Fiscalité: que raconte Laffer et que devons-nous en retenir?

Dans le cadre de l’École de Chicago, l’économiste Arthur Laffer (1940 -), très influent sous l’administration de Roland Reagan et de Donald Trump (1946 -), Président des États-Unis entre 2017 et 2021) qui lui a octroyé en 2019 la Presidential Medal of Freedom, avait supputé que lorsque le taux d’imposition est trop élevé, les contribuables diminuent leur apport de travail ou leur consommation, selon l’impôt concerné.

Dès 1978, il défendit la Proposition 13, visant à une réduction de l’impôt immobilier en Californie dont Ronald Reagan était le gouverneur. Lorsque ce dernier devint président des États-Unis en 1981, il participa à la rédaction de l’Economic Recovery Tax Act of 1981 et du Tax Reform Act of 1986. Son influence ne fut cependant pas confinée aux États-Unis, puisque dans des proportions diverses, les politiques fiscales de Margaret Thatcher et d’Helmut Kohl (1930-2017, chancelier de l’Allemagne de 1982 à 1998) s’en inspirèrent. Il existerait, selon Arthur Laffer, un niveau maximal des recettes de l’impôt au-delà duquel ces dernières diminuent si le taux de l’impôt augmente, car il joue alors un rôle inhibant.

L’idée d’Arthur Laffer, élaborée en 1974 sur un coin de table du restaurant Two Continents de Washington DC, se résumait à une courbe parabolique sur un graphique présentant le taux d’impôt en abscisse et le montant des recettes fiscales en ordonnée. Lorsque le taux d’imposition est trop élevé, les contribuables diminuent leur apport de travail.

La forme de la courbe induit qu’une même recette fiscale peut être obtenue pour deux taux d’imposition, l’un faible, l’autre élevé. Il est intuitif, selon Arthur Laffer, qu’il vaille mieux lever l’impôt, à recettes fiscales données, avec le taux le plus faible. Un système à taux faible sur une assiette large est préférable à un système à taux élevé sur une assiette réduite.

À l’opposé, un des piliers de la plupart des systèmes fiscaux européens est la progressivité des barèmes par tranches. La logique en est assez simple : l’impôt est prélevé selon des tranches soumises de manière incrémentale à un taux marginal plus élevé. Cette progressivité vise à taxer la formation de l’épargne. En effet, au fur et à mesure que le revenu d’une personne physique croît, sa consommation se stabilise ou, à tout le moins, ne progresse pas aussi rapidement que le revenu. Ces deux paramètres ne sont pas proportionnels. Il arrive donc un niveau de revenu où un contribuable en épargne une quote-part croissante.

Comme les barèmes d’impôt sont progressifs, la taxation des revenus destinés à être épargnés augmente marginalement. Chaque unité monétaire épargnée est ainsi affectée d’une charge fiscale marginalement croissante. La progressivité de l’impôt des personnes physiques pénalise ainsi la formation d’épargne, ce que les économistes nomment la propension marginale à épargner.

Cette formulation correspond aussi à une théorie fiscale appelée l’« égalité du sacrifice ». Selon cette dernière, le degré d’utilité d’un bien diminue à mesure que son volume grandit. L’impôt doit donc puiser dans les tranches de revenus affectées à des besoins non vitaux, voire moins indispensables. L’intensité du sacrifice fiscal doit croître avec le revenu. On pourrait avancer que si la formation d’épargne est pénalisée par la progressivité de l’impôt, la propension à consommer est, par complémentarité, favorisée. Sous l’influence de Maynard Keynes (1883-1946), certains auteurs ont même avancé que le plein-emploi (découlant de la consommation) ne pourrait pas être atteint sans progressivité de l’impôt.

La différence entre le modèle capitaliste anglo-saxon et l’État social européen est donc très révélatrice en matière de fiscalité directe sur les revenus des personnes physiques. Les États sociaux européens sont caractérisés par une fiscalité plus lourde, reflétant le caractère commutatif de l’impôt, c’est-à-dire que ce dernier n’est légitime qu’à la condition d’avoir des contreparties satisfaisantes.

À la redistribution sociale, le néolibéralisme oppose la théorie du ruissellement — en anglais trickle-down theory — qui affirme que les revenus des individus les plus riches sont réinjectés dans l’économie, contribuant ainsi, directement ou indirectement, à l’activité économique générale et à l’emploi dans le reste de la société. Il faut donc libérer les plus nantis d’un impôt excessif.

Mais, malheureusement, le ruissellement a défié les lois de la gravité, enrichissant les plus nantis au détriment des travailleurs…

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