La taxation des plus-values avait tout pour séduire. Présentée comme un symbole de justice fiscale, cette mesure entendait corriger les inégalités croissantes de patrimoine en Belgique. Le gouvernement voulait frapper fort : taxer ceux qui s’enrichissent « sans effort », et rassurer une population lassée de voir les revenus du capital peu ou pas imposés. Mais derrière cette vitrine politique, la réalité technique, économique et sociologique est tout autre. Ce n’est pas la grande fortune qui sera touchée, mais une fois de plus, la classe moyenne investissante. La réforme n’est ni juste, ni efficace, ni stratégique. Elle est, en l’état, une démonstration éclatante de ce qu’il ne faut pas faire lorsqu’on réforme la fiscalité du capital.
C’est là la première grande erreur. Officiellement, cette taxation vise les 1 % les plus riches. Dans les faits, elle ne s’appliquera qu’aux personnes physiques. Or, depuis des années, les grandes fortunes ont organisé leur patrimoine au travers de sociétés, de holdings, de structures délocalisées ou de véhicules de planification patrimoniale. Tous ces montages sont légalement exclus du champ de la réforme. Les contribuables les plus fortunés, ceux que la Banque nationale identifie comme détenant la majorité des actifs financiers du pays, ne seront tout simplement pas concernés. Cette réforme prétend cibler les châteaux, mais elle rase les maisons de rangée.
Les ménages qui ont investi dans une société familiale, un immeuble de rapport, une start-up ou une participation dans un projet local. Les professions libérales qui ont constitué un capital pour leur pension. Les dirigeants de PME qui envisagent un jour de vendre leur activité. Tous ces profils, qui ne relèvent ni de l’optimisation agressive ni de l’exil fiscal, vont devoir supporter une complexité inédite, une incertitude sur les plus-values imposables et une fiscalité potentiellement lourde sur des revenus non récurrents. Et pour quel rendement ? Les premières simulations suggèrent que les recettes fiscales seront faibles, volatiles, voire décevantes¹. La réforme appauvrira ceux qui participent à l’économie réelle sans toucher ceux qui en captent les flux.
Pour ménager la forme, le gouvernement a voulu ratisser large. Résultat : une série de rustines techniques viennent alourdir un système déjà illisible. L’exonération de 10.000 euros ? Conditionnée à une déclaration annuelle obligatoire, même en l’absence de plus-values. Le report de 1.000 euros sur cinq ans ? À archiver, suivre, contrôler. Les plus-values sur titres non cotés ? À évaluer sans base de marché. En coulisse, on parle déjà de surcharge pour l’administration, de conflits d’interprétation, de recours. Le citoyen n’est pas armé pour gérer ces subtilités. Il devra faire appel à des fiscalistes, et l’administration devra investir massivement dans des contrôles incertains. Est-ce cela, une fiscalité moderne ?
Car elle touche au cœur de la transmission économique. Lorsqu’un entrepreneur vend une participation de plus de 20 %, il ne liquide pas un placement. Il clôt un chapitre de vie, libère du capital pour investir, ou simplement pour assurer sa retraite. Dans un pays où les pensions légales des indépendants sont notoirement faibles², taxer lourdement ce capital-pension est incompréhensible. Pire : cela dissuade la transmission d’entreprise, rend plus coûteux le rachat intergénérationnel, fragilise l’écosystème PME. Dans le silence politique sur les enjeux du vieillissement entrepreneurial, cette mesure est une attaque sourde contre ceux qui ont pris des risques, créé de l’emploi et payé leur dû durant trente ans.
En 2024, l’Italie a accueilli 2.200 nouveaux super-riches étrangers. Pourquoi ? Parce qu’elle leur a offert une fiscalité lisible et compétitive : une flat tax de 100.000 euros sur les revenus étrangers, portée à 200.000 euros sous le gouvernement Meloni³. À cela s’ajoutent des abattements généreux en matière successorale, une fiscalité de transmission favorable, et une politique d’accueil économique proactive. Le résultat est clair : explosion du marché immobilier de luxe, investissements dans les infrastructures, résidences fiscales transférées depuis le Royaume-Uni ou les États-Unis. Tandis que l’Europe continentale perd 2,1 % de ses millionnaires, l’Italie grimpe au sommet de l’attractivité fiscale européenne⁴.
La Belgique pouvait faire autrement.
Une taxation transactionnelle – par exemple, une augmentation modeste de la taxe sur les comptes-titres à 0,3 % – aurait eu le mérite de la simplicité et de l’universalité. Elle aurait touché tous les patrimoines financiers, sans distinction, sans niches, sans effets pervers. C’était moins visible, certes, mais plus efficace, plus transparent, plus stable. En préférant une taxation ciblée sur les plus-values, le gouvernement a choisi l’usine à gaz, l’injustice économique et l’inefficacité budgétaire. Il ne fait aucun doute que les experts, les entrepreneurs, les indépendants et les investisseurs avertis sauront s’en souvenir lorsque la confiance fiscale – déjà fragilisée – s’érodera davantage.
Références
¹ Commission de monitoring budgétaire, estimations du rendement brut de la taxation des plus-values, juin 2025.
² Service fédéral des pensions, chiffres de la pension moyenne légale des indépendants en Belgique, 2024.
³ Loi italienne de finances 2017, art. 24-bis TUIR ; décret de majoration de la flat tax à 200.000 euros, été 2024.
⁴ World Wealth Report 2025, Capgemini ; données du ministère italien de l’Économie sur l’attractivité fiscale.