La planification successorale en Région Wallonne après l’adoption du décret « pour un impôt plus juste »

Rarement l’adoption d’un décret fiscal n’aura donné lieu à une telle sage politico-médiatique. Rappelons brièvement qu’après être passé sur la table du gouvernement wallon et avoir été approuvé par l’exécutif en octobre dernier, le ministre Jean-Luc Crucke annonçait récemment le retrait du projet, avant que celui-ci ne soit finalement renvoyé au parlement wallon et approuvé ce vendredi 10 décembre en commission du budget.

Le nouveau décret « pour un impôt plus juste » contient une série de mesures qui visent, selon les auteurs du projet, à mettre un terme à certaines formes de contournement de la loi fiscale. Si l’on s’en tient au domaine de la fiscalité des donations et des successions, l’objectif du législateur wallon est double :

  • d’une part, encourager l’enregistrement des donations mobilières (dont le taux d’imposition a été réduit en 2018 à 3,3% en ligne directe et 5,5% dans les autres cas). Cette volonté s’inscrit dans la continuité d’une initiative fédérale récente qui a abouti, depuis le 15 décembre 2020, à rendre obligatoirement enregistrables (et donc taxables) toutes les donations consenties devant un notaire étranger.
  • D’autre part, le projet de décret entend fermer la porte à certaines techniques d’évitement des droits de succession.

Signalons tout d’abord la fin de la possibilité de contourner le paiement des droits de succession en effectuant une donation à terme suspensif du décès du donateur (« je te donne un bien présentement, mais sa transmission effective est différée au jour de mon décès»). Jusqu’ici, sauf à retenir la qualification d’abus fiscal, il était possible de soumettre à l’impôt de donation (sensiblement moins élevé que l’impôt successoral) ce transfert de biens qui présente pourtant toutes les caractéristiques d’une transmission successorale. Désormais, ce type de donation est assimilée à un legs et soumise aux droits de succession.

Vient ensuite la mesure phare du décret, qui s’attaque à l’une des forme les plus courantes de planification successorale, à savoir la technique de la donation mobilière dite « indirecte », c’est-à-dire celle qui est réalisée par simple virement bancaire, sans acte notarié. Si celle-ci est présentée volontairement à l’administration, le droit d’enregistrement de donation est dû (3,3% ou 5,5%) sur le montant donné. A l’inverse, lorsqu’elle n’est pas enregistrée, la donation indirecte échappe a priori à toute imposition, pour autant que le donateur survive trois ans à compter de la date du virement bancaire. Dans le cas contraire, les liquidités données réintègrent fictivement le patrimoine du défunt et le donataire est soumis aux droits de succession (dont le taux peut grimper jusqu’à 30% en ligne directe) sur le montant en question, comme s’il avait reçu ces liquidités à titre de legs.

Désormais, le délai d’attente est porté à cinq ans et il s’appliquera à toutes les donations indirectes consenties à partir du 1er janvier 2022. Les contribuables désireux de réaliser une donation mobilière par virement bancaire ont donc intérêt à y procéder avant la fin de l’année s’ils ne souhaitent pas se retrouver confrontés à un délai d’attente étendu. Comme auparavant, le virement bancaire sera utilement complété par une convention adjointe ou un échange de lettres recommandées, qui peuvent aisément être préparées par un conseil (notaire, banquier, etc.).

L’allongement du délai légal fut justifié par l’augmentation de l’espérance de vie des belges depuis l’adoption du Code des droits de succession, il y a une centaine d’années. Corrélativement, cette évolution aboutira à rendre moins attractive (ou plus onéreuse) la pratique qui consiste en la conclusion d’une assurance-décès temporaire destinée à couvrir le risque fiscal d’un décès du donateur pendant le délai d’attente.

Le délai de trois ans est également porté à cinq ans à l’égard de la présomption de propriété des avoirs mobiliers du défunt prévue par le Code des droits de succession. Actuellement, si un contribuable vend un immeuble et décède dans les trois ans qui suivent, le prix de vente est présumé faire partie du patrimoine successoral et, à ce titre, subir les droits de succession, à moins que les héritiers ne rapportent la preuve concrète que ces fonds ont été dépensés par le défunt ou qu’ils se trouvent dans la succession sous une autre forme.

Enfin, les règles de taxation des contrats d’assurance-vie sont modifiées afin de clarifier le régime existant et de permettre l’application des droits de succession à un maximum d’hypothèses où le décès d’un contribuable entraine une transmission patrimoniale. L’on retiendra, à titre principal, que la donation d’un contrat d’assurance-vie ne permet plus d’éviter le paiement de droits de succession. Le nouveau dispositif prévoit la taxation successorale du bénéficiaire de la police avec une exonération limitée au montant ayant servi de base au calcul des droits de donation. Par conséquent, si la valeur de rachat du contrat d’assurance a augmenté entre le jour de la donation et celui du décès du donateur, cette plus-value sera soumise aux droits de succession. Plus généralement, le cessionnaire d’un contrat d’assurance-vie est désormais tenu de payer l’impôt successoral sur le montant de l’avantage économique qu’il recueille effectivement, au moment où le capital est perçu, que ses droits aient été acquis du vivant du preneur ou au décès de celui-ci. Cette évolution tend à relativiser progressivement l’intérêt du contrat d’assurance-vie comme outil de planification successorale.

L’adoption finale de ce décret contenant des dispositions « pour un impôt plus juste » est prévue le 23 décembre prochain en séance plénière du parlement wallon. En principe, le texte du projet ne devrait plus évoluer ; celui-ci ayant déjà reçu l’aval des partis de la majorité en commission du budget.

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