
Réduire notre stock d’or n’est pas un remède budgétaire miracle mais une exigence de saine gestion du patrimoine public.
Avec en 2025 un déficit public de plus de 5% du PIB et une dette brute de plus de 100% du PIB, le constat est clair et connu : nos finances publiques sont dans un triste état. Souvenons-nous des plafonds absolus que l’Europe s’étaient fixés : 3% de déficit (correspondant plus ou moins au niveau des investissements publics) et 60% de dette. Et la dynamique est défavorable du fait de trois vents budgétaires contraires : les dépenses additionnelles liées au vieillissement de la population, le financement de la transition environnementale et la dissuasion contre l’impérialisme du régime de Poutine qui amène l’OTAN à prescrire de porter nos dépenses militaires d’ici 2030 à 3,5 % du PIB, soit un surcroît de quelque 10 milliards d’euros. Et ceci sur fond de croissance économique molle, du fait de l’évolution démographique et du poids de la fiscalité sur les facteurs de production.
Dans ce contexte plus qu’exigeant, a refait surface l’idée que la Belgique vende une partie de son stock d’or. C’est une bonne idée, mais pas pour la raison qui est le plus souvent avancée. Non, cela ne rendrait pas l’augmentation du budget de l’armée indolore. En fait, il importe de dissocier deux questions : comment réduire le déficit et comment financer la dette. Vendre de l’or ne réduit en rien le déficit, et donc ne permet pas de faire l’économie … de devoir faire des économies. Pour une raison de convention comptable, une vente d’actifs, qu’il s’agisse d’or ou d’actions Belfius ou BNPParibas, a un effet flatteur sur le taux d’endettement – puisque la dette telle qu’elle est communiquée est la dette brute, et que vendre des éléments de patrimoine permet de moins émettre de nouveaux emprunts – mais cela ne change rien à l’ampleur du déficit. Un ménage qui vend un tableau pour éponger une dette voit son endettement baisser mais son niveau de patrimoine net est inchangé.
Là où vendre de l’or fait sens est en regard du financement de la dette publique. Pour le propriétaire d’une collection de tableaux traversant une période financièrement difficile, céder une partie de sa collection est plus prudent que de contracter de nouveaux emprunts. En effet, le prix des tableaux peut chuter, auquel cas honorer ses engagements deviendrait problématique. Il en va de même avec notre or.
Aujourd’hui, l’Etat belge détient 227 tonnes d’or. Au cours actuel, cela vaut quelque 22 milliards d’euros. En 2005, le gouvernement Verhofstadt a vendu 30 tonnes d’or. Le stock restant alors valait l’équivalent de 0,6 % du PIB. Depuis, le cours de l’or a été multiplié par 8,7. Si l’État vendait aujourd’hui de l’or pour 17 milliards d’euros, le stock restant vaudrait encore 0,6 % du PIB. Ne pas vendre d’or, c’est choisir d’augmenter le poids relatif de l’or dans notre patrimoine au fur et à mesure de l’appréciation du cours. C’est tout le contraire du principe académique « contrarian » d’une gestion patrimoniale selon lequel il faut écrêter les positions dont la valeur a crû. Selon quelles modalités céder une partie du stock d’or ? Comme nul ne sait comment son cours va évoluer, une stratégie indicative serait de vendre annuellement d’ici 2030 l’équivalent de disons 3% du stock d’or actuel.
Et que l’on se rassure : l’or ne joue plus aucun rôle dans le processus monétaire. L’or n’est plus qu’une matière première, un métal précieux coté apprécié par certains investisseurs comme actif de diversification mais économiquement inutile et pourtant nettement moins taxé que le très utile capital à risque. Il n’est plus un étalon depuis que Richard Nixon a suspendu la convertibilité du dollar en or en 1971. Il n’y a plus aucun lien entre la quantité d’or détenue par un Etat et la stabilité de sa monnaie ou sa crédibilité sur les marchés internationaux.
Souhaiterions-nous que l’Etat belge emprunte davantage pour acheter de l’or, et cela au cours actuel ? Non, bien sûr. Or, en gestion patrimoniale, on ne doit choisir de ne pas vendre un élément de son patrimoine que si, n’en disposant pas, nous choisirions d’en acheter « hic et nunc ». En finance, la rationalité a ses droits. Cela s’applique aussi aux finances publiques !
Alain Siaens et Etienne de Callataÿ