Faut-il soumettre l'indemnité pour résiliation anticipée d’un contrat à la TVA?

Avec l’entrée en vigueur du nouveau Code civil, l’article 1794 de l’ancien Code a été remplacé par l’article 5.76 du Livre 5 (“Les obligations”), la résiliation anticipée d’un contrat d’entreprise par le maître d’ouvrage suscite toujours autant d'interrogations sur son traitement fiscal, notamment en matière de TVA : ’indemnité versée à l’entrepreneur doit-elle être soumise à la TVA ? La réponse dépend de la nature de l’indemnité et de son lien avec une prestation de service. Tentons d'y voir plus clair.


1. Qu’est-ce qu’une indemnité pour résiliation anticipée dans un contrat d’entreprise ?

Conformément à l’article 5.76 du nouveau Code civil, le maître d’ouvrage peut résilier unilatéralement un contrat d’entreprise, même si l’exécution des travaux ou services a commencé. Toutefois, il est tenu d’indemniser l’entrepreneur pour :

  • Les dépenses engagées (matériel, main-d’œuvre, matériaux) ;
  • Les prestations déjà accomplies ;
  • Le manque à gagner pour les travaux non exécutés.


2. Quelle distinction est faite entre le “prix” et l’“indemnité” ?

Selon l’article 26 du Code de la TVA :

  • Le prix est la contre-valeur d’une prestation de service ou d’une livraison de bien. Il est systématiquement soumis à la TVA.
  • L’indemnité est destinée à compenser un préjudice (par exemple, le manque à gagner ou la réparation d’un dommage). Si elle est réellement une indemnisation, elle échappe en principe à la TVA.


3. Les prestations déjà accomplies sont-elles soumises à la TVA ?

Oui. Les prestations effectuées avant la résiliation sont soumises à la TVA, conformément à l’article 18, §1er, 1° du Code de la TVA. Ces prestations sont facturées avec TVA selon le taux applicable. Il y a donc lieu de distinguer lorsque l'on touche un montant au regard d'une prestation réalisae d'un montant pour le "manque à gagner", qui nécessairement, lui, n'a pas fait l'objet d'une prestation!


4. L’indemnité pour le manque à gagner est-elle soumise à la TVA ?

Non, si cette indemnité vise uniquement à compenser le manque à gagner pour les travaux non exécutés. L’administration fiscale belge, dans la décision TVA n°E.T.18762 du 13 septembre 1974, a expressément confirmé que les indemnités payée par le maître d’ouvrage à l’entrepreneur ne sont pas soumises à la TVA. L’entrepreneur devra alors émettre une facture sans TVA pour cette indemnité.


5. Quelles sont les conséquences d’une facturation incorrecte avec TVA ?

Si l’indemnité est facturée avec TVA à tort, ou si une auto-liquidation est appliquée de manière incorrecte, l’administration TVA pourrait rejeter la déduction de cette TVA en cas de contrôle. Cela entraînerait des ajustements fiscaux potentiellement coûteux pour les deux parties.


Jurisprudence européenne : des nuances importantes

6. Quelles sont les positions de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) sur le sujet ?

La CJUE a adopté une approche restrictive dans plusieurs arrêts récents :

  • Arrêt Société Thermale d’Eugénie-les-Bains (C-277/05, 2007) :
    • les indemnités compensant un préjudice, comme les arrhes retenues après une annulation, ne sont pas soumises à la TVA.
    • Dans ce cas la Cour estime que les indemnités « doivent être regardées, lorsque le client fait usage de la faculté de dédit qui lui est ouverte et que ces sommes sont conservées par l’exploitant d’un établissement hôtelier, comme des indemnités forfaitaires de résiliation versées en réparation d’un préjudice à la suite de la défaillance du client, sans lien direct avec un quelconque service rendu à titre onéreux, et, en tant que telles, non soumises à cette taxe ».
  • Affaires C-250/14 et C-289/14 (2015) :
    • les sommes conservées par une compagnie aérienne pour des billets d’avion non utilisés par son utilisateur sont soumises à la TVA car elles représentent une rémunération pour un service individualisable, même si le service n’a pas été utilisé.
    • Dans ce cas la Cour estime que le prix correspond au montant total du billet, que la compagnie peut encore le revendre sans en rembourser l'achetur intial et que le vente menait bien à une vente ferme et définitive, ce qui éloigne le montant d'une quelconque "indemnité".
  • Arrêt C-295/17 (2018) :
    • une indemnité prédéterminée, correspondant aux revenus que le prestataire aurait perçus si le contrat avait été exécuté, est soumise à la TVA. Cette indemnité est considérée comme une contrepartie économique d’un service.
    • La Cour a également précisé qu'il est sans importance en matière TVA que le montant soit qualifié en droit national de clause pénale.


7. Quels critères doivent être pris en compte pour déterminer si une indemnité est assujettie à TVA ?

Pour déterminer si une indemnité est soumise ou non à la TVA, il faut examiner la réalité économique contractuelle :

  • Si l’indemnité compense un préjudice ou un manque à gagner, elle échappe à la TVA.
  • Si elle constitue une rémunération pour une prestation de service, même non exécutée, elle est soumise à la TVA.


Conseils pratiques pour éviter les erreurs

8. Que faut-il faire pour s’assurer d’un traitement correct ?

  • Analysez les clauses contractuelles : Assurez-vous que les contrats précisent clairement la nature des indemnités de rupture (réparation d’un préjudice ou rémunération).
  • Facturez correctement : Vérifiez si l’indemnité couvre des prestations déjà exécutées (soumise à la TVA) ou un préjudice pour travaux non réalisés (non soumise à la TVA).
  • Conservez les justificatifs : Documentez les bases de calcul des indemnités pour éviter tout litige lors d’un contrôle fiscal.


9. Que doivent faire les maîtres d’ouvrage et entrepreneurs ?

  • Maîtres d’ouvrage : Vérifiez les factures reçues pour éviter de déduire une TVA non applicable.
  • Entrepreneurs : Émettez des factures conformes à la nature de l’indemnité et évitez de facturer de la TVA à tort.


Conclusion

L’indemnité pour résiliation anticipée d’un contrat d’entreprise est un sujet complexe, mêlant droit civil et fiscalité. La jurisprudence européenne récente tend à soumettre à la TVA les indemnités qui s’apparentent à une rémunération pour une prestation de service. Toutefois, en Belgique, les indemnités compensant un manque à gagner pour des travaux non réalisés échappent encore à la TVA.


Recommandation : Pour éviter tout problème d’interprétation, il est essentiel de bien rédiger les clauses contractuelles de résiliation et de consulter un expert fiscal pour tout litige ou doute concernant le traitement TVA des indemnités.

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