Pour ce 4ième exercice de décodage, on a choisi le prisme de l’(in)égalité. Il va de soi que l’analyse pourra évoluer en fonction de précisions à venir sur les mesures et/ou sur base des modalités de leur mise en œuvre. Il s’agit d’une première lecture qui ne prétend pas à l’exhaustivité.
Le point principal : on ne sait nullement à ce stade comment seront répartis les efforts budgétaires sur les dépenses. Tout aussi vague est le passage suivant : « L’avenir s’éclairera pour tous si on peut compter sur un juste effort de chacun. » Difficile donc de commenter tout cela sous le prisme de l’(in)égalité. On reviendra sur ce point quand tomberont des précisions sur les choix budgétaires.
Mettre fin aux nominations dans l’administration et, peut-on supposer, remplacer la pension publique par des assurances complémentaires va progressivement – mais la période de transition sera par définition très longue puisqu’on semble vouloir maintenir les droits acquis – mettre fin aux inégalités au sein des administrations, entre collègues qui font le même travail, dès lors que nommer tout le monde n’est plus possible ni souhaité. On notera au passage qu’on verra comment sera maintenue ou pas une vertu essentielle de la nomination : la capacité effective d’exprimer le point de vue de l’administration la protégeant de “représailles” politiques. Par ailleurs, l’administration et l’enseignement ont bon dos : je doute fort qu’une telle approche soit étendue, par exemple, à la gendarmerie et à la police, où la nomination est de règle après un an… Une fonction publique à deux vitesses donc, supposant qu’un policier a plus de droit d’être nommé qu’un enseignant ?
La suppression des budgets facultatifs va, et c’est une très bonne chose, dans le sens d’une plus grande égalité entre citoyens, pouvoir publics locaux, entreprises et associations.
« Le Gouvernement veillera à ce que les moyens financiers régionaux octroyés dans ses différentes compétences ne participent pas à créer ou entretenir une concurrence déloyale avec les entreprises privées. » Fort bien, mais il faut ici rappeler que la principale distorsion de concurrence entre PME trouve sa source dans le dispositif fédéral « Réductions de cotisations pour les premiers engagements ou “Plans Plus” » qui, par définition, favorise les nouveaux employeurs au détriment de ceux qui ont déjà engagé.
Une demande forte des acteurs de la lutte contre la pauvreté en matière de transition digitale est rencontrée : « Le Gouvernement doit déployer une politique permettant de garantir aux citoyens en situation d’exclusion digitale un moyen d’accéder et d’utiliser les outils numériques, cela permettant à terme, de faire de l’accès au numérique une réalité. Cependant, nonobstant la digitalisation de l’administration et pour lutter contre la déshumanisation administrative, chaque administré doit pouvoir se prévaloir du droit à être entendu et reçu en personne dans son rapport à l’État. Ce droit a été consacré par la Cour administrative de Luxembourg dans un arrêt du 3 mai 2022. »
Si elle réussit et si les emplois créés sont de qualité, il est évident qu’une politique visant à augmenter le taux d’emploi contribue à une réduction des inégalités de revenus
En matière de chômage longue durée, la DPR dit ceci : « Les partenaires gouvernementaux n’ont pas caché leur souhait d’une révision du mécanisme d’octroi des allocations de chômage notamment la limitation dans le temps à deux années. Anticipant la dynamique souhaitée et attendue au niveau fédéral, le Gouvernement s’inscrira dans la perspective d’une activation plus rapide et constante des demandeurs d’emploi. » La question non clarifiée à ce stade est la suivante : comment seront considérés et “gérés” par le FOREM les chômeurs de longue durée qui ont travaillé, par définition de manière réduite (souvent via l’intérim) mais néanmoins réelle, au cours des X derniers mois ? En avril 2024, 39% des chômeurs de 2 ans ou plus wallons avaient travaillé au moins une fois/un jour depuis qu’ils ont franchi la barre des 2 ans de chômage.
Il est évident qu’une « une prise en charge rapide et efficace de tous les élèves en situation de décrochage scolaire et la lutte contre le décrochage » est un outil puissant de lutte contre les inégalités. Mais on verra à l’usage, tant on a déjà essayé de nombreux programmes dans ce domaine.
Le développement de dispositifs d’alternance dans toutes les formes d’enseignement, y compris le supérieur, peut contribuer à lutter contre la précarité étudiante, en garantissant un revenu lié à la partie emploi de l’alternance. Mais on ne sait rien encore sur les règles de rémunération qui seront mises en place, en particulier pour les étudiants dans des filières pointues du supérieur.
« Le Gouvernement prévoit de baisser dès le 01/01/2025 à 3% le taux applicable en cas d’acquisition d’une habitation propre et unique. Ce régime permettra d’aligner les droits d’enregistrement sur le bien d’habitation propre et unique sur le taux applicable en Flandre. Il représente un incitant simple et lisible pour renforcer l’accès des jeunes à la propriété. Cette réforme remplace de manière plus favorable les réductions, abattements et avantages existants, dont le chèque-habitat. ». Ce dernier point mérite d’être décodé. Cette baisse des droits d’enregistrement s’accompagne, pour les nouveaux primo-acquéreurs, d’une suppression du chèque-habitat (= dispositif de réduction fiscale). Or ce dispositif prévoit une dégressivité de l’aide publique en fonction de la hauteur des revenus. Il est donc probable que pour les petits/modestes revenus le nouveau dispositif conduira, ex ante, à une aide plus ou moins semblable mais que le nouveau système sera d’autant plus favorable quand on monte – et cela va souvent de pair – dans l’échelle des revenus et de la valeur du bien acheté. Qui plus est, contrairement au chèque-habitat, la baisse des droits d’enregistrement n’est en rien liée à l’existence d’un crédit hypothécaire. Dès lors, un ménage aisé, plus ou moins soutenu par des apports familiaux, fera partie des grands gagnants. Est-ce vraiment équitable ? Tant que le fédéral n’aura pas, le cas échéant, baissé la TVA, cette réduction introduit/renforce une différence de traitement entre l’achat d’un bien existant et un logement neuf. Enfin, plus encore qu’avec le chèque-habitat, on peut craindre, c’est ce que pensent la plupart des économistes, que cette baisse des droits sera (en grande partie) captée par le vendeur.
Les questions relatives aux droits de succession ont déjà fait l’objet d’une analyse disponible ici. En tout état de cause, le maintien d’une progressivité en fonction de l’importance de l’héritage va dans le bon sens.
La mise en œuvre d’un droit d’usage (vignette) dans le respect des règles européennes (appliquée d’ici la fin de la législature) rétablit – partiellement – l’équité entre usagers régionaux et les autres. Mais une vignette identique quelle que soit l’importance du kilométrage parcouru va à l’encontre du principe pollueur-payeur. C’est une mesure qui risque (on verra l’équilibre global quand on connaîtra les baisses de taxes associées) d’être ni efficace, ni équitable.
Une politique de prévention peut contribuer à une réduction des inégalités en matière de santé, pour autant que les publics plus fragilisés en bénéficient aussi ; c’est souvent le point faible de l’approche par la prévention. Espérons qu’on s’y prenne mieux cette fois-ci pour éviter un “effet Matthieu”.
C’est à juste titre que la DPR rappelle que « la socialisation des enfants en bas âge en crèche participe à leur développement des enfants. Un accès à un milieu d’accueil de qualité peut gommer une partie des inégalités et briser le cercle vicieux de la pauvreté. »
« Le Gouvernement fera évoluer le barème de 31.000 à 45.000 € en ce qui concerne le supplément de famille monoparentale et étudiera l’intérêt d’introduire un plafond intermédiaire. » Fort bien, mais il ne faudrait pas, et le risque existe avec une telle augmentation du plafond, qu’à revenu par unité de consommation équivalent un ménage avec 2 parents soit moins bien traité.
En matière de « services à domicile » un enjeu majeur consiste à rééquilibrer l’offre sur le territoire sur base de critères objectifs et pertinents. On espère que c’est ce que sous-entend le passage suivant : « le Gouvernement répertoriera et cartographiera ces différents services afin d’en évaluer la pertinence et assurer un meilleur déploiement sur les territoires wallons ». Point non abordé dans le texte : le financement de la future assurance-autonomie. Le programme des Engagés dit ceci : « Financer ce nouveau droit par une contribution obligatoire dès 26 ans, en partie proportionnelle aux revenus individuels. » Pour le MR, il s’agirait, différence essentielle, « de la mise en place d’une contribution annuelle à un mécanisme d’assurance auquel pourraient volontairement souscrire les personnes âgées de plus 25 ans. » On comprend que le texte soit ici particulièrement muet. Nouvel « impôt » ou pas ? Quelle progressivité ? Système volontaire ou obligatoire ? On verra plus tard.
Pour ce qui est des MRS, l’enjeu principal est, me semble-t-il, d’équilibrer le financement entre MRS sur base d’un financement identique par catégorie KATZ. Pas facile de voir clair dans les intentions du nouveau gouvernement wallon.
L’introduction d’un loyer-chaud (= un loyer qui tient compte des performances énergétiques) dans le logement social, demandée depuis longtemps par une majorité d’acteurs du secteur, va améliorer l’équité entre locataires des SLSP. Plus largement, la remise en cause du plafond de maximum 20% des revenus (pour les plus petits revenus) peut elle améliorer l’équité à condition qu’elle tienne compte de caractéristiques objectives des aménités (au sens large) du logement. Libérer plus rapidement des logements devenus trop grands est essentiel aussi en termes d’équité. On peut par contre se poser des questions quant à l’instauration de baux de – de facto – 3 ans dans le logement social alors que le bail classique est déjà d’application ; pourquoi une telle discrimination ? Enfin, lier plus fortement qu’aujourd’hui octroi d’un logement social et emploi risque d’être compliqué à mettre en œuvre ; par exemple, que se passe-t-il si le locataire perd son emploi en cours de procédure ou à peine entré dans son logement ? Les améliorations (plus de ménages et/ou allocations majorées) éventuelles à apporter à l’allocation-loyer ne sont pas précisées alors qu’il s’agit d’un dispositif particulièrement pertinent pour lutter contre les discriminations entre les ménages locataires à petits revenus.
En matière d’énergie, une politique de tarification progressive (une consommation de base, tenant compte de la taille du ménage, à prix réduit et l’excédent de consommation à prix “normal”) pour les ménages privés pourrait rencontrer plusieurs objectifs de la DPR. Il ne semble pas en être question, c’est dommage. La fusion de (espérons le) tous les GRD peut jouer un rôle en matière d’équité si on harmonise les coûts de distribution (sur base du principe du service universel) ; on verra si c’est l’intention.
Dans les discours du président des Engagés comme dans cette DPR on a l’impression qu’il y aurait des discriminations en défaveur des ruraux qui seraient « maltraites ». Cette vision est a minima réductrice et, en tout état de cause, partiellement fausse. Il n’y pas qu’une seule ruralité : les habitants du sud Luxembourg travaillant au Grand-Duché disposant de voitures-salaires ou ceux vivant dans des maisons 4 façades en Brabant wallon n’ont rien à voir avec ceux qui vivent dans certaines zones plus défavorisées de la botte du Hainaut. Beaucoup de zones rurales ont des revenus supérieurs à la moyenne wallonne. Le recours à des données scientifiques solides et rigoureuses (voir, par exemple, l’étude de l’IWEPS sur le degré d’urbanisation ou de ruralité[1]) me semble la première recommandation à formuler ici.
N’hésitez pas à communiquer toute réaction (oubli, erreur…). Merci d’avance.
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[1] « Degré d’urbanisation ou de ruralité du territoire : la méthode internationale DEGURBA appliquée à la Wallonie », WP39, juin 2023