrière au-delà de l’âge légal de la pension sans prendre celle-ci et qui atteint l’âge de la pension pendant une période d’incapacité de travail est privé d’indemnités dès le mois suivant et n’a d’autre choix que de prendre sa pension s’il veut bénéficier d’un revenu de remplacement pendant cette période. Il lui est certes toujours possible de ne pas prendre sa pension, de ne bénéficier d’aucun revenu durant l’incapacité de travail et de reprendre son activité professionnelle à l’issue de l’incapacité.
Le Tribunal du travail de Liège a eu à connaître d’une affaire où un travailleur était en incapacité de travail depuis un mois et dix jours seulement au moment où il a atteint l’âge de la retraite. Aucun élément ne permettait de constater qu’il ne pourrait pas reprendre le travail dans un délai raisonnable. Il a effectivement repris le travail deux mois et dix-sept jours après avoir atteint l’âge légal de la pension. Ce cas particulier a poussé le Tribunal à poser, à la Cour constitutionnelle, une question préjudicielle relative à l’article 108, 1°, de la loi précitée.
Ladite question préjudicielle porte sur la différence de traitement, créée par l’article 108, 1°, de la loi précitée, entre :
Alors que les premiers peuvent prétendre aux indemnités d’incapacité de travail tant que leur incapacité de travail dure, les seconds en sont privés à partir du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel ils ont atteint l’âge légal de la pension et sont contraints, pour bénéficier d’un revenu de remplacement, de faire valoir leur droit à la pension. De ce fait, ils ne peuvent plus, non plus, se constituer des droits supplémentaires à la pension de retraite. En effet, l’exercice d’une activité professionnelle autorisée après la prise de la pension ne constitue aucun droit de pension supplémentaire.
Dans son arrêt du 1er juillet 2021, la Cour Constitutionnelle constate que l’article 108, 1° en cause utilise uniquement le moment auquel les intéressés atteignent l’âge de la pension comme point de référence pour calculer le délai au terme duquel les indemnités d’incapacité de travail prennent fin. Ce faisant, le législateur ne tient pas compte de la durée et de la nature de l’incapacité de travail ni de la faculté du travailleur de reprendre le travail dans un délai raisonnable. Le simple fait qu’une personne atteigne l’âge légal de la pension durant une période d’incapacité de travail aussi brève soit-elle ne permet pas, en soi, de considérer qu’il souhaite prendre sa pension de retraite.
La Cour admet que la différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir l’âge légal de la pension, et est pertinente eu égard à l’objectif poursuivi par le législateur, c’est-à-dire réserver les fonds collectifs de l’assurance maladie-invalidité aux cas dans lesquels la sécurité d’existence de la population active est compromise. Cependant, la Cour conclut que l’article 108,1° produit des effets disproportionnés, en ce que, dès le premier jour du mois suivant celui au cours duquel l’âge légal de la pension est atteint, il prive des indemnités d’incapacité de travail les personnes qui choisissent de ne pas prendre immédiatement leur pension de retraite, notamment afin de continuer à se constituer des droits à la pension, et à l’égard desquelles aucun élément ne permet de considérer qu’elles ne pourront pas reprendre le travail dans un délai raisonnable.
A ce titre, l’article en cause n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour donne ainsi une réponse affirmative à la question préjudicielle du Tribunal du travail de Liège.
Grâce à cet arrêt, il sera possible pour un travailleur de bénéficier d’un revenu de remplacement durant son incapacité de travail au-delà de l’âge de la retraite. Il pourra par la suite poursuivre sa carrière et continuer à se créer des droits supplémentaires à la pension de retraite bien qu’il soit en incapacité de travail au moment où il atteint l’âge légal de la pension.
Toutefois, il y a lieu de se demander si cela ne risque pas de créer des abus. En effet, sans limite définie de l’octroi des indemnités d’incapacité de travail, certains pourraient être tentés de ne pas prendre leur pension de retraite, même s’ils ne souhaitent en réalité aucunement reprendre leur carrière par la suite, pour continuer à :
Le législateur devrait intervenir afin d’établir une nouvelle limite à l’octroi des indemnités d’incapacité de travail en utilisant un autre critère que celui de l’atteinte de l’âge légal de la pension. Il pourrait notamment s’agir du critère mentionné par la Cour Constitutionnelle, à savoir la possibilité de reprendre un travail dans un délai raisonnable.
Source : Tetralaw, 19 Juillet 2021