La parentalité : une pénalité pour les femmes, un bonus pour les hommes ?

Malgré une forte féminisation du marché du travail, leur taux d’emploi étant passé de 36 à 62 % entre 1983 et 2019, d’importantes disparités entre hommes et femmes persistent. Une mère a 3 points de pourcentage de probabilité en moins d’être en emploi qu’une femme sans enfant, tandis qu’un père en a 5 de plus qu’un homme sans enfant.

En dépit d’une forte progression du taux d’emploi des femmes, des écarts importants entre les genres persistent sur le marché du travail. Cet article analyse ces écarts au travers du prisme de la parentalité.

À la naissance d’un enfant, les hommes et les femmes posent des choix très différents quant à leur participation au marché du travail. Quitter son emploi ou réduire son temps de travail est un choix essentiellement féminin. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’options qui pénalisent les femmes en termes d’opportunités et de salaire. Pour les hommes, au contraire, l'effet de la parentalité est neutre, voire constitue un incitant à travailler davantage. En d’autres termes, aujourd’hui encore, les femmes sont confrontées à un compromis entre avoir des enfants et faire carrière, ce qui n’est pas le cas des hommes. Le fait que les tâches ménagères ainsi que le soin et l’éducation des enfants reposent plus largement sur les épaules des femmes n’est pas étranger à ces divergences.

Les dispositifs publics visant à mieux concilier emploi et famille, comme les congés parentaux, sont principalement l’apanage des mères. Le recours à ces possibilités est perçu comme un signe de moindre attachement au marché du travail, ce qui renforce encore les stéréotypes de genre. Il se révèle en outre préjudiciable sur le plus long terme puisqu’il réduit l’expérience accumulée.

En Belgique, en 2021, le constat est amer: alors que les femmes sont en moyenne plus éduquées que les hommes et que l’économie peine à trouver une main-d’œuvre qualifiée en nombre suffisant, des normes de genre et un partage inégal des responsabilités au sein des familles continuent de peser sur la participation des mères au marché du travail.



Au fil des années, le marché du travail s’est fortement féminisé. Passé de 36 à 62 % entre 1983 et 2019, le taux d’emploi des femmes a convergé vers celui des hommes, qui est lui-même resté relativement constant. Alors qu’il pointait à plus de 33 points de pourcentage dans les années 1980, l’écart de taux d’emploi entre les hommes et les femmes était revenu à 7 points de pourcentage en 2019. L’écart en termes d’heures ouvrées n’a pas suivi le même mouvement. La différence de taux d’emploi exprimée en équivalents temps plein entre les hommes et les femmes atteignait ainsi 18 points de pourcentage en 2019. La parentalité est indéniablement l’un des facteurs explicatifs de la persistance de cet écart. Devenir parent n’a pas la même incidence sur le rapport au travail d’une femme ou d’un homme. Cet article vise à en comprendre les conséquences sur la participation au marché du travail, non seulement en termes d’emploi mais aussi en matière d’aménagement du temps de travail et de fonction exercée (manager ou poste à responsabilité). Nous nous appuyons pour ce faire sur les enquêtes sur les forces de travail menées au cours de la période allant de 1998 à 2019.

En tenant compte des caractéristiques individuelles (âge, province de résidence, niveau d’éducation, statut matrimonial), les résultats montrent qu’une mère a 3,2 points de pourcentage de chances de moins d'être en emploi qu'une femme sans enfant. Si la pénalité à la maternité est présente dès le premier enfant, elle est alors limitée à moins de 1 point de pourcentage. Il en va de même pour les femmes ayant deux enfants. Cependant, le fait d'avoir trois enfants ou plus contraint davantage les mères à quitter (au moins temporairement) le marché du travail, de sorte que, par rapport aux femmes sans enfant présentant des caractéristiques personnelles similaires, elles subissent une pénalité en matière d'emploi de 9 points de pourcentage. L’âge de l’enfant le plus jeune a également une incidence puisque la pénalité s’observe jusqu’à ce que celui-ci atteigne l’âge de cinq ans.

Pour les hommes, l’analyse montre qu’un père a 5,3 points de pourcentage de plus de chances d'être en emploi qu’un homme qui n’a pas d’enfant. Le fait d'être père pour la première fois a déjà un impact significatif sur le taux d'emploi (+7,3 points de pourcentage), et ce « bonus » augmente encore avec le deuxième enfant (+8,8 points de pourcentage). Cette plus grande probabilité d'emploi se réduit lorsque le ménage de l’homme compte trois enfants ou plus. L’âge de l’enfant le plus jeune n’a pas d’incidence sur le bonus à l’emploi observé pour les pères.

Le temps supplémentaire que les mères consacrent aux enfants ne conduit pas qu’à des retraits du marché du travail ; il entraîne également des réductions du temps de travail. Nos résultats indiquent que la probabilité qu’une mère travaille à temps partiel est 9 points de pourcentage plus élevée que celle d'une femme sans enfant présentant des caractéristiques similaires, travaillant dans le même secteur et exerçant la même profession. Par contre, un père ayant les mêmes caractéristiques personnelles qu'un homme sans enfant, travaillant dans le même secteur d'activité et exerçant le même type de profession sera moins susceptible, à hauteur de 2,3 points de pourcentage, de travailler à temps partiel.

Cet effet induit par la parentalité vient s’ajouter au fait que les femmes ont déjà tendance à travailler dans des secteurs ou des professions où la pratique du travail à temps partiel est plus répandue, alors que les hommes ont tendance à travailler dans des secteurs ou des professions où ce type de flexibilité est moins courant. L’ajustement du temps de travail se traduira également par une moindre proportion de mères prestant des heures supplémentaires ou des horaires atypiques.

L’analyse détaillée selon le niveau d’éducation révèle que, de manière générale, l’éducation ne modifie pas de façon marquante l’incidence de la paternité sur l’offre d’emploi des hommes. En revanche, la mère peu ou moyennement éduquée quittera plus souvent le marché du travail, tandis qu’une mère hautement éduquée réduira plus couramment son temps de travail. Pour les parents, travailler implique de trouver une solution de garde pour les enfants, ce qui peut s’avérer difficilement accessible aux femmes faiblement et moyennement diplômées. La balance entre les coûts et les bénéfices – pas seulement financiers – peut dès lors en inciter certaines à quitter leur emploi pour s’occuper elles-mêmes de leurs enfants, et ce d'autant plus à mesure que le nombre d'enfants augmente.

Ces interruptions de carrière et ces réductions du temps de travail au moment de la maternité ont des conséquences sur l’évolution des carrières. Alors que dans les autres professions classées comme hautement qualifiées (à savoir les professions intellectuelles et scientifiques ainsi que les techniciens et les professions intermédiaires), l'égalité des genres est vérifiée, à peine 33 % des managers sont des femmes. Malgré le soutien public, les politiques (telles que l'introduction de quotas dans les conseils d'administration en 2011) et les campagnes de sensibilisation, les femmes sont toujours sous-représentées aux postes de direction. Nos analyses montrent que ce n'est pas la maternité en soi qui influence négativement la probabilité de devenir manager, mais plutôt les choix antérieurs en termes de secteur, d'aménagement du temps de travail, d‘interruption de carrière et de nombre plus limité d’heures supplémentaires.

On constate également des disparités entre les genres au sein même du groupe des managers. Les femmes sont plus susceptibles de devenir managers de services aux entreprises et d'administration, d'hôtels et de restaurants, de services professionnels ou de commerces. Les hommes ont plus de chances de devenir directeurs dans l'industrie et les services TIC, directeurs généraux et chefs d'entreprise, ou encore législateurs et hauts fonctionnaires. Cette situation est la conséquence des différences de genre constatées dans les choix d’orientation des études.

Les normes sociales, définies comme les règles qui déterminent les comportements et les attitudes, les préjugés et les valeurs, ainsi que les codes de conduite et les croyances, font partie intégrante du processus décisionnel au sein du ménage et de la pénalité liée à la maternité. Ces normes sont intériorisées par les individus dès leur plus jeune âge. Elles influencent la perception et l’estime de soi. Les choix des femmes sur le marché du travail sont influencés par ces normes, c'est-à-dire par la nécessité de se conformer à ce qu'on attend comme comportement approprié de la part d'une « bonne épouse » ou d'une « bonne mère », avec des effets néfastes sur leur carrière. Il convient de noter que les stéréotypes sexistes freinent également les hommes désireux de passer du temps avec leurs enfants. L’utilisation quotidienne du temps reflète très clairement les stéréotypes de genre, les femmes consacrant plus de temps que les hommes aux tâches ménagères et aux soins et à l’éducation des enfants et moins au travail rémunéré et aux loisirs. La littérature nous confirme que les femmes n’ont pas de préférence révélée pour les activités domestiques, mais plutôt une crainte des conséquences en termes de réputation si elles ne s’en acquittent pas. Dans le même ordre d’idée, il semble que les deux partenaires appréhendent l’idée que la femme ait un salaire plus élevé que l'homme, car cela remet en cause le principe de l'homme soutien financier de la famille (« male breadwinner principle »).


Les stéréotypes ne façonnent pas seulement les décisions des femmes sur le marché du travail, ils interviennent déjà bien plus tôt. Comme on l’a vu, leurs choix d’orientation des études, notamment, ont des répercussions sur leur carrière et entraînent une ségrégation entre secteurs d’activité masculins et féminins, ces derniers étant souvent moins rémunérateurs et offrant moins de perspectives de carrière. Alors qu’il y a plus de femmes diplômées de l’enseignement supérieur, celles-ci se concentrent dans les filières telles que la santé, l’éducation ou les sciences sociales. Elles sont par contre sous-représentées dans les filières des TIC, de l’ingénierie et des sciences naturelles, autant de filières qui sont porteuses d’emploi et associées à des salaires élevés. La recherche montre que ces différences résultent de normes socialement construites. Les enseignants, la famille et le contexte culturel sont autant de facteurs déterminants dans la formation des choix et des préférences des individus, mais aussi dans la perception qu’ils ont d’eux-mêmes.

Une plus grande participation des femmes au marché du travail étant source de gains économiques, diverses mesures ont été prises pour faciliter la combinaison entre vie privée et vie professionnelle. Toutefois, ces politiques peuvent aussi produire certains effets négatifs sur la carrière des femmes, dans la mesure où elles tendent à renforcer les stéréotypes de genre. À titre d’illustration, même si les hommes y sont éligibles, les dispositifs d’interruption de carrière pour s’occuper des enfants sont principalement utilisés par les mères.

Afin de réduire les écarts entre les hommes et les femmes, les normes sociales sur la répartition des rôles au sein du ménage et sur le marché du travail doivent évoluer. Pour parvenir à un marché du travail plus équilibré, les responsabilités liées aux soins des enfants doivent être partagées plus équitablement entre les deux parents. La solution ne consiste pas à aider les mères à concilier travail et famille, mais à impliquer également les pères. Une utilisation partagée du congé parental, comme en Suède, pourrait contribuer à une perception plus équitable du rôle des parents. De même, la disponibilité de services de garde d'enfants abordables et adaptés aux horaires d’un travail à temps plein faciliterait l'emploi des deux parents. Une campagne visant à sensibiliser les femmes, dès leur plus jeune âge, aux conséquences de leurs choix éducatifs et professionnels contribuerait à accroître leur émancipation. Plus généralement, pour permettre un changement des normes sociales, tous les acteurs de la société doivent être impliqués. En particulier, l'environnement (famille, amis, enseignants, etc.) et les médias, qui influencent les attitudes et les comportements dès le plus jeune âge, ont un rôle majeur à jouer. Il convient également de souligner que l'égalité entre les genres profite aussi aux hommes, certains d'entre eux préférant travailler moins d'heures et passer plus de temps avec leurs enfants. Il importe de prendre dès maintenant les mesures nécessaires pour mettre en œuvre ces changements car la modification des normes sociales est un processus qui met des décennies, voire des générations, à se concrétiser.

Dans la suite des recherches effectuées sur le sujet, un travail plus approfondi sur la façon dont les décisions sont prises au sein des ménages pourrait permettre de mieux comprendre nos résultats. Nous pensons plus particulièrement à une analyse du processus décisionnel en fonction du niveau d'éducation ou des conditions de travail des deux partenaires, notamment lorsque la femme apporte le salaire le plus élevé avant la parentalité. Une attention spécifique pourrait aussi être accordée aux parents isolés, ce type de ménages étant de plus en plus répandus et ayant majoritairement des femmes à leur tête.

Télécharger l'ensemble de données

Source : BNB, Revue économique, décembre 2021

Mots clés

Articles recommandés

Près d’une entreprise de soins de santé sur cinq occupe des travailleurs en flexi-job

Salaires en Belgique : Découvrez l'écart salarial brut de 5,0 % qui fait débat