La justice valide la loi anti-AirBNB

Une réglementation nationale soumettant à autorisation la location, de manière répétée, d’un local destiné à l’habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile est conforme au droit de l’Union. La lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d’intérêt général justifiant une telle réglementation.

Chronologie de l’affaire AirBNB


En décembre 2019, la CJUE décidait que AirBNB est un « service de la société de l’information » (SSI en abrégé).

Selon la définition contenue à l’article 1 b) de la directive 2015/1535, le SSI vise « tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique, à la demande individuelle d’un destinataire de services ». Il y a donc quatre éléments qui caractérisent les SSI :

  • un service presté normalement contre rémunération ;
  • à distance ;
  • par voie électronique ;
  • à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Ce n’était pas gagné d’avance : quelques mois plus tôt, la CJUE était arrivée à une conclusion opposée pour ce qui concerne UberPop qui basculait du même coup dans la règlementation sur le transport de personnes.



Bénéficier du statut de SSI est un enjeu stratégique capital pour ces sociétés car cela engendre l’application d’un cadre juridique spécifique, dont l’importantissime directive sur le commerce électronique et ses principes importants tels que :

  • La clause de marché intérieur (le SSI est soumis au droit du pays dans lequel il est établi) ;
  • Le principe de non autorisation préalable (pas d’autorisation spécifique pour les SSI) ;
  • La non-responsabilité des intermédiaires.


Une autre conséquence est l’application de la directive dite « de notification » qui s’adresse aux États membres et exigent, quand ils envisagent d’adopter une « règle technique » qui vise un SSI, de la notifier avant adoption à la Commission européenne qui tient une base de données et permet à chacun (autres États et entreprises) de réagir. Cela permet d’harmoniser les pratiques, et d’éviter le capharnaüm réglementaire. Dans l’affaire de 2019, il avait été jugé que la France ne peut pas exiger d’Airbnb qu’elle dispose d’une carte professionnelle d’agent immobilier, faute d’avoir notifié cette exigence à la Commission conformément à la directive sur le commerce électronique.


Ce n’est toutefois pas la directive sur le commerce électronique qui était au cœur des débats ayant amené la Grande chambre de la CJUE a rendre un nouvel arrêt AirBNB en date du 22 septembre, mais bien la directive 2006/123 relative aux services dans le marché intérieur, avec deux grandes questions :

  • La directive services est-elle applicable à une activité comme celle d’un bailleur qui propose un bien sur AirBnb pour une location temporaire ?
  • La réglementation nationale en cause est-elle compatible avec la directive services ?


En d’autres termes : alors que les premières affaires concernaient la réglementation applicable à AirBNB en tant que tel, en sa qualité de professionnel mettant en relation un bailleur et un locataire, le présent arrêt s’intéresse à la réglementation applicable au bailleur et au bien qu’il met en location à travers AirBNB.


Les faits


Cali Apartments SCI et HX sont, chacun, propriétaires d’un studio situé à Paris (France). Ces studios, qui avaient été proposés à la location sur un site Internet, ont fait l’objet, sans autorisation préalable des autorités locales et de manière répétée, de locations de courte durée à l’usage d’une clientèle de passage.


Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris puis, par la suite, la cour d’appel de Paris ont, sur le fondement du code de la construction et de l’habitation français, condamné les deux propriétaires au paiement d’une amende et ordonné le retour des biens en cause à leur usage d’habitation. En effet, ce code prévoit notamment que, dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans celles de trois départements limitrophes de Paris, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est soumis à autorisation préalable et que le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un tel changement d’usage. Ce code prévoit également que cette autorisation, délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l’immeuble, peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. Toujours selon le code précité, une délibération du conseil municipal fixe les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations par quartier et, le cas échéant, par arrondissement, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements.

Dans le cadre de pourvois formés par les deux propriétaires à l’encontre des arrêts rendus par la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation (France) a saisi la Cour à titre préjudiciel afin de pouvoir se prononcer sur la compatibilité de la réglementation nationale en cause avec la directive 2006/123, relative aux services dans le marché intérieur.


La directive service est applicable


Par son arrêt du 22 septembre 2020, la grande chambre de la Cour a jugé, en premier lieu, que la directive 2006/123 s’applique à une réglementation d’un État membre relative à des activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel comme non professionnel. À cet égard, elle a souligné que de telles activités relèvent de la notion de « service », au sens de l’article 4, point 1, de la directive 2006/123, et ne correspondent, par ailleurs, à aucune des activités exclues du champ d’application de cette directive par son article 2, paragraphe 2.


En outre, elle a estimé que la réglementation en cause n’était pas exclue du champ d’application de la directive 2006/123 au motif qu’elle constituerait une réglementation générale, indistinctement applicable à toute personne, en matière d’aménagement ou de développement du territoire et, en particulier, d’aménagement des zones urbaines. En effet, si cette réglementation vise à garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables, elle ne vise cependant que les personnes se livrant à un type particulier de location.


« Autorisation » vs. « Exigence »


En deuxième lieu, la Cour a dit pour droit qu’une réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l’habitation relève de la notion de « régime d’autorisation », au sens de l’article 4, point 6, de la directive 2006/123, et non de celle d’« exigence », au sens du point 7 de cet article. En effet, un « régime d’autorisation » se distingue d’une « exigence » en ce qu’il implique une démarche de la part du prestataire de service ainsi qu’un acte formel par lequel les autorités compétentes autorisent l’activité de ce prestataire, ce qui est le cas de la réglementation en cause.


L’autorisation est-elle justifiée ?


En troisième lieu, la Cour a indiqué qu’un « régime d’autorisation », tel que celui établi par la réglementation en cause, doit être conforme aux exigences figurant au chapitre III, section 1, de la directive 2006/123, et notamment aux articles 9, paragraphe 1, et 10, paragraphe 2, de cette directive, ce qui suppose d’apprécier, d’abord, le caractère justifié du principe même de l’établissement d’un tel régime, au regard de l’article 9 de ladite directive, puis les critères d’octroi des autorisations prévues par ce régime, à la lumière de l’article 10 de cette même directive.


S’agissant des conditions prévues par l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/123, notamment de celles selon lesquelles le régime d’autorisation doit être justifié par une raison impérieuse d’intérêt général et l’objectif poursuivi par ce régime ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante (critère de proportionnalité), la Cour a relevé :

  • D’une part, que la réglementation en cause vise à établir un dispositif de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée, avec pour objectif de répondre à la dégradation des conditions d’accès au logement et à l’exacerbation des tensions sur les marchés immobiliers, ce qui constitue une raison impérieuse d’intérêt général.
  • D’autre part, la Cour a constaté que la réglementation nationale concernée est proportionnée à l’objectif poursuivi. En effet, elle est matériellement circonscrite à une activité spécifique de location, elle exclut de son champ d’application les logements qui constituent la résidence principale du loueur et le régime d’autorisation qu’elle établit est de portée géographique restreinte. En outre, l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori, par exemple, par le biais d’un système déclaratif assorti de sanctions, ne permettrait pas de freiner immédiatement et efficacement la poursuite du mouvement de transformation rapide qui crée une pénurie de logements destinés à la location de longue durée.


Quant aux exigences applicables, en vertu de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2006/123, aux critères d’autorisation prévus par la réglementation concernée, la Cour a relevé, en ce qui concerne, premièrement, celle tenant au caractère justifié de ces critères par une raison impérieuse d’intérêt général, que ceux-ci doivent, en principe, être considérés comme justifiés par une telle raison, dans la mesure où ils encadrent les modalités de détermination au niveau local des conditions d’octroi des autorisations prévues par un régime adopté au niveau national qui s’avère lui-même justifié par la même raison.


S’agissant, deuxièmement, de l’exigence de proportionnalité desdits critères, la Cour a relevé que la réglementation nationale concernée prévoit la faculté d’assortir l’octroi de l’autorisation sollicitée d’une obligation de compensation sous la forme d’une transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, dont le quantum est défini par le conseil municipal des communes concernées au regard de l’objectif de mixité sociale et en fonction, notamment, des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Si une telle faculté constitue, en principe, un instrument adéquat de poursuite de ces objectifs dès lors qu’elle laisse aux autorités locales le choix de prévoir effectivement une obligation de compensation ainsi que de déterminer, le cas échéant, le quantum de celle-ci, il appartient toutefois à la juridiction nationale de vérifier, tout d’abord, si cette faculté répond effectivement à une pénurie de logements destinés à la location de longue durée, constatée sur le territoire de ces communes.


Ensuite, la juridiction nationale doit s’assurer que cette même faculté s’avère adaptée à la situation du marché locatif local mais également compatible avec l’exercice de l’activité de location en cause. À cette dernière fin, elle doit prendre en considération la sur-rentabilité généralement constatée de cette activité par rapport à la location de locaux destinés à l’habitation résidentielle ainsi que les modalités pratiques permettant de satisfaire à l’obligation de compensation dans la localité concernée, en s’assurant que cette obligation est susceptible d’être satisfaite par une pluralité de mécanismes de compensation qui répondent à des conditions de marché raisonnables, transparentes et accessibles.


En ce qui concerne, troisièmement, les exigences de clarté, de non-ambiguïté et d’objectivité, le fait que la réglementation en cause ne définisse pas, notamment par des seuils chiffrés, la notion de « location d’un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » ne constitue pas, en soi, un élément de nature à démontrer une méconnaissance de ces exigences, pour autant que les autorités locales concernées précisent les termes correspondant à cette notion d’une manière claire, non ambiguë et objective. De même, le fait que le législateur national se limite à encadrer les modalités de détermination par une autorité locale des conditions d’octroi des autorisations prévues par un régime en renvoyant aux objectifs que cette autorité doit prendre en considération ne saurait, en principe, conduire à considérer que ces conditions d’octroi sont insuffisamment claires et objectives, tout particulièrement si la réglementation nationale en cause fixe non seulement les finalités devant être poursuivies par les autorités locales concernées, mais également les éléments objectifs en fonction desquels ces autorités doivent déterminer lesdites conditions d’octroi.


S’agissant, quatrièmement, des exigences de publicité préalable, de transparence et d’accessibilité des conditions d’octroi des autorisations, la Cour a souligné qu’il suffisait, pour que ces exigences soient satisfaites, que tout propriétaire souhaitant louer un local meublé à usage d’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile soit en mesure de prendre pleinement connaissance des conditions de délivrance d’une autorisation et de l’éventuelle obligation de compensation prévues par les autorités locales concernées, préalablement à son engagement dans les activités de location en cause, ce que permettent l’affichage en mairie et la mise en ligne, sur le site Internet de la commune, des comptes rendus des séances du conseil municipal.


Plus d’infos ?


L’arrêt est disponible en annexe, ainsi que les conclusions de l’AG.

Normes impactées : article L. 324-1-1 du code du tourisme ; article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation ; article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation ; article 2 du règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation et déterminant les compensations en application de la section 2 du chapitre 1er du titre III du livre VI du code de la construction et de l’habitation, adopté par le conseil de Paris.


Source : Droit & Technologies, 22 septembre 2020

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