​L’autoritarisme, l’espérance dévorée du siècle et le discours de Suède

Très lentement, et à bas bruit, dans la confusion des faits et du droit, nos sociétés virent à droite dans une silencieuse distance par rapport aux formulations démocratiques traditionnelles. Les États-Unis ont évité ce qu’il faut appeler une tentative de coup d’État qui va probablement porter son auteur présumé à nouveau à la présidence. L’idée de cette plausible présidence est de verticaliser toute une série de pouvoirs sous la Maison-Blanche, dans un esprit très éloigné du « check and balance » anglo-saxon. Le Royaume-Uni est, à cet égard, une exception mais on en parle moins depuis le Brexit.

En France, la dissolution parlementaire conduit, volens nolens, à un chaos représentatif qui renforce la verticalité du pouvoir présidentiel. En Italie, la présidente du Conseil fait avancer la « mère de toutes les réformes », c’est-à-dire la transformation d’un système parlementaire en un ersatz de régime présidentiel puisque le(la) président(e) du Conseil serait élu(e) au suffrage universel avec une prime de représentation octroyée au groupe parlementaire dominant. L’Allemagne a gardé un système très complexe et équilibré, mais l’extrême droite est le second parti. La Belgique a, quant à elle, remplacé depuis longtemps un système parlementaire par une particratie dont les acteurs sont choisis par leurs adhérents. D’anciens pays de l’Est, et je pense au Visegrad, vont vibrer des cordes du nationalisme quand il ne s’agit pas de ressusciter l’empire austro-hongrois. Et puis, ailleurs, les pouvoirs se personnalisent et/ou se pérennisent dans un souffle de dictature : Turquie, Israël, et tous les autres dont la Russie et la Chine qui n’avaient, dans des temps glorieux, de démocratique que le nom.

À quoi tout cela va-t-il mener ? Certains croient à un nouvel ordre mondial. Mais c’est bien sûr le contraire que l’histoire enseigne : le grand désordre mondial. François Mitterrand avait raison de dire : le nationalisme, c’est la guerre. L’espérance du siècle est en train d’être dévorée.

Tout cela se passe dans la résonance du discours de Suède d’Albert Camus (1913-1960) lors de la réception de son prix Nobel en décembre 1957 :

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde.
La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas.
Mais sa tâche est peut-être plus grande.
Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse.
Devant un monde menacé de désintégration
Elle sait qu’elle devrait restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude
Et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance.

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