L’un des points les plus obscurs de la réforme du régime de taxation forfaitaire des droits d’auteur et des droits voisins est incontestablement le ratio 30/70.
L’objectif de ce ratio est d’imposer (sans vilain jeu de mot) une répartition « fiscale » entre la valeur du travail et la valeur des droits lorsque la cession des droits s’accompagne d’une prestation. Selon les travaux parlementaires, même si les parties ne prévoient pas la rémunération du travail de création, la loi considère que, à partir de 2025, 70% des revenus qui ont la nature de droits d’auteur doivent être traités comme des revenus professionnels.
Cependant, ce ratio ne s’applique que si la cession des droits s’accompagne d’une prestation. Ce sera notamment le cas dans une situation où l’auteur à l’obligation de créer l’œuvre, à savoir dans le cadre d’un contrat de commande ou d’un contrat d’emploi. En outre, le ratio ne s’applique pas lorsque la contrepartie pour la cession des droits est perçue ultérieurement.
Le Service des Décisions Anticipées (ci-après « SDA ») a rendu récemment deux décisions intéressantes sur la manière dont doit être appliquée ce ratio.
Les journalistes indépendants et les éditeurs de presse (tant francophones que flamands d’ailleurs) ont interrogé le SDA afin de vérifier dans quelle situation le ratio devait être respecté. Il a notamment été expliqué à l’administration que les articles de presse ou les photographies, font l’objet de multiples exploitations. Les éditeurs de presse sont désormais « web first », ce qui veut dire que la première exploitation de l’œuvre interviendra sur le site internet de l’éditeur. Ensuite, l’œuvre du journaliste sera exploitée via d’autres diffusions sur d’autres supports (journal papier, site web d’autres journaux, podcasts, …).
Les journalistes et les éditeurs défendaient que le ratio ne pouvait s’appliquer qu’aux revenus issus de la première exploitation sur le premier support au motif que seule cette exploitation présentait un lien avec la prestation de création du journaliste. Toutes les autres exploitations étaient déconnectées de cette prestation puisque le journaliste n’intervient plus.
Le SDA a accepté cette lecture. Toutefois, il a demandé au secteur de démontrer sur la base d’une analyse économique la valeur des droits d’auteur (au sens de revenus) résultant de la première exploitation et la valeur des droits d’auteur pour les autres exploitations. Il résulte de cette analyse que la valeur des droits pour la première exploitation est de 21% de l’enveloppe financière attribuée par l’éditeur au journaliste. Le ratio ne s’appliquera donc qu’à cette quote-part. En outre, si le SDA confirme dans sa décision que le plafond relatif (ou le ratio) de 30% (pour l’exercice d’imposition 2026) s’applique uniquement au revenu versé par l’éditeur de presse pour la première exploitation de l’œuvre du journaliste, il exige que les parties distinguent explicitement les deux types de revenus par la signature de deux conventions séparées.
Le secteur de l’édition (littérature, bd, manuels scolaires, ouvrages scientifiques, …) a toujours attribué exclusivement des droits aux auteurs. En d’autres termes, les éditeurs ne rémunèrent pas le temps de travail. L’application du ratio à leur situation aurait dès lors eu un impact énorme sur la situation financière des auteurs. Le ministre des Finances avait laissé entendre lors des travaux parlementaires que le ratio n’était pas applicable à l’auteur qui venait proposer un manuscrit d’initiative à un éditeur. Toutefois cette situation reste très théorique et éloignée des pratiques du secteur. Il était dès lors nécessaire d’obtenir plus de clarté sur les situations visées (ou non) par l’application du ratio.
Les éditeurs ont expliqué leur relation contractuelle avec l’auteur et notamment mis en évidence plusieurs éléments de nature à démontrer qu’à aucun moment ils ne peuvent imposer à l’auteur de créer. Au contraire, l’éditeur ne prend un engagement d’exploiter l’œuvre qu’à partir du moment où l’œuvre a été acceptée par lui.
Vu que le risque financier repose sur l’auteur jusqu’à l’acceptation de l’œuvre par l’éditeur, le SDA a confirmé que le plafond relatif (le ratio) n’était pas applicable à la relation contractuelle entre l’auteur et l’éditeur. En d’autres termes, l’intégralité des montants versés par l’éditeur en application d’un contrat d’édition (ou à un contrat en présentant les mêmes caractéristiques) sera traitée comme un revenu mobilier. Cette décision favorable vise également l’avance versée par l’éditeur à l’auteur à l’acceptation de l’œuvre. Il s’agit d’un montant de droits payés par anticipation sur l’exploitation de l’œuvre.
Par contre, l’administration fiscale ne se prononce pas (encore) sur le traitement fiscal de l’avance payée à la signature du contrat ni sur le traitement fiscal des droits d’auteur qui dépassent 37.500€ (montant à indexer) et/ou, dépassent, en moyenne au cours des quatre années antérieures, 37.500€ (montant à indexer).
En conclusion, le Service des Décisions Anticipées a permis ici d’apporter un peu de sécurité juridique sur un élément de la réforme particulièrement difficile à appréhender.
Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 29 octobre 2024.