Dette publique et fiscalité ...

La question n'est plus de savoir si les Etats de la zone euro sont en défaut : la plupart le sont sociétalement dans la mesure où le poids des dettes publiques n'est plus transposable dans le futur. Car ce n'est pas la dette, en tant que telle, qui importe, mais sa cohérence avec la prospérité et les revenus futurs. Or la dette publique ne bénéficie plus en rien aux générations futures, alors que le remboursement est mis à leur charge. Cette dette ne finance d'ailleurs plus des investissements mais des transferts. Au surplus, comment expliquer qu'une crise de l’endettement se règle à coups de rigueur budgétaire et de chômage, c’est-à-dire au détriment de ceux qui devront la rembourser ?

Capital fictif ?

Evidemment, on peut argumenter qu'une dette publique est, comme le suggérait Karl Marx, un capital fictif. Elle n'est jamais remboursée et se dilue au gré des années dans un refinancement permanent. Sous cet angle, on peut imaginer que la dette soit naturelle, en ce qu'elle reflète un transfert continu des créanciers de l'Etat vers les secteurs publics, à l'instar d'une gigantesque sécurité sociale. La dette importerait alors peu. Elle serait à l'épargne privée ce que l'impôt est aux revenus professionnels. Elle serait même "la" représentation par excellence de l'Etat puisque son refinancement conditionne les mécanismes fiscaux et de redistribution.


Malheureusement, l'analyse marxiste est un peu courte, car une dette excessive est probablement l'écueil principal à une fluidité du capital et à l'allègement du coût du travail. En effet, si la dette est refinancée par l'impôt, c'est immanquablement le travail qui est frappé. La dette publique représente donc une ponction continue sur la croissance productive. Et lorsque la dette publique est trop importante, ce ne sont plus les créanciers qui obligent les débiteurs : ce sont les débiteurs qui imposent des effacements de dettes à leurs créanciers. L'ordre monétaire est, en effet, toujours subordonné à l'ordre social. Concrètement, cela signifie que la pompe des transferts financiers refoule : ce sont les créanciers de l'Etat qui supportent un appauvrissement plutôt que les débiteurs de l'impôt sur le travail.


Comment sortirons-nous de ce piège infernal ?

Nombreux sont ceux qui invoquent la sortie "par le haut et par l'extérieur" de l'endettement public, c'est-à-dire par la croissance (qui diminue le poids relatif de la dette publique) ou par l’inflation (qui dilue la valeur de la dette). Malheureusement, il n'y a pas de croissance. Et, contre tout bon sens, l'obstination politique allemande a écarté l’inflation, elle-même contrariée par le vieillissement de la population. Et puis, surtout, la Commission Européenne s’enferre dans des politiques de rigueur budgétaire dont on confessera honteusement, dans dix ans, qu’elles auront été une gravissime erreur de jugement.


Sans inflation, nous sortions de cette crise d’endettement public " par le bas et par l'intérieur", c'est-à-dire par une diminution du pouvoir d'achat de la monnaie elle-même. C’est d’ailleurs intuitif : derrière la dette publique, c’est la monnaie qui est mise en joue.


Concrètement, il faudra se préparer à des effacements des dettes dans les pays les plus faibles (la Belgique n’est aucunement concernée). Il s'agirait alors probablement de défauts "internes", comme la Russie l'a effectué en 1998. Dans le Sud de l’Europe, ce serait donc les opérations Gutt du 21ème siècle. Il ne s'agirait pas de remplacer, comme en octobre 1944, le papier-monnaie belge par de nouveaux billets, puisque la monnaie est commune et essentiellement dématérialisée. Il s'agirait d'un probable rééchelonnement (c'est-à-dire d'une élongation forcée des maturités) des dettes publiques avec un allongement simultané des engagements vis-à-vis des assurés et pensionnés (les capitaux se transformant en rentes, etc.). Ce ne serait donc pas non plus un défaut généralisé de la dette européenne, mais des dissolutions et compensations nationales de dettes.


Cet effacement de dettes aurait comme préalable un contrôle des capitaux et une nationalisation du secteur financier ou, à tout le moins, l'éviction des actionnaires privés. Ces décisions toucheraient les actionnaires des banques et compagnies d'assurances. Il s'agirait d'un cas extrême de ce que les économistes appellent la répression financière, c'est-à-dire une combinaison de capture d'épargne et de taux d'intérêt bas.


La crise des dettes publiques confrontera chaque pays à ses propres réalités. Heureusement, la Belgique ne sera jamais concernée par une seconde opération Gutt, puisque notre dette publique est largement financée par l'épargne populaire et est faible par rapport au patrimoine des particuliers.


En conclusion, nous longeons les abîmes de grands chocs socio-économiques.

Il faut cesser d'entretenir de pathétiques illusions sur l'attrition naturelle des dettes publiques par une croissance qu’on ne voit pas stabilisé alors que leur contrepartie se trouve dans des dettes publiques impayables. On se rendra bientôt compte avec effarement de l'erreur de jugement des hommes politiques qui ont étendu trop vite la zone euro et des économistes d’eau douce qui ont préconisé ad nauseam la rigueur et l'austérité absolue au milieu d'une récession.


Il faudrait, au contraire, admettre la "fiscal dominance", c'est-à-dire la tutelle d'une politique budgétaire assouplie sur la politique monétaire.

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