Que reste-t-il du libre choix de la voie la moins imposée ? Est-il encore permis de "contourner" la loi fiscale ? Il semble que l’espace pour la liberté fiscale ou l’ingénierie fiscale soit de plus en plus restreint.
Les moyens de tirer profit avantageusement de la loi fiscale ou de ses lacunes se font de plus en plus rares car les montages et astuces sont de plus en plus traqués par une administration chaque année mieux outillée et disposant d’un arsenal législatif solide.
De nombreuses opérations qui étaient jadis parfaitement licites sont à présent frappées du sceau de la suspicion. Il semble même qu’une présomption générale d’abus fiscal entache nombre d’opérations accomplies par les contribuables.
Créer une société de management, faire un abandon de créance, vendre les titres d’une société immobilière, faire un apport en capital à une société, liquider une société ou tout simplement déduire le plus de charges possible deviennent des actes coupables voués aux gémonies.
Bien sûr, les travaux préparatoires des lois introduisant une nouvelle mesure anti-abus ou une nouvelle disposition contraignante rappellent quelques fois (mais presque du bout des lèvres) qu’il ne peut être porté atteinte au principe de sécurité juridique et de libre choix de la voie fiscale la moins imposée. Mais cette affirmation préliminaire n’est plus que l’alibi, le passage obligé pour mieux asséner un coup fatal à de nombreux contribuables qui avaient accompli l’opération ou l’acte juridique désormais sanctionné ou frappé d’une taxe nouvelle, en vertu de la disposition qui vient d’être créée.
Force est aussi de constater que les temps changent et qu’une nouvelle vision de la "bonne gouvernance fiscale" est apparue. La liberté de gestion fiscale des entreprises et des individus devient de plus en plus une liberté surveillée. Avec le temps émerge cette idée que s’il fallait accepter tous types de constructions et montages agressifs, cela conduirait à une rupture du principe d’égalité devant l’impôt.
En matière fiscale, l’appel irrésistible à la liberté se nomme l’évasion fiscale. Ce mot ne peut toutefois se confondre avec la fraude fiscale. Mais il est vrai qu’il n’est jamais facile de tracer la frontière entre le légal et l’illégal. Car, entre le légal et l’illégal, il n’y a pas une rupture mais une continuité. La limite entre les formes d’évasion fiscale "légitimes" et "illégitimes" ne peut donc être tracée qu’au cas par cas.
S’il devient difficile de passer au travers des mailles du filet fiscal, si les contrôles se sont intensifiés au point d’atteindre tous les actes posés par une société, si chaque année de nouvelles digues fiscales viennent colmater des brèches restées encore ouvertes, l’heure n’est pas nécessairement au pessimisme. Car on peut dégager une constatation générale et une règle de conduite à observer.
Le constat général tout d’abord. De nombreuses rectifications que l’on constate sanctionnent des opérations ou des actes juridiques, voire une succession d’actes juridiques, qui sont totalement dénués de substance. De telles opérations, qui s’avèrent être purement artificielles, constituent des montages réalisés dans le but exclusif d’éluder l’impôt. Le caractère artificiel se dégage de certaines circonstances propres à l’opération réalisée, telles que le souhait d’obtenir immédiatement ou in extremis un avantage fiscal ou la nécessité d’anéantir ou de fortement réduire la base imposable de la société par une opération "miraculeuse". Il n’est que normal que l’abus soit sanctionné. Comme le rappelle régulièrement le droit communautaire, on ne peut tirer un avantage fiscal grâce à un montage purement artificiel. Il faut donc de la substance économique pour que l’opération soit acceptée.
Mais ceci étant posé, la démarche qui consiste à réduire une charge fiscale reste parfaitement valable. Il s’agit même d’une démarche qui relève de l’"acte de gestion du bon père de famille". Si la fraude fiscale doit être combattue, elle n’est pas, contrairement à ce que certains élus politiques totalement déconnectés de la réalité et du monde de l’entreprise prétendent, une pratique communément répandue. Que du contraire et la très grande majorité des sociétés et des contribuables ne fait que respecter les règles du jeu fiscal, et est lassée de ces discours incessants qui en réalité mélangent les notions de fraude fiscale, évasion fiscale, optimisation fiscale, voire de simple application de lois fiscales favorables. Il ne faut pas que des contribuables soient constamment contraints de se justifier ou de se confesser parce qu’une opération créant une économie d’impôt parfaitement légale ne plaît pas à leur administration fiscale. Toutes les solutions fiscales mises en œuvre par les entreprises et leurs conseillers ne peuvent être présumées comme des manœuvres répréhensibles d’évasion fiscale.
Laissons respirer les individus et les sociétés. Ne tombons pas dans le piège du puritanisme fiscal.
Rappelons-nous ces bons mots de Maurice Cozian, ancien professeur de droit fiscal à l'Université de Dijon : "Vouloir payer le plus d'impôts possible, pour certains c'est peut-être de la sainteté ou de l'héroïsme ; on serait plus tenté d'y voir un dérangement de l'esprit : ça se soigne.".