Historiquement, les premières conventions préventives de la double imposition concernaient, en matière d’impôts directs, le secteur maritime; elles avaient pour objectif principal (voire unique) la levée des obstacles économiques et fiscaux résultant de doubles, voire multiples impositions nationales. Jusqu’il y a une petite dizaine d’années environ, cet objectif (i.e., l’élimination des doubles - ou multiples - impositions) ne suscitait guère de véritables doutes ou remises en question.
Progressivement cependant, suite notamment au recours croissant à des mécanismes dits de ‘planification fiscale agressive’ et/ou d’évasion fiscale, le respect de cet objectif principal initial est passé au second plan ou négligé, voire ignoré; désormais - en particulier depuis la mise en œuvre du plan d’action ‘BEPS’ de l’OCDE (acronyme désignant le projet ‘Base Erosion and Profit Shifting’) - l’un des objectifs principaux des conventions préventives de la double imposition est précisément la lutte contre ces mécanismes d’évasion fiscale et/ou de ‘planification fiscale agressive’ et les situations de double non-imposition qui peuvent en résulter.
En pratique, le contribuable est régulièrement confronté non seulement à une Administration fiscale réticente à accorder automatiquement respectivement l’exemption d’impôt (sous réserve de progressivité) ou le crédit d’impôt dont il devrait en principe bénéficier, mais aussi à des situations fréquentes de double imposition.
Ces dernières situations résultent tantôt d’un conflit de qualification (cas des revenus provenant d’une S.C.I. [Société Civile Immobilière] de droit français), tantôt d’une interprétation franchement lacunaire de la part et de l’Administration fiscale belge et de nos magistrats fiscaux (cas des rémunérations ‘publiques’ qui tombent dans le champ d’application de l’article 10, §3 de la Convention préventive belgo-française et que la jurisprudence, particulièrement du côté francophone, fait presque systématiquement relever de la disposition dite résiduaire - l’article 18 de la convention précitée -, plutôt que de l’article 11 de cette même convention), tantôt d’une disposition ‘conventionnelle’ (cas des ‘dividendes’ et ‘intérêts’, qui peuvent faire l’objet d’une imposition conjointe et par l’Etat dit de résidence et par l’Etat dit de la source).
Bref, les cas de double imposition sont assez nombreux et les mécanismes de remédiation mal appliqués et/ou lacunaires. A titre d’exemple, on songe en particulier à la procédure dite amiable (Cf. article 25 de la Convention-modèle OCDE) - mécanisme inhérent aux conventions préventives de la double imposition - qui porte en elle les germes de son inefficacité relative mais réelle, puisqu’en cas d’«imposition non conforme aux dispositions de la Convention-modèle », les autorités compétentes des Etats Contractants concernés sont simplement encouragées à trouver une solution « satisfaisante ». Il n’y a donc aucune obligation de résultat en cette matière, qui pèse sur les autorités fiscales des Etats Contractants concernés.
Les contribuables se réjouiront dès lors que, en cette matière, la Loi du 02 mai 2019 (publiée le 17 mai 2019 au Moniteur belge) transpose la Directive 2017/1852 du Conseil du 10 octobre 2017 (entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2019), ‘concernant les mécanismes de règlement des différends fiscaux dans l'Union européenne’.
Depuis le 1er juillet 2019 en effet, les autorités compétentes des Etats Contractants concernés ont l’obligation de régler le différend et de supprimer la double imposition.
Concrètement, cette nouvelle procédure se déroule en trois étapes, à savoir: (1°) l’introduction d’une réclamation (étape n°1), dans un délai de trois (3) ans, à partir de la notification de l’acte entraînant une double taxation; (2°) la mise en œuvre de la procédure dite amiable (étape n°2) et, enfin, en cas de refus par le contribuable de la solution ainsi dégagée dans le cadre de ladite procédure amiable ou de désaccord persistant entre les autorités fiscales des Etats concernés, (3°) le recours à la procédure d’arbitrage, via la mise en place, moyennant le respect de certaines conditions, d’une ‘commission consultative’ ou d’une ‘commission de règlement alternatif des différends’.
En bref, la ‘Commission consultative’ a pour mission de rendre un avis sur la manière de trancher le conflit dans les six mois de sa constitution, tandis que la ‘Commission de règlement alternatif des différends’ règlera le litige via d’autres techniques, telles que la médiation, la conciliation et l’expertise. En pratique, les autorités compétentes des Etats Contractants concernés auront le choix entre soit suivre l’avis de l’une ou l’autre de ces commissions (auquel cas il deviendra contraignant), soit proposer une autre solution.
Cette nouvelle procédure s’applique aux réclamations introduites après le 1er juillet 2019, en relation avec des revenus perçus au cours d’une période imposable commençant à partir du 1er janvier 2018.
A titre personnel, nous pensons que cette nouvelle procédure constitue une avancée positive pour les contribuables européens.
Toutefois, un certain nombre de questions plus techniques, spécifiques à une procédure d’arbitrage, nous semblent devoir être encore examinées et clarifiées. Il en va par exemple ainsi de la question de savoir si la procédure d’arbitrage appliquée en matière de fiscalité internationale sera une procédure dite ‘institutionnelle’ (régie par un règlement d’arbitrage précis) ou au contraire ‘ad hoc’ ? De plus, en vue de garantir une certaine unicité d’interprétation des conventions préventives de la double imposition aux niveaux européen (U.E.) ou international (O.C.D.E.), ne serait-il pas opportun d’envisager la création d’une Cour permanente d’arbitrage pour les litiges fiscaux européens/internationaux ? On pourrait même imaginer qu’une telle Cour soit saisie par la voie d’une question préjudicielle d’interprétation….
On le voit, si cette matière évolue dans un sens positif, les questions à examiner restent assez nombreuses et importantes…
Gaëtan ZEYEN
Avocat-fiscaliste au barreau de Bruxelles
Doctorant en fiscalité internationale
Arbitre indépendant (Membre du ‘CEPANI’, de la ‘Russian Arbitration Association’, de l’Association française d’Arbitrage)