La taxation des avantages anormaux ou bénévoles : sous-estimée et pourtant redoutable

L’important article 26 du CIR permet à l’administration fiscale d’ajouter aux bénéfices imposables d’une entreprise les « avantages anormaux ou bénévoles » que celle-ci aurait consentis à des tiers (si les bénéficiaires sont des travailleurs de l’entreprise ou des dirigeants d’entreprise, on parle d’avantages de toute nature).
De tels avantages peuvent avoir la nature de dépenses ou résulter d’une absence ou d’une insuffisance de revenus.
Cette disposition est donc une exception fondamentale au principe selon lequel seuls les bénéfices réalisés sont imposables.


Elle permet au fisc de taxer une entreprise sur un bénéfice qu’elle s’est abstenue de réaliser.


De nombreux redressements fiscaux opérés sur la base de l’article 26 du CIR par l’administration, et confirmés par une jurisprudence de moins en moins clémente, appellent à la plus grande prudence de la part des dirigeants d’entreprise mais aussi de leurs conseillers (avocats, experts-comptables, conseil fiscaux, ..).


Le rôle de ce conseiller sera de contrarier le penchant de son client, souvent trop naturel, consistant à vouloir déplacer, de toutes les manières possibles et sans complexe, une partie de la base imposable de la société vers une juridiction bénéficiant d’une fiscalité plus avantageuse ou vers une société disposant de pertes fiscales récupérables.


Comme le résume très bien Leslie Van den BRANDEN (sur Taxwin) « la pratique dans les grosses PME belges est souvent la même : elles démarrent une activité ici, puis tentent leur chance à l’étranger, y engagent un commercial avant d’y créer une filiale. Puis tout s’enchaîne, les opérations fonctionnent et on ne fait trop attention aux transferts. Et lorsque la routine s’installe, on ajuste pertes et profits en fonction de la situation fiscale des différentes filiales. Dans les petites entreprises, les gestionnaires sont plutôt centrés sur le développement des affaires que sur de tels problèmes très techniques ". Et on crée ainsi un historique sur lequel le fisc peut se baser pour effectuer un éventuel ajustement qui peut déboucher sur une double imposition des résultats. »


Le conseiller doit aussi informer son client sur les conséquences dommageables qui peuvent découler de tels ajustements de pertes et profits.


Ce devoir d’information est d’autant plus indispensable que l’ancien verrou de l’interdiction de la double imposition a été levé par le législateur.


Pour prévenir l’application par le fisc de l’article 26 du CIR, il nous semble utile de rappeler cette autre règle de base : à tout moment une société doit être à même de prouver qu’une transaction, a priori suspecte puisqu’échafaudée entre parties liées, aurait aussi pu être réalisée entre parties totalement indépendantes.


Cette preuve sera notamment rapportée par la production de rapports de rentabilité, de courriers de fournisseurs ou de banquiers, de bilans des dernières années ou de bilans prévisionnels, de ratios financiers, de tableaux de trésorerie, voire même de coupures de presse spécialisées révélant la situation difficile dans laquelle se trouve telle ou telle filiale qui bénéficie d’un avantage quelconque.

En matière d’avantage anormal ou bénévole, c’est toujours, le principe « at arms’length » qui doit prévaloir.


En d’autres termes, la question fondamentale sous-jacente est de savoir si une société liée qui consent tel ou tel avantage à une autre société du groupe ou à ses actionnaires aurait fait ce choix si l’autre partie contractante était un tiers n’ayant aucune relation lien financier ou juridique avec la société qui lui accorde l’avantage.


Tous ces principes tendent à ce seul objectif : convaincre le contrôleur qu’une société qui renonce à un intérêt, à une créance, à une marge commerciale, ou qui paie au prix fort des marchandises, des services, une participation ou une clientèle a réellement agi dans son intérêt social.


Une société commerciale n’ayant nulle vocation à agir contre son intérêt, il faudra donc que l’augmentation de la charge ou la diminution du produit résultant de l’avantage accordé lui soit, en fin de compte, profitable.


S’agissant en particulier des abandons de créance, c’est vers Maurice COZIAN (1) que nous trouvons la meilleure synthèse de la question : : « Il est admis depuis toujours qu’une société-mère puisse voler au secours d’une filiale en difficulté pour surmonter une crise passagère. Elle évite ainsi que la filiale ne soit acculée à une dissolution qui ne manquerait pas de rejaillir, ne serait-ce qu’en termes d’image, sur le groupe. Ce devoir de secours ne serait-il pas la transposition dans le droit des groupes de l’obligation alimentaire qui existe en droit de la famille ? Mais ce n’est là qu’une image dont il ne faut pas exagérer la portée (....)


Si le principe de la licéité des abandons de créance n’est pas en cause, il n’empêche que la mise en œuvre ne cesse de soulever de multiples questions d’appréciation. Ce n’est pas de gaieté de cœur que l’administration voit se développer cette pratique là où une recapitalisation des filiales aurait paru plus orthodoxe ; elle voit volontiers une forme d’évasion fiscale dans cette remontée des déficits. Les contentieux sont nombreux et les entreprises se doivent d’agir avec circonspection »


Cet avertissement que ce professeur de droit fiscal adresse à ses lecteurs français vaut tout autant pour les contribuables belges.


En espérant que ces quelques conseils bénévoles mais non anormaux vous seront utiles ...


[1] M. Cozian, Précis de fiscalité des entreprises . page 408 et page 411


Source : Linkedin

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