La finance moderne est fondée sur l’idée que la valeur d’un actif financier est égale à la valeur actualisée (c’est-à-dire ramenée en unités monétaires contemporaines) des bénéfices futurs espérés.
Les choses se présentent de la manière suivante : on estime les revenus futurs émanant de cet actif, sans les connaître évidemment, et puis on en défalque deux éléments : d’une part, le prix du temps « pur », qu’on appelle le taux d’intérêt sans risque, et, d’autre part, une prime de risque, qui n’est rien d’autre que le niveau d’incertitude associée aux revenus futurs qu’on veut actualiser. L’actualisation est donc contrainte par deux incertitudes : le futur et son niveau de variabilité. L’idée est que la prime de risque peut se transformer en rendement, mais nul ne sait quand. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on l’appelle prime de risque : on prend un risque pour espérer une prime, c’est-à-dire un rendement.
Mais comment intégrer les dégâts infligés à la nature ? On peut envisager les choses sous forme de revenus futurs négatifs, représentant la remédiation à effectuer, pour autant que ce soit possible. Mais on peut aller plus loin en intégrant aujourd’hui le dommage irréparable de la nature. C’est aussi un revenu négatif, mais qui est certain. La prime de risque est donc nulle. Quel est le taux d’intérêt ? Il devrait être négatif parce qu’un futur qui disparaît (puisque le dommage est irrémédiable) se réduit en valeur. Le temps refoule donc. Et si le dommage environnemental crée un dommage existentiel, alors ce taux d’intérêt doit être moins l’infini, ce qui conduit à une valeur actualisée elle-même égale à moins l’infini. Il ne fait pas entreprendre le projet pour éviter ce dommage. Une valeur infiniment négative conduit à ce que la valeur de la terre devient nulle.
Et comment actualiser la valeur de la terre ? J’ai effectué cet exercice avec l’inspiration d’un de mes collègues. Si la terre a le temps de se régénérer, c’est-à-dire qu’on lui donne le temps de se régénérer sans en exploiter irrémédiablement les ressources, alors le taux d’intérêt est nul, puisque le temps s’écoule fluidement. Il ne compte pas. Et il n’y a pas de doute quant à la jouvence permanente de la terre, ce qui conduit à une prime de risque nulle.
Mais si l’homme surexploite la terre qui n’a plus le temps de se régénérer, alors le taux d’intérêt s’emballe puisque le temps de la surexploitation dépasse son écoulement naturel. À l’extrême, on commet un dommage existentiel à la terre, et le taux d’intérêt devient + l’infini, ce qui conduit effectivement à une valeur de la terre égale à moins l’infini, puisqu’elle disparaît. La prime de risque est, quant à elle, positive puisque l’avenir devient incertain, jusqu’à devenir nulle au dernier moment de la terre puisque son extinction est immédiate.
On en arrive toujours à la même conclusion : un dommage existentiel conduit à la soustraction de la valeur et à celle de la terre.