Comprendre les exclusions du chômage par quelques points de repère!
Temps de lecture: 7 min | 12 mai 2025 à 06:00
Philippe Defeyt
Economiste @ Institut pour un Développement Durable
L’objectif de cette note est de proposer quelques points de repère (peu ou pas mis en évidence dans les débats) pour mieux comprendre ce qui nous attend avec l’exclusion de plusieurs dizaines de milliers de personnes du chômage, avec un accent sur la Wallonie.
Ces exclusions vont générer de nombreuses répercussions, qui dépassent l’arrivée dans les CPAS de nouveaux publics demandant un revenu d’intégration (ou d’autres aides).
Voici quelques points de repère qui ressortent de l’analyse :
Difficile à ce stade d’estimer qui deviendra quoi après l’exclusion : les données manquent à certains égards mais, surtout, on ignore les choix qui seront faits ; et, bien sûr, que certaines personnes (re)trouveront un job ; ceci dit, les études citées pour prévoir ce que deviendront ces exclus ou l’estimation couramment évoquée (environ 1/3 à l’emploi, environ 1/3 au CPAS et environ 1/3 autre = « dans la nature », malade…) – ne sont probablement pas transposables (autre contexte, autres profils, etc.). Il faut aussi tenir compte des effets dynamiques des réformes du chômage.
Les définitions « chefs de ménage », isolé.e ou co-habitant.e ne sont pas les mêmes dans les deux législations, ce qui ne facilite pas toujours l’anticipation. On n’insistera jamais assez sur le fait que l’exclusion d’une personne a des impacts sur elle-même mais aussi sur le ménage dans lequel elle vit si elle n’est pas isolée, et sur les revenus dudit ménage.
Il faut avoir en tête qu’une partie des ménages concernés ne sont pas des ménages « classiques » (personne seule, couple avec ou sans enfants) ; Il peut s’agir, par exemple, d’une grand-mère pensionnée et de son petit-fils chômeur, d’une maman seule vivant avec une de ses filles elle-même maman, d’un frère et d’une soeur, etc., la composition ayant un impact notamment sur l’octroi d’un revenu d’intégration co-habitant.e.
Pour les personnes exclues ou les ménages dont elles font partie qui ne seront pas dans les conditions pour obtenir un revenu d’intégration, certains dispositifs permettront d’amortir la perte de l’allocation : augmentation des allocations familiales, passage au statut de « chef de ménage » d’un autre membre du ménage, activation du quotient conjugal, accès au statut BIM, baisse du loyer dans le logement social ; mais perte sèche de pouvoir d’achat il y aura, sauf à (re)trouver un emploi .
Certains chômeurs n’arriveront pas à proprement parler dans un CPAS, tout simplement parce qu’ils y sont déjà…
En termes de revenus, et pour autant que leur catégorie ne change pas,
les « chefs de ménage » et les bénéficiaires d’allocation d’insertion isolé.es ne verront pas de différence
les isolé.es bénéficiant d’une allocation de chômage perdront au minimum 123 €/mois
pour les co-habitant.es impossible de tirer une conclusion générale.
Les personnes/ménages avec au moins un revenu d’intégration bénéficieront du tarif social pour l’énergie (ce dont l’immense majorité ne disposait pas avant d’arriver au CPAS).
De nombreux.ses bénéficiaires du revenu d’intégration travaillent ; mais comme pour les chômeurs par rapport au chômage de longue durée, pas assez pour sortir (définitivement) du CPAS. En Wallonie, 12% d’entre eux ont au moins une fois en 2024 bénéficié de l’exonération socio-professionnelle ; mais plus ont travaillé (notamment ceux et celles qui bénéficient d’un revenu d’intégration « étudiant.e »). Avec l’arrivée d’un nouveau public on peut penser que le pourcentage de personnes travaillant augmentera.
Quelques simulations visant à comprendre comment évoluent les revenus quand un bénéficiaire du revenu d’intégration travaille une partie du mois montrent qu’un même salaire « paie moins » qu’au chômage dès que l’on dépasse un mi-temps, alors que c’est un des objectifs de la majorité Arizona d’augmenter cet écart. Difficile à comprendre.
Les changements apportés à la législation du chômage devraient amener les gouvernements régionaux à adapter divers dispositifs de mise à l’emploi (dont le fameux Article 60 – presque 11.000 bénéficiaires différents en 2024 en Wallonie) ou d’aides à l’emploi. Il y a cependant peu de personnes exclues qui sont dans les conditions pour bénéficier d’un PIIS étudiant. Au vu de l’arrivée à terme de personnes de plus de 25 ans ayant entrepris ou repris des études ne serait-il pas opportun de redéfinir les conditions d’accès au PIIS étudiant ?
Les bouleversements apportés par diverses réformes (chômage et invalidité) vont voir des publics glisser – pour une période plus ou moins longue – d’un statut à l’autre / d’une catégorie de demandeurs d’emploi à l’autre / d’un type de revenu à l’autre ; il faut des passages plus fluides.
Peut-être faudra-t-il redéfinir les politiques d’adressage en matière de parcours d’insertion socio-professionnelle (qui adresse qui à qui ?) et partager autrement les moyens financiers et humains entre les acteurs. Rappelons à cet égard qu’un.e bénéficiaire du revenu d’intégration doit – sauf bonnes raisons – être inscrit comme demandeur d’emploi auprès du service public régional de l’emploi.
Les CPAS accordent aussi des aides (santé, scolarité, dettes….). Toutes choses égales par ailleurs ces demandes devraient augmenter (plus de personnes en CPAS et plus de personnes/ménages en difficulté suite à la perte d’un allocation de chômage) ; on peut penser que la somme des contraintes qui pèseront sur les ressources propres des CPAS amèneront des baisses dans l’octroi ou les montants de telles aides, pénalisant tout le monde, y compris les actuels bénéficiaires.
Chaque changement dans la situation d’une personne (par exemple une augmentation ou une diminution du revenu professionnel par rapport au mois précédent) entraîne une charge administrative. Chaque demande adressée au CPAS, même si on sait d’avance que la réponse sera négative, doit donner lieu à une enquête sociale. On peut donc aussi craindre une augmentation importante de la charge administrative.
Bref, une fois de plus une réforme au départ essentiellement principielle dont on a mal mesuré les contours au préalable ni moins encore anticipé toutes les conséquences.
Quatre enjeux qui méritent d’être soulignés (il y en a d’autres bien sûr, mais mieux connus) :
l’évolution de la situation financière des CPAS dans la mesure où elle déterminera aussi l’octroi des aides complémentaires, aux nouveaux arrivants mais aussi aux publics déjà aidés
les articulations probablement à redessiner entre les CPAS, les organismes publics de l’emploi régionaux et les autres acteurs de l’insertion
des reprises à l’emploi partielles – ce qui convient le plus souvent mieux à certains publics – seront-elles acceptées à tous les niveaux de pouvoir, notamment pour ce qui est du financement futur des CPAS ?
la mise à jour de dispositifs visant à soutenir l’emploi (Articles 60 par exemple) ou les études/la formation.
Un caveat pour terminer : les calculs ont été faits sur base des montants et règles d’aujourd’hui. Il faudra les refaire au fur et à mesure qu’évolueront les différentes législations en cause (réformes fiscales, montants des allocations, etc.)