Déduction des charges immobilières en société : une lueur d'espoir

En cette période difficile, il peut sembler étrange, voire quelque peu décalé, de traiter de questions fiscales, alors que tant de héros du quotidien se mobilisent pour sauver des vies et que nous ne voyons encore poindre de lueur à l'horizon.
Pourtant la vie continue, et nul doute que des discussions intenses avec l’administration fiscale ne tarderont pas à resurgir.
Il reste dès lors pertinent de suivre et commenter l’actualité fiscale.


Un arrêt de la Cour d’appel de Gand rendu le 3 décembre 2019 met du baume au cœur à de nombreux contribuables qui possèdent un immeuble de placement en société et dont la crainte du refus de toute déduction des charges grevant cet immeuble donne lieu parfois à des insomnies fiscales.


Pourtant le cas d’espèce ne semblait pas offrir quelque espoir à la société : elle avait acquis deux appartements à la côte belge , de surcroît tous deux occupés privativement. Pas idéal comme dossier pour un fiscaliste...


On sait que depuis quelques années l’administration ne cesse de brandir la théorie de la rémunération lorsqu’un immeuble est mis gratuitement par une société à la disposition de son dirigeant d'entreprise et considère souvent que cette mise à disposition ne rémunère pas des prestations effectives accomplies par ce dernier au profit de sa société. Il n’ y a dès lors, pour le fisc, pas lieu d’admettre que les frais grevant un tel immeuble soient déductibles et ce, indépendamment du fait qu’un avantage de toute nature soit déclaré (et imposé) par le dirigeant occupant l’immeuble ? Une théorie que je persiste à considérer comme totalement absurde car ouvrant le champ à l’arbitraire et à une subjectivité débridée.


La Cour d’appel de Gand va toutefois examiner ce dossier sous un angle tout à fait différent et neuf, en s’intéressant de plus près à la plus-value que la société pourra dégager ultérieurement, lors de la réalisation des deux biens immobiliers. Enfin, pas si neuf que cela en réalité, car je me rappelle que cette même Cour gantoise avait déjà opté pour ce type de raisonnement en 2002 (arrêt du 4 décembre 2002 traitant de la question de savoir si les frais d’une piscine étaient déductibles, ce à quoi la Cour avait répondu par l’affirmative en raison de l’accroissement de la valeur de la propriété immobilière et de son incidence positive sur la plus-value taxable). Mais je vends déjà la mèche ...


Dans cet arrêt du 3 décembre 2019 , la Cour évacue tout d’abord l’argument de l’absence de lien que doit avoir l’achat des deux appartements avec l’objet statutaire principal de la société et estime que cela n'exclut en rien le fait de tels frais relatifs à de telles opérations puissent être qualifiés de frais professionnels déductibles. La Cour reconnait par ailleurs que ces frais ont été exposés dans le seul but de servir les intérêts personnels du dirigeant d'entreprise et pourraient en principe être rejetés.


Toutefois poursuit-elle, l’investissement qui est fait par la société ne risque pas d’engendrer un résultat négatif pour la société. Tout autre serait le cas, poursuit le juge, où une société ne serait que l'usufruitière des appartements et où de tels frais ne seraient exposés que dans le seul but de servir les intérêts personnels du dirigeant d'entreprise.


En l’espèce, en revanche, la société a comptabilisé un actif durable et les frais portent sur cet actif. Le fait que des amortissements soient pratiqués sur ces biens ne déforce nullement cette analyse car, dit la Cour nul n’ignore que des appartements acquis à la côte belge forment indubitablement un investissement rentable dont la valeur ne fait qu’augmenter au fil des années. Il suffit dit la Cour n d’examiner les données cadastrales des biens en question pour se rendre compte que leur valeur a plus que doublé depuis leur acquisition, comme c’est le cas de presque tous les biens à la côte. On aura compris qu’une telle situation se démarque totalement de celle dans laquelle une société ne dispose que d'un usufruit temporaire, l'éventuelle plus-value réalisée lors de la vente de la pleine propriété ne se faisant en ce cas, qu’après l’expiration du droit d’usufruit et donc au seul profit du dirigeant.


Il est, en l’espèce, certain que la plus-value ultérieure reviendra entièrement à la société et ce, même si elle intervient bien des années plus tard . La loi fiscale n’oblige nullement à ce qu’une charge professionnelle grevant un actif soit relative au même exercice comptable que celui où se produit le revenu.


Dès lors, pour la Cour, le fait qu’une taxation viendra frapper la plus-value réalisée par la société est plus important que le fait que les appartements soient utilisés exclusivement à des fins privées. Le fisc n’est nullement lésé dans ce type d’opération et la logique fiscale est respectée.


On en revient toujours à ce principe superbement résumé par le professeur John KIRKPATRICK : « Pour être déductible, la dépense ne peut en réalité avoir le caractère d’une pure libéralité mais doit être intéressée » . Ce qui peut être démontré en l’espèce.

La lecture d’un tel arrêt peut rassurer le dirigeant d’une société soucieux d’investir dans un bien immobilier dont il se ménage l’usage privé et dont il sait que la valeur devrait s’accroitre. Il faut bien entendu qu’il soit en mesure de prouver cette hausse progressive de valeur .


Cette jurisprudence rappelle aussi que se lancer aujourd’hui dans un montage usufruit en société avec un bien immobilier qui n’a pas d’affectation professionnelle ou qui ne génère pas un revenu locatif suffisant est plus que jamais à déconseiller. C’est même, à mon avis l’opération kamikaze par excellence, vu les multiples arguments juridiques dont disposent l’administration fiscale et les juges pour la détricoter.


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